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Hadopi, ou comment le piratage est appelé à devenir un acte citoyen

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On a pas pour habitude ici de prendre position dans les débats politico-culturels (et c’est bien dommage) mais il y a parfois des choses qu’il est bon de pointer du doigt, ne serait-ce que pour attirer l’attention du citoyen lambda. La vidéo intégrée juste au dessus est une campagne de publicité pour HADOPI (Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des droits sur Internet), autorité publique bien connue, qui a coûté la bagatelle de trois millions d’euros (budget public, donc) et qui envahira nos écrans d’ici quelques jours ou semaines. A moins que vous ayez les tripes bien accrochées ou une attirance prononcée pour le mauvais goût je vous déconseille fortement de la visionner (surtout, soyez prévenus, que vous allez probablement en bouffer plus qu’il n’en faut dans les semaines à venir).

On y voit donc dans les grandes lignes la jeune Emma Leprince, révélation française de l’année 2022 (je doute que le CSA approuve si elle daigne montrer ne serait-ce qu’un téton dans son premier clip – mais admettons) qui rencontre un succès international mérité pour son mix « néo-electro » de « textes engagés qui font mouche » (à moins que ce soit son décolleté?) dans les bars « underground« . On la voit enfin toute jeunette, la petite Emma pré-pubère, en train de chanter dans sa chambre rose avec son kit karaoke Star Academy (la boucle est bouclée). Relation de cause à effet? Je vous le donne en mille: les lois HADOPI, bien sûr, qui en protégeant son oeuvre du piratage, lui ont donc permis entre temps de devenir une machine à fric de major company, aguicheuse à public de TF1 en montrant ses seins et remuant son cul dans des clips à poufs et à piscine. (Il faudra leur expliquer, chez HADOPI, que quand on essaie de parler de création, il est justement de bon ton d’éviter les clichés les plus énormes et surtout les plus éludés). Le pire dans tout çà, c’est qu’une once de second degré aurait pu faire passer la pilule – on est habitué à ce genre de spots médiocres – mais celui-ci n’en a pas la moindre trace.

Au delà du mauvais goût, ce spot est tout de même évocateur d’un certain nombre de choses. D’abord de la prétendue « création » que la structure entend nous faire croire qu’elle défend: celle « d’artistes » formatés, vendeurs, destinés à un public jeune, immature, et surtout prêt à acheter tout ce que les spots de pubs lui enfoncent dans le caillou. Parce que c’est ce public même qui pratique le plus le téléchargement illégal, c’est évident, et surtout parce que c’est là qu’est le plus gros manque à gagner. Ensuite, évocateur du manque cruel de recul et de réflexion de fond sur tout ce qu’est le marché de la culture musicale, dans sa réalité, sa diversité, sa complexité. Pourquoi de plus en plus de gens téléchargent de la musique, certes, mais pourquoi de moins en moins de gens en écoutent, s’y intéressent, pourquoi les salles de concert ferment, pourquoi il devient de plus en plus difficile pour les artistes – ceux qui composent, qui jouent, qui tournent (souvent à perte), qui vont à la rencontre de leur public – de vivre de leur création.

En trente secondes, HADOPI communique (sans s’en rendre compte, on l’espère sans en être sûr) une vision désastreuse de la création et de la diversité artistique et musicale de demain. Rien de très réjouissant: en gros, vous allez continuer de payer, mais de plus en plus cher, et pour de la merde. On a presque des scrupules à l’évoquer tant leurs préoccupations sont à des années lumières, mais pendant ce temps, sur terre, de nombreux labels indépendants continuent à voir le jour, grandissent, se développent – on pense à Africantape ou Denovali, entre nombreux autres – et montrent qu’on peut aussi vendre des disques en mettant son catalogue à disposition en streaming (comme le fait Africantape pour toutes ses références), voire en téléchargement libre (comme le fait Denovali pour certains de ses LPs). Ils démontrent aussi que le téléchargement peut être un moyen d’expansion et de promotion, utile, profitable – voire indispensable. Une démarche qui implique bien entendu un minimum de respect, de confiance et de considération pour le consommateur, qui achètera si et seulement si ce qu’il écoute lui plaît – des notions pour lesquelles HADOPI ne prête aucune forme d’importance. En fin de compte, on continue à serrer les vis et à s’embourber dans une politique de répression et de punition, plûtot que de responsabiliser le public, ou mieux, réfléchir aux problèmes de fond. Politique / économie et culture n’ont jamais fait bon ménage. Ce n’est visiblement pas prêt de changer.

Pour ceux qui comme moi sont convaincus du mal fondé des lois HADOPI, quelques lignes utiles ici.

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