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Interview – Bradford

L’histoire de Bradford aurait pu se résumer et se confondre avec celle d’innombrables groupes pop anglais de ces dernières décennies: portés au pinacle par les médias musicaux nationaux puis délaissés avec dédain six mois après au profit d’une nouvelle mode musicale. Sitôt vénérés, sitôt oubliés. Pourtant, au milieu des années 80, tout avait commencé sous les meilleurs auspices et de manière plutôt solide pour les cinq jeunes musiciens du groupe de Blackburn: un inespéré parrainage de Morrissey qui les intronisera héritiers du trône des Smiths et reprendra leur premier single « Skin Storm » ainsi qu’un premier album appelé Shouting Quietly produit par le déjà talentueux Stephen Street; soit le producteur anglais le plus important de ces quarante dernière années. Mais ces arguments n’auront pas suffi face au déferlement de la vague Madchester et la chute sera à la fois brutale et cruelle pour le groupe. Bradford ne sera pourtant pas tout à fait oublié dans les mémoires; Shouting Quietly restera considéré comme une gemme cachée et maudite de la pop moderne jusqu’à sa surprenante réédition chez A Turntable Friend Records en ce début d’année. Intitulé Thirty Years Of Shouting Quietly et agrémenté d’inédits, ce disque célèbre non seulement la courte et belle existence du groupe mais annonce aussi une renaissance pour Bradford. Ian Michael Hodgson, le chanteur, et Ewan Butler, le guitariste, se sont déjà retrouvés à l’occasion de quelques concerts et préparent désormais un nouvel album; comme pour réparer l’injustice des vents contraires avec une douce et certaine maturité comme boussole et une histoire qui redémarre. 
Parlez-moi
des tous débuts du groupe.

Ewan: Comme beaucoup de personnes, j’ai fait partie d’un groupe après avoir quitté l’école. Des personnes sont arrivées et d’autres sont parties en fonction de leur volonté de s’investir dans la musique. Et puis, par l’intermédiaire d’une association appelée « Blackburn Musicians Collective », j’ai rencontré Ian et presque immédiatement, j’ai apprécié son talent de songwriter et de chanteur. Nous partagions aussi des influences musicales majeures. Et puis, je peux désormais t’avouer que le chanteur d’alors de Bradford ne savait pas chanter et nous étions donc heureux que Ian le remplace! (rires)

A l’époque, est-ce que vous partagiez déjà non seulement des influences musicales mais aussi une même vision politique?

Ian: Oui, absolument. le « Blackburn Musicians Collective » était à la base une idée de gauche, socialiste. J’y avais été envoyé par l’intermédiaire d’un projet communautaire et je coordonnais l’organisation. Pour moi, il était rafraichissant de lire la liste des influences musicales des groupes qui participaient. Et je me suis rapidement rendu compte que parmi tous ces groupes, il y en avait un qui partageait tout particulièrement mes propres goûts: les Housemartins, les Red Skins, The Jam, the Clash. C’était Bradford. Mais ils avaient déjà un chanteur donc j’étais un peu déçu. Néanmoins, le problème a été réglé assez rapidement: le chanteur a compris que son passage dans le groupe était terminé. J’ai rejoint Bradford en amenant mes propres chansons que j’ai graduellement introduites dans le groupe car Ewan écrivait aussi à l’époque. Et petit à petit, nous en sommes arrivés à un nouveau style de musique; pas spécialement extrêmement différent de ce que nous pouvions faire auparavant chacun de notre côté mais en tous cas meilleur.

Donc, vos morceaux sont le résultat d’une collaboration dès le début?

Ewan: Au début peut-être… Et puis Ian m’a poussé dehors! (rires) Je dois être honnête avec toi. Nous te parlons d’un temps où j’avais seize, dix-sept ans. Je ne connaissais pas grand chose à l’écriture, j’étais juste un novice.

Ian: J’ai quatre ans de plus que Ewan. Cela peut ne pas paraitre beaucoup mais à cet âge-là, cela représente déjà quelque chose; au moins quatre années de pratique durant lesquelles j’avais écrit des chansons.

Ewan: Je n’ai aucun souci à admettre que tout ce que Ian écrivait à l’époque était bien supérieur à tout ce que je pouvais proposer de mon côté. Cela avait du sens que nous nous concentrions en priorité sur le meilleur matériel.

Ian: Je n’avais pas l’intention de prendre le pouvoir. C’est juste que ces chansons étaient meilleures.

« Greed and Peasant Land » est une chanson ancrée dans cette époque de grandes tensions sociales. Etiez-vous vous-mêmes habités par un sentiment de colère?

Ewan: Nous avons grandi durant les années 80, durant le règne de Thatcher; les adolescents sortaient de l’école pour directement pointer au chômage. Il y avait beaucoup de pauvreté, de misère sociale à Blackburn. Nous étions en colère de devoir grandir dans un tel environnement et cela provoquait en nous de l’hostilité envers le gouvernement de l’époque mais rien qui aurait pu nous amener à la violence physique.

Ian: Dans un monde idéal, il aurait été extraordinaire de pouvoir renverser l’establishment et les structures du pouvoir. Ceux-ci sont clairement corrompus et n’ont aucune intention de partager leurs richesses avec le reste de l’humanité. Nous aurions vu avec bonheur tout ce système s’écraser et partir en fumée pour un renouvellement en profondeur d’une société plus égalitaire et aimante. Je n’aurais pas versé une seule larme si, un matin, j’avais lu dans le journal que le gouvernement avait décidé de se suicider collectivement au gaz (rires)!

Combien de temps cela vous a pris pour que les choses se mettent en place au sein du groupe?

Ian: Je dirais deux ans ce qui est plutôt un temps plutôt court. Le déclic a été la sortie du premier single qui a capté l’attention du célèbre Stephen Patrick Morrissey. Lorsque nous enregistrions « Skin Storm », j’avais à peine vingt ans et le reste du groupe était encore adolescent. Nous étions une vraie bande de frangins. Et tout à coup, nous nous retrouvions sous les projecteurs et toutes les compagnies de disques en Angleterre essayaient de nous signer.. 

Ewan: Pendant six mois, cela a été une période très intense pour nous tous; nous étions saturés par les demandes des médias. Et durant cette période de six mois, nous aurions pu faire n’importe quoi de mauvais, cela n’aurait pas été un problème car tout le monde nous adorait. Il est très commun pour les médias de mettre au firmament des groupes pour ensuite les détruire. Nous nous sommes retrouvés l’une des victimes de ce genre de pratique. Nous étions adorés par les magazines musicaux, tout le monde voulait savoir qui nous étions pendant six mois et puis tout s’est cassé la gueule. Cette attention des médias est arrivée aussi rapidement qu’elle a disparu.

Durant cette période de six mois, nous aurions pu faire n’importe quoi de mauvais, cela n’aurait pas été un problème car tout le monde nous adorait. Il est très commun pour les médias de mettre au firmament des groupes pour ensuite les détruire.

Avec le temps, est-ce que vous considérez qu’avoir été découvert et proclamés héritiers des Smiths par Morrissey était une bonne chose?

Ian: Bien entendu. Il est compliqué de sortir de l’ombre tout en conservant ton identité intacte ou vierge, sans être référencé par rapport à un autre groupe.

Ewan: C’est juste inévitable. Lorsque quelqu’un parle de Bradford et de nos chansons, la référence faite par les Smiths ressort toujours. Et nous sommes plutôt fiers d’avoir été jugé à l’aune des Smiths.

Ian:  Morrissey est venu peut-être trois ou quatre fois chez moi et nous nous sommes toujours très bien entendus. Ewan et moi sommes encore extrêmement reconnaissants de tout ce qu’il a fait pour nous.

Mais vous étiez déjà des fans des Smiths à l’époque, avant même que Morrissey ne parle de vous?

Ian: Absolument. Ils ont été une influence majeure et il y a évidemment quelque chose dans notre musique où tu peux l’entendre. Mais tu sais, nous venons du même coin du monde, du nord de l’Angleterre. Il y a tellement de groupes géniaux qui sont venus d’ici: The Stone Roses, The La’s Tu respires le même air, tu te balades dans les mêmes rues et ça ressort dans tout ce que tu fais. Même si, en définitive, nous avons toujours eu notre propre voix et notre identité.

Ewan: Je crois qu’à l‘époque de la sortie de l’album, les gens attendaient quelque chose qui soit plus proche d’un disque des Smiths. Mais, à part 2 ou 3 aspects sur Shouting Quietly où tu peux faire le parallèle, dans l’ensemble, ce n’est pas si proche que cela.

Ian: Il y a des groupes comme Gene qui sonnaient cinquante mille fois plus comme les Smiths que nous.

Ewan: Cela aurait été ridicule pour nous d’essayer de copier bêtement les Smiths. Personne ne veut un clone à la place du vrai groupe, n’est-ce pas? Nous étions au courant de ce rapprochement et j’imagine que c’était sans doute le côté négatif de cette phrase de Morrissey mais non, ce n’était pas grand chose comparé à tout ce que nous avons vécu grâce à cela.

Cela aurait été ridicule pour nous d’essayer de copier bêtement les Smiths. Personne ne veut un clone à la place du vrai groupe, n’est-ce pas?

Je reste étonné que Morrissey ait repris « Skin Storm ». C’est un morceau extrêmement sexuel.

Ian: Spécialement à l’époque. J’étais aussi très surpris car il y a trente ans, Morrissey se définissait comme quelqu’un d’asexué. Or, si tu écoutes son dernier album, il y a désormais des références sexuelles très marquées, particulièrement sur la fellation!

Grace à Morrissey, vous avez pu travailler avec Stephen Street. Qu’a-t-il amené au groupe?

Ewan: En tout premier, il nous a apporté son nom auquel il était tout sauf dommageable d’être associé. Il nous a aussi amené son talent et l’expérience accumulée en collaborant avec Morrissey et les Smiths, son enthousiasme et l’envie de travailler avec nous. Pour tout cela, nous lui sommes éternellement reconnaissants.

Ian: Stephen est un producteur fantastique et, peut-être encore mieux, un être humain merveilleux. Il est aussi sans aucun doute le meilleur producteur anglais et il se fringue toujours de manière exemplaire. Pour en revenir à notre collaboration, Il a réussi à dénicher le meilleur dans chacun d’entre nous, à révéler les qualités des chansons pour réaliser l’album que nous espérions. Par exemple, sur « Radio Edna », il y a ces quelques géniales notes de clavecin qui sont uniquement son idée. Malheureusement, il n’a pas vraiment joué du clavecin car il aurait été fantastique de le voir assis devant un clavier avec une perruque sur la tête. (rires) Les effets d’instruments à vent sur l’album viennent aussi de l’imagination de Stephen. Il a donné de la texture à notre musique, ce que nous n’étions pas capable de mettre en place par nous-mêmes à l’époque. Nous étions juste un groupe à guitares. 

Dans le livret de la réédition de Shouting Quietly, il est expliqué que vous étiez apparu cinq ans trop tard pour les Smiths et cinq ans trop tôt pour la Britpop. Vous vous sentez véritablement une proximité musicale avec le mouvement Britpop? 

Ewan: J’ai discuté par la suite avec Stephen Street de cette situation. Il m’a confirmé que cela aurait surement mieux marché pour nous au moment de la Britpop. C’était vraiment une situation cruelle. D’autant plus que lui travaillait avec Blur à la même époque et quand tu sais ce qu’ils sont devenus par la suite…  Mais de notre côté, nous nous étions déjà séparés depuis un petit moment.

Ian: Dans la vie, tout est une question de timing. C’est un peu comme trouver une place de parking. Parfois, tu es très chanceux; la plupart du temps, beaucoup moins. Je crois que le phénomène Madchester qui est apparu tandis que nous étions en train de sortir notre album nous a vraiment porté tort parce que nous ne sonnions en rien comme cela. Nous ne voulions pas et ne pouvions pas changer de manière radicale notre style, prendre un virage dance music, avec des cheveux longs et des chemises à fleurs. Nous sommes juste apparus au mauvais moment. Nous aurions probablement mieux trouvé notre place cinq ans plus tard du point de vue des guitares et de notre look de working class lad.

Nous ne voulions pas et ne pouvions pas changer de manière radicale notre style, prendre un virage dance music, avec des cheveux longs et des chemises à fleurs. Nous sommes juste apparus au mauvais moment.

Ewan: Nous n’étions certainement pas aussi souple qu’un groupe comme James en terme de sonorités musicales et le fait qu’ils soient passés par Factory Records les a sûrement aidé à l’époque. Sans parler du fait qu’ils venaient de Manchester et connaissaient beaucoup plus de gens de l’industrie musicale que nous. De ton point de vue, tu as peut-être l’impression que nous sommes très proches de Manchester, qu‘il y a juste 25 miles entre les deux villes mais nos mondes sont totalement différents.

Est-ce que vous avez toujours refusé de quitter Blackburn?

Ewan: Je ne crois pas que notre situation avait grand chose à voir avec où nous étions basés. Nous aurions pu facilement rester à Blackburn, quelque soit la compagnie qui nous aurait signé. Evidemment, il y a toujours eu cette idée que si tu voulais réussir dans la musique, il te fallait quitter ta petite ville natale et te relocaliser sur Londres ou Manchester. Et je crois que lorsqu’il s’agit de musiciens individuels qui cherchent à se développer, c’est peut-être vrai. Mais dans notre cas, nous étions déjà des musiciens confirmés et dans la lumière.

Vous avez joué avec des groupes devenus extrêmement importants: Primal Scream, The La’s…

Ian: Nous avons partagé la scène dans des festivals mais jamais tourné avec eux. Ceci étant dit, nous avons effectivement passé du temps dans le van des Primal Scream duquel s’échappaient des vapeurs de fumée avec un parfum très particulier et ils nous ont offert des jolies parts de space cakes. (rires)

Quel est votre meilleur souvenir de cette époque?

Ian: De mon côté, c’était rencontrer Joe Strummer des Clash car nous les adorons véritablement. Le rencontrer et tenir sa guitare, ça valait le monde entier pour moi. Et tout de suite après, jouer avec Morrissey et apprendre à le connaître. Ce sont des moments incroyables.

Ewan: Je suis d’accord avec Ian. J’écoute les Clash depuis mon enfance et le premier disque que j’ai entendu était un single des Clash en 1977. J’ai une vénération pour ce groupe. Alors, rencontrer Joe Strummer, discuter et jammer avec lui, c’était juste incroyable. J’ai aussi eu une période durant laquelle j’adorais les Smiths et ouvrir pour Morrissey était phénoménal (NDLA: Bradford a joué en première partie du légendaire premier concert solo de Morrissey au Wolverhampton Civic Hall le 22 Décembre 1988).

Ian: Morrissey tournait encore avec Andy Rourke et Mike Joyce à l’époque donc tu peux considérer que nous avons rencontré 3/5 des Smiths. Par contre, Johnny Marr brillait par son absence (sourire). J’aimerais d’ailleurs beaucoup le rencontrer, j’ai lu son autobiographie et il me semble être quelqu’un de particulièrement talentueux et concentré sur son art.

Rencontrer Joe Strummer des Clash et tenir sa guitare, ça valait le monde entier pour moi. Et tout de suite après, jouer avec Morrissey, et apprendre à le connaître. Ce sont des moments incroyables.

Ewan: Nous avons aussi joué avec les Sugarcubes à l’Elysée Montmartre. C’était notre premier concert à Paris.

Ian: Björk était fantastique. Elle m’a embrassé sur la joue! Et le public français nous comprenait vraiment. C’était vraiment génial de jouer devant autant de gens qui nous appréciaient. God Bless the French! (rires)

Que s’est- il passé entre le moment où vous avez enregistré l‘album et le moment où Sire Records vous a largué?

Ewan: En fait, nous avions signé avec Foundation, le label de Stephen Street et nous étions sous licence en Europe avec Rough Trade et distribué par des subsidiaires comme Danceteria en France, EMI au Japon… Nous avions signé un contrat avec Sire Records aux Etats-Unis pour 1 million de dollars sur une période de dix ans. Nous avons eu le premier virement sur lequel pas mal de monde s’est servi et nous nous sommes retrouvés avec quelques milliers de livres sterling à partager entre nous. Mais, et c’est toujours le cas avec les sociétés de disque, le contrat était rédigé de manière à ce qu’il pouvait devenir caduque dans les douze premiers mois pour un certain nombre de raisons. Les ventes de l’album étaient décevantes donc ils ont dénoncé ce contrat. Et tout s’est écroulé à ce moment.

Parlez-moi du split…

Ian: Nous étions très jeunes et les choses ne se sont pas passées comme nous le pensions. Nous croyions que nous allions vendre des disques pour pouvoir faire plus de disques et que cela allait devenir notre métier. Mais rien ne s’est pas passé de cette façon. Au final, nous nous sommes mis à nous blâmer les uns les autres pour cet échec jusqu’à ce que cela devienne très déplaisant pour tout le monde et que nous ne puissions plus continuer à fonctionner comme auparavant. Nous avons donc décidé d’en finir et de suivre des trajectoires différentes.

Un deuxième album était-il prévu avant le split?

Ian: Non. Tout ce que nous avons fait se retrouve sur la réédition de Shouting Quietly. Les quatre chansons inédites que tu trouveras sur le disque sont « Lift Your Eyes to Where She Dwells », « Fallen Open », « The Swing of Things » et « Swim ». Nous avions beaucoup de matériel mais plus l’opportunité de pouvoir passer du temps pour pouvoir les travailler et sortir un album de douze titres.

Qu’avez-vous fait après le split de Bradford?

Ewan: Un des mes très vieux amis, qui a d’ailleurs travaillé avec Bradford, a déménagé au Portugal, à Lisbonne. Je suis allé lui rendre visite et il travaillait là-bas comme ingénieur du son. J’ai rencontré Ithaka (NDLA: un artiste pluridisciplinaire américain) par son intermédiaire car ils partageaient un appartement ensemble. Nous avons discuté et avons décidé de collaborer sur son premier album pour lequel il a trouvé un contrat. Nous avons enregistré dans l’un des meilleurs studios du Portugal et nous avons sorti cet album qui a été extrêmement bien reçu. Je crois qu’il a été nominé pour 4 Grammy portugais. Nous avons eu beaucoup de réactions positives de la part des médias mais Ithaka en avait assez de faire des allers-retours entre Los Angeles, sa ville natale, et Lisbonne. Et finalement, au moment où ça marchait le mieux, il a décidé de repartir aux Etats-Unis. Je suis resté un petit moment à Lisbonne avant de partir sur Londres et de retourner ensuite sur Blackburn.

Ian: J’ai recommencé à toucher les allocations chômage après la fin de Bradford avant de trouver un vrai boulot comme disait mon père! J’apprends à des gens à faire pousser des légumes biologiques et j’adore cela. Depuis Bradford, j’ai écrit quelque chose comme trois cent chansons qui sont, honnêtement, pour la plupart, pas mauvaises. J’ai toujours été impliqué dans la musique, fait partie de plusieurs groupes mais pas au point de gagner ma vie avec ou de sortir un disque; pas ce que tu pourrais considérer comme un vrai album en tous cas.

Ewan: En fait, nous travaillons avec A Turntable Friend pour sortir un nouveau disque de Bradford à la fin de l’année.

Photo © Paul Wright

Comment est-ce que vous travaillez ensemble désormais? Est-ce différent d’il y a trente ans?

Ian: Nous commençons tout juste. J’écris les chansons, la mélodie, les structures des cordes. Je les joue ensuite à Ewan et s’il aime ce qu’il entend, il me lâche un «ouais, c’est pas mal, mec». (rires) Nous passons alors au niveau où l’expertise d’Ewan dans le studio donnera du corps aux chansons, les enrichira de sonorités. C’est une étape très excitante à laquelle nous arrivons en ce moment. Cela va sonner comme du Bradford même si bien entendu, il y a une différence de trente ans. Notre expérience est beaucoup plus grande et nous espérons que le résultat sera très bon.

Pourquoi est-ce que les autres membres de Bradford ne sont pas impliqués dans ce nouvel album?

Ewan: Ian et moi vivons encore à Blackburn, pas très loin de l’autre. Nous sommes restés en contact tout au long des années sans pour autant faire de la musique ensemble. Même si nous avions joué ensemble au sein de Bradford, j’estimais que je n’avais pas à le museler ou à réclamer quoique ce soit lorsqu’il jouait avec d’autres musiciens. J’étais satisfait que les choses reprennent leur cours normal. Mais il y a bientôt deux ans, Ian m’a proposé de recommencer à faire des concerts sous le nom de Bradford car on lui avait proposé de jouer en première partie de Glenn Tilbrook. Et à partir de ce moment, la machine s’est remise en marche. Tout est devenu encore plus tangible et s’est accéléré lorsque nous avons été approchés par le manager de A Turntable Friend Records qui nous a proposé de ressortir Shouting Quietly. Mais je considère que tout ce parcours a été effectué par Ian et moi. En ce qui concerne les autres membres du groupe, le bassiste vit dans le Yorkshire, le clavier vit dans Greater Manchester… Nous ne sommes pas vraiment restés en contact ensemble. Mais ce n’est pas parce que nous ne les apprécions pas. C’est juste qu’au fil des années, je n’entretiens pas les mêmes relations avec eux qu’avec Ian. Donc, il y a pas mal de raisons dont certaines se résument uniquement à une question logistique.

Est-ce qu’ils ont essayé de vous contacter au sujet de ces concerts et de la réédition de Shouting Quietly?

Ian: Nous avons quelques retours en effet (sourire). Je ne crois pas qu’ils sont très heureux de cette situation. Josh, le bassiste, voulait vraiment participer mais je dois reconnaitre que je ne sais pas si nous avons vraiment besoin de ce type de compétences en ce moment. Je ne veux pas paraitre méprisant en t’expliquant cela. C’est juste que nous avons évolué et changé. Ce que nous envisageons désormais pour Bradford ne nécessite pas forcément les gens avec qui nous travaillions voilà trente ans de cela. En fait, cela risquerait même de rendre les choses plus difficiles. Au final, les choses sont ce qu’elles sont maintenant et essentiellement, ce que tu as désormais devant toi, c’est le coeur et l’âme de Bradford.

Ce que nous envisageons désormais pour Bradford ne nécessite pas forcément les gens avec qui nous travaillions voilà trente ans de cela. En fait, cela risquerait même de rendre les choses plus difficiles. Au final, les choses sont ce qu’elles sont maintenant et essentiellement, ce que tu as désormais devant toi, c’est le coeur et l’âme de Bradford.

D’où vient cette idée de réédition de Shouting Quietly?

Ian: C’est Ulrich, le manager du label A Turntable Friend Records qui nous a proposé l’idée et nous avons tout de suite accepté. Stephen Street a trouvé de vieilles DAT et, de notre côté, nous avons fouillé nos boites à chaussures pour ressortir des vieilles cassettes. Nous avons rassemblé le matériel et réussi à trouver trente morceaux pour l’anniversaire des trente ans de Shouting Quietly. En fait, nous avions déjà essayé de sortir une réédition il y a dix ans de cela avec les autres membres du groupe mais tout était parti en sucette. Je suis donc vraiment reconnaissant à Ulrich de nous avoir proposé l’infrastructure de son label pour pouvoir enfin ressortir ce disque. Que ce soit au niveau de la distribution, du financement, des ressources, c’est quelque chose que nous n’aurions pas pu faire par nous-mêmes.

Comment est-ce que vous voyez la musique de Bradford résonner dans le contexte général actuel?

Ian: J’ai écrit peut-être cinq ou six chansons politiques dans ma vie dont  « Greed And Peasant Land » sur Shouting Quietly et la situation décrite dans ce morceau est encore plus appropriée aujourd’hui, encore plus prononcée. D’autres thèmes comme l’isolation, ne pas se sentir à sa place, l’observation de l’humanité, les situations amoureuses, que ce soit tomber amoureux ou casser, sont des idées tout à fait universelles et ne seront jamais démodées. En ce qui concerne la musique de Bradford, après trente ans, j’ai un peu plus d’objectivité et de distance. Alors, si je ne connaissais pas ce groupe, je me dirais que leur album est plutôt pas mal: les musiciens font du bon boulot, la production est plutôt sympa. Et puis, Shouting Quietly dit quelque chose; il a une identité et je pense qu’il a plutôt bien passé l’épreuve du temps.

Ewan: Je n’écris pas les paroles mais je pense qu’elles sont encore plus actuelles aujourd’hui qu’elles ne l’étaient il y a trente ans. A cause du chaos politique dans lequel nous évoluons actuellement, ces paroles ont une résonance particulière. Car si les choses ont changé, elles semblent changer pour le pire. La musique a beaucoup évolué et c’est évidemment un album qui est extrêmement ancré dans son époque. Mais je ne crois pas qu’il soit pour autant inaccessible aux gens. Je pense que de nouveaux auditeurs peuvent écouter Shouting Quietly, en retirer quelque chose et l’apprécier.

Pas mal de musiciens ont tendance à critiquer leur premier album, à ne pas se reconnaitre dans ce qu’ils ont pu produire voilà trente ans mais cela ne semble pas être votre cas.

Ian: Je pense que je suis maintenant un meilleur songwriter. Parce que évidemment, si tu fais quelque chose pendant trente ans sans presque t’arrêter, tu vas devenir très bon. Mais essentiellement, il s’agit toujours de ma voix donc je ne vois pas tant de différence que cela. Et puis, je ne rejetterai jamais quelque chose que nous avons créé. Principalement parce que nous avons juste sorti un seul foutu album. Si j’étais Lou Reed et que j’avais sorti une trentaine d’albums, je me permettrais peut-être d’affirmer « oh, celui-ci était vraiment merdique » mais nous n’avons pas ce luxe. Cela arrivera peut-être le jour où nous sortirons notre dixième album mais nous n’en avons qu’un seul pour le moment et nous nous y accrochons le plus fortement possible! (rires)

Ewan: Après trente ans d’exposition à des styles différents de musiques et autant d’expériences techniques, il y a très certainement beaucoup de choses que je ferais maintenant différemment sur Shouting Quieltly. Mais à l’époque, je voulais avant toute chose être un guitariste.

Ian: Ewan a désormais dans Bradford le rôle d’un Stephen Street; à la fois producteur et multi-instrumentiste. Il occupe un espace créatif plus important qu’à l’époque. C’est aussi la raison pour laquelle nous n’avons pas vraiment besoin de clavier ou d’un bassiste pour le moment car Ewan peut jouer de ces instruments en studio. D’ailleurs, lorsque nous avons joué en concert pour la première fois, Ewan avait enregistré par lui-même toutes les parties d’instruments comme la batterie et la basse et le résultat était vraiment excellent.

Mais vous n’envisagez pas de tourner sans de « vrais » musiciens avec vous?

Ewan: Même si, pour le moment, c’est uniquement Ian et moi sur scène, cela fonctionne vraiment bien. Je sais qu’il est bien plus excitant visuellement de voir un vrai groupe sur scène et c’est vraiment la direction vers laquelle nous désirons tendre. Mais, dans un premier temps, il est important pour nous d’organiser nos priorités.

Ian: Nous en arriverons à ce point à un moment mais pour l’instant, nous tâchons de nous concentrer sur l’enregistrement. Ensuite, nous mettrons un groupe en place pour promouvoir ce que nous avons enregistré; avec quatre membres et une dynamique à la Clash.

Est-ce faire partie d’un groupe vous a manqué? Tu parlais de relations fraternelles entre vous?

Ian: Nous étions plutôt cinq frangins en train de se foutre sur la gueule dans la chambre! (rires) Après… Remplir le van à quatre heures du matin, conduire les fenêtres ouvertes pour dissiper les odeurs corporelles des autres membres du groupe, manger de la bouffe dégueulasse sur les aires d’autoroute… Non, ce n’est pas quelque chose qui m’a manqué.

Remplir le van à quatre heures du matin, conduire les fenêtres ouvertes pour supporter les odeurs corporelles des autres membres du groupe, manger de la bouffe dégueulasse sur les aires d’autoroute… Non, ce n’est pas quelque chose qui m’a manqué.

Parlez-moi du nouvel album? En quoi va-t-il être différent de celui que vous avez sorti il y a trente ans?

Ian: Nous ne le savons pas encore. Les chansons sont différentes. Notre titre de travail est actuellement Bright Hours, qui est le nom d’une de nos chansons et représente aussi un moment spécifique pour nous. Tout le monde a l’habitude de nous dire «le meilleur de votre travail est devant vous». Mais de toutes manières, nous n’avons qu’un seul album! Nous voulons montrer que notre musique est toujours pertinente, que cela n’a rien à voir avec l’âge; nous n’avons pas l’ambition de devenir célèbre mais juste de faire de la musique qui parle au coeur.

Ewan : La structure du groupe est désormais différente d’il y a trente ans. Les arrangements, les contributions musicales ne vont pas être divisés dans un groupe de cinq personnes; ce sera juste Ian et moi. Pour le moment, ce sur quoi nous avons travaillé est prometteur.

Photo © Louisa Roberts

Qu’avez-vous appris de vos expériences précédentes comme Bradford?

Ian: C’est une question compliquée mais au final, je crois que faire partie d’un groupe dans ce format est vraiment un truc pour les jeunots. Quand tu as 23 ans, tu peux gérer le manque de confort pendant un certain moment, être assis sur un ampli à l’arrière d’un van pourri… A mon âge, refaire ce genre de choses ne m’intéresse plus autant que cela.

Ewan: Nos motivations sont totalement différentes. Lorsque nous avions 20 ans, bien sûr que nous voulions être célèbres et mener une vie rock’n roll. Mais c’est avant tout cela être jeune, n’est-ce pas? Maintenant, il est bien plus question de travailler sur notre musique et ce que celle-ci va offrir aux gens en termes de plaisir. Ce serait vraiment bien si nos chansons connaissent le succès et que beaucoup de gens les écoutent et les apprécient. Mais ce n’est absolument pas ce qui nous pousse. Nous voulons créer quelque chose de vraiment spécial que les gens aimeront même si le public reste petit. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de quoique ce soit d’autre.

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