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Live Reports

David Gilmour­ – Arènes romaines (Nîmes), 21/07/16

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Si Roger Keith Barrett dont ces pages portent le nom d’une des plus poignantes chansons, tenta une dernière fois de toucher les étoiles en 1972 avec ses Stars éphémères il n’en récolta que chute abyssale. Pour David John Gilmour, son ami d’enfance, remplaçant puis soutien, c’est tout le contraire. C’est, je suppose, ce qu’on peut désigner par le mot destin.

Gilmour est une star et sa place n’est pas usurpée. Guitare et voix (avec Waters) du Pink Floyd de 1968 jusqu’à sa fin, l’homme aura composé quelques-uns des piliers les plus brillants de la musique rock dite psychédélique ou progressive à l’aube des années soixante-dix. Des titres aussi puissants qu’inspirés, incontournables qui, entendus en live, remplissent l’espace et s’imposent. De telle sorte que même si vous les connaissiez pourtant depuis 30 ou 40 années, vous ne pouvez vous dire que: « Wooow ! C’est ça !».

La tournée 2015/2016 de l’album solo Rattle That Lock passe par la France (pays cher à Gilmour) pour plusieurs dates de ce mois de Juillet, et elle choisit des cadres prestigieux. Les arènes de Nîmes sont l’un d’eux pour deux soirs sold out, après le parc du château de Chantilly et avant la Saline royale d’Arc et Sénans. L’amphithéâtre romain fait évidemment écho (!) aux concerts de Pompéi donnés début Juillet, eux mêmes ravivant les images du Floyd de 1971 filmé sous le Vésuve. Mythique. Sauf que Rattle That Lock n’est pas un album du groupe de Cambridge. Sauf que Gilmour est seul, sans « mon vieux copain Richard Wright » dit-il ému , en présentant « A Boat Lies Waiting » écrit pour le pianiste décédé en 2008. Sans Waters – la question ne se pose pas-, ni Mason – rangé des voitures (de course). On sait donc que c’est autre chose qu’on vient voir et attendre. Autre chose que cet objet de désir musical qui nous exalta terriblement.

Homme avisé, Gilmour ne l’ignore pas. Peut-être se doute-t-il même que le public, dans sa grande majorité, n’a que fort peu écouté ses productions en parallèle ou post PF (cinq albums seulement dont un live). Mais s’il a consacré l’essentiel de sa vie à la musique d’un des plus grands groupes de rock, il a pleinement conscience qu’il en est toujours, à soixante dix ans, la plus vive et séduisante incarnation.

La set list proposée se compose ainsi de deux parties où se mêlent grands succès du catalogue Floydien et compositions en solo – mentions spéciales au jazzy « The Girl in the Yellow Dress », « Faces of Stone » et le funky « Today » que Bowie n’aurait pas renié. Côté PF le plus ancien titre joué est « Fat Old Sun » (1970) qui, s’il fut publié sur Atom Heart Mother, fut aussi entièrement écrit, composé et interprété par Gilmour. Ecrire « grands succès » n’a évidemment rien de péjoratif ici. Ces chansons si sophistiquées qui se sont extraordinairement vendues, restent tout bonnement au-dessus de la moyenne du grand corpus rock, multiples nuances confondues. La cause expliquant son effet.

« The Great Gig in the Sky », « Wish You Were Here », « Money » (remarquable) et « High Hopes » font partie de la première série. Avec sa basse  redoutable « One of these Days » (Meddle) ouvre méchamment le programme à la reprise du concert. Suivi par l’atmosphérique « Shine on You Crazy Diamond » dont l’animation vidéo évoque, comme la chanson, le chemin de Syd Barrett descendu aux pays des merveilles pour n’en jamais remonter. Après « Sorrow » et « High Hopes » (poignant), « Run Like Hell »(1980), qui termine le set, est fracassant. On se rend compte qu’il contient dans ses lignes et riffs de Stratocaster ce qu’on peinera à trouver dans dix autres de The Edge, qui, nul n’en doute, s’en sera très largement inspiré. Le rappel enchaîne « Time/Breathe » (Dark Side of the Moon) et l’interplanétaire « Comfortably Numb » (The Wall).

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Tout au long des trois heures de spectacle, la maestria et la classe de Gilmour étreignent. Guitariste hors pair, il est à la guitare rock ce que Rostropovitch fut sûrement au violoncelle et Yéhudi Menuhin au violon. Je joins ces virtuoses car Gilmour, seul, en vaut deux. Son jeu de guitare pour qui s’y intéresse, laisse admiratif. L’écran circulaire au dessus de la scène se fait le relais des musiciens et les mains du maître sont à l’honneur. Interprétations sans failles – on s’y attendait – soutenues par un groupe de neuf musiciens (dont le fidèle Guy Pratt à la basse) qui, reconnaissons le, se situent quelques longueurs devant la plupart de ceux que nous pouvons entendre et aimer ailleurs. Qualitativement la musicalité du set boxe en catégorie supérieure. Comme les animations visuelles et le light show, mais les Floyd n’en furent-ils pas les expérimentateurs précurseurs? Les images font sens et ne surajoutent rien d’inutile, évitant la gratuité ou l’effet grandiloquent. Les solos de Gilmour qui terminent  »Comfortably Numb » dans une valse irrésistible, déclenchent des lasers rouges et verts qui percent le ciel. Les lignes de couleur se croisent et placent l’homme calme au regard d’aigle au centre de la musique et du son qu’il paraît diriger à lui seul. On chavire avant que le ciel noir, comme par enchantement, ne devienne bleu azur et mauve.

Rejoignant leurs véhicules essaimés dans les rues encombrées de la ville romaine sous la nuit d’été, je suppose que les spectateurs parlaient de ce à quoi ils venaient d’assister. Rien à voir avec un public rock habituel, évidemment. Avec ironie, on pourrait sourire en disant que Gilmour en 2016 comme le journal Tintin a fédéré « les sept à soixante dix sept ans ». Et alors ? C’est là le sens de l’histoire. Gilmour a traversé cinq décennies et l’artiste s’est accompli. Le chemin est lumineux. De mon côté, j’ai eu ce sentiment d’avoir assisté à un spectacle musical de très haut vol. Plutôt rare. Et qu’en ce domaine je restais, d’une certaine façon, toujours en train d’apprendre à voler. Ce qui est si bon.

Photos: Benoit Bosc

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