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Interview – Bran Van 3000

BRAN VAN_3000 _3Mars 2015. C’est la rencontre juste improbable et parfaite. Invraisemblable parce qu’il est un peu irréel de rencontrer dans un environnement aussi bucolique que le Jura, quelques heures avant un concert au Moulin de Brainans, James Di Salvio, l’homme à l’origine de Bran Van 3000 et auteur de l’un de nos albums préférés de tout les temps: Glee. Cdisque, foutraque s’il en est mais dégoulinant d’une sensualité festive, piochait sans snobisme dans tous les styles musicaux pour aboutir à une partouze musicale sous obédience hip hop distribuée comme une suite d’orgasmes auditifs. 4 albums et près de vingt ans plus tard, discuter avec Di Salvio tient de l’expérience aussi déstabilisante qu’euphorisante avec cet accent canadien, ces expressions typiquement québecquoises, ces glissements linguistiques inattendus du français vers l’anglais ou cet enthousiasme perpétuel et communicatif malgré un début de grippe. A l’écouter, nous nous rendons compte, fascinés, qu’à l’instar de la musique qu’il imagine, toujours inspirée, riche et débordante, le bonhomme a déjà vécu une dizaine de vies toutes plus passionnantes les unes que les autres là où la plupart d’entre nous devront se contenter d’une seule. 

Tu as débuté comme vidéaste mais baignais-tu auparavant dans une atmosphère musicale aussi éclectique?

D’une certaine manière, je suis né dans les boîtes de nuit. Mon père en possédait sur le vieux port. Ce sont les premiers endroits où les francophones et les anglophones montréalais se sont rencontrés. Il faut que tu comprennes que ce n’étaient pas les grands clubs d’aujourd’hui mais plutôt des petits endroits où tu pouvais croiser Mick Jagger, Bob Marley, où Léonard Cohen allait peut-être faire un concert impromptu, prendre sa guitare entouré de filles magnifiques. Je me suis retrouvé là-bas alors que j’avais à peine 6, 7 ans. J’ai travaillé comme DJ plus tard; peut-être à 17 ans. C’était déjà le début des années 80 et de la Dance Music mais je n’ai jamais bénéficié de passe-droits: il fallait que j’auditionne. Au final, j’ai toujours évolué dans un domaine très créatif et Bran Van représente le sommet de toutes ces années de street art: à faire le DJ, à réaliser des vidéos, des court-métrages et à rencontrer des amis comme Jean Leloup. L’arrivée des nouvelles technologies a aussi permis à un gars comme moi de composer un peu à la manière d’un J Dilla. Etant donné d’où nous venions, il était évident que nous n’allions pas faire du hip hop traditionnel puisque cela avait déjà été fait par De La Soul et A Tribe Called Quest. L’idée, c’était de mettre du Johnny Cash ou du Françoise Hardy, quoi que ce soit que nous aimions, dans notre musique.

Je n’habitais pas avec mon père mais à chaque fois que je sortais avec lui, j’étais traité comme un adulte. On partait en Jamaïque pour trois semaines avec Iggy Pop sans rien planifier. Mon premier joint était d’ailleurs avec Iggy.

J’ai lu que ta mère était hôtesse de l’air et t’emmenait parfois en voyage avec elle?

Ma mère était une belle fille qui aimait profiter des villes durant ses journées de repos. Elle savait que j’étais passionné par la musique et grâce à elle, j’ai souvent récupéré des disques avant qu’ils ne sortent au Canada. J’avais des parents assez cools et très jeunes dans leur tête. Leur amour était aussi très rock’n roll. Ma mère nous emmenait parfois avec elle pour des voyages d’à peine 24 heures. J’ai vu les Sex Pistols lorsque j’avais 7, 8 ans à Londres et je trainais dans des réunions enfumées d’intellectuels à la Jean-Luc Godard dans le Paris des années soixante-dix. Je n’habitais pas avec mon père mais à chaque fois que je sortais avec lui, j’étais traité comme un adulte. On n’allait surtout pas voir des films de Disney. A 8 ans, c’était plutôt Mort à Venise de Visconti. On partait en Jamaïque pour trois semaines avec Iggy Pop sans rien planifier. Mon premier joint était d’ailleurs avec Iggy. Je ne savais même pas qu’il était cette immense rock star. J’étais trop jeune. Les gens à l’extérieur me demandaient si je connaissais telle ou telle rock star mais pour moi, il s’agissait juste de gens que je croisais de temps en temps. Je sais que je suis quelqu’un de très chanceux; j’ai parfois l’impression d’être Benjamin Button (rires). Mais je ne m’attendais pas à cette existence. C’est un peu comme cette chanson que j’ai écrite: « I See, if you never thought you’d be an MC then why not? Be a freak just like me« . Et puis, j’ai de la chance d’être encore vivant parce que Los Angeles, c’est quelque chose.

 

Bran van 3000_1Je me suis toujours demandé comment tu composais tes morceaux.

Il n’y a de véritable recette. Dès qu’il y a quelque chose qui se passe et cela peut être un truc idiot comme « What am I doing? Drinking in LA« , tu continues, tu arroses le « Garden » et ça mûrit, ça fleurit. Mais Bran Van, c’est avant tout une histoire d’amitiés. Si j’étais tout seul, mon imagination ressemblerait à cent idées dans un tiroir exploitées à peine à cinquante pour cent. Si je trouve une idée et que je me trouve à Los Angeles et bien tout simplement je vais appeler mes potes de là-bas. Je sais que pour le public, nous sommes un groupe de Montréal mais après vingt ans, nous sommes plutôt devenus une multinationale (rires)! Beaucoup de chansons correspondent à des rencontres pendant lesquelles tu essaies de nouvelles idées ou tu testes de nouvelles technologies. Au final, ce ne sera pas toujours pour prendre une direction hip hop, parfois ce sera plus mélodique. Bran Van n’a pas eu deux chansons faites de la même manière à part peut-être sur le second album où on a eu la chance de rester à New-York pour composer. On a terminé Discosis le même jour que D’Angelo finissait Voodoo dans le studio d’à côté. J’ai déjeuné avec lui et on a porté un toast; c’est un joli souvenir. Voodoo est d’ailleurs l’un de mes disques préférés.

Je sais que pour le public, Bran Van est un groupe de Montréal mais après vingt ans, nous sommes plutôt devenus une multinationale!

Montréal est toujours un super endroit pour les musiciens?

C’est un super endroit pour tout. J’ai deux villes dans mon cœur: Los Angeles et Montréal. Montréal est l’endroit où il faut être quand tu veux être un poète tandis que pour être un rêveur, il faut se trouver en Californie. Los Angeles est une cité très dure mais lorsque tu dois imaginer des projets, c’est la ville parfaite alors que Montréal te permet d’exprimer ces rêves. Là-bas, les paroles me viennent d’une manière différente. Depuis que je suis un gamin, je me sens très chanceux de vivre entre ces deux villes. Mais ironiquement et étrangement, alors qu’elles semblent si différentes et distantes, Hollywood et Montréal se ressemblent beaucoup sur certains points: ce sont des villes folles, sexuelles et très ouvertes.

Tu t’attendais au succès de Glee?

Glee était vraiment à la base une réaction à l’indie rock et à tout ce côté primaire, à tous ces groupes qui regardaient leurs pieds et ne souriaient pas, même si j’aimais beaucoup Soundgarden et toute cette scène. Mais l’idée était de mettre un peu de funk dans tout cela. Le disque a été fait dans mon appartement et moi, je voulais juste… (il hésite) Je me souviens des deux, trois semaines avant la sortie de Glee lorsque j’ai commencé à voir apparaître des posters de l’album sur les murs de Montréal. Mon frère et mon père vivaient dans le centre et j’ai commencé à flipper, à vraiment avoir peur qu’ils se fichent de moi avec mes morceaux de country western parcourus par des beats (rires). Je n’imaginais pas que vingt ans plus tard, je serai en France dans un paysage digne du Seigneur des Anneaux (rires). Sincèrement, à l’époque, j’avais juste peur que tout Montréal se foute de moi. Et finalement, c’est tout l’inverse qui s’est passé.

A l’époque de la sortie de Glee, j’avais juste peur que tout Montréal se foute de moi.

Discosis semble divisé en deux parties bien distinctes: la première est très dance, électronique tandis que la seconde semble beaucoup plus acoustique.

Tout à fait. Je l’ai appelé Discosis parce qu’après deux, trois ans de tournée, de live, de jouer à la rock star, j’avais envie de retrouver ma personnalité de DJ. D’un côté, les américains venaient m’expliquer qu’ils allaient faire de moi une superstar de la pop et de l’autre, je désirais me replonger dans la dance music underground. Pour moi, Discosis représentait à la fois un retour aux sources, le plaisir de vivre à nouveau une expérience underground et en même temps, c’était l’Amérique qui m’offrait un cadeau pop. Mais par dessus tout, c’était une belle expérience. Je continue à voir du Discosis dans beaucoup de monde: il y a tous ces gens qui ne vivent que par le beat et, à l’autre extrême ces personnes qui ne veulent pas en entendre parler « Donne-moi du vrai chanteur: Johnny Cash, Edith Piaf ». L’idée majeure qui sous tend Bran Van 3000, c’est de tout garder, de ne rien couper.

Il y a tous ces gens qui ne vivent que par le beat et, à l’autre extrême ces personnes qui ne veulent pas en entendre parler « Donne-moi du vrai chanteur: Johnny Cash, Edith Piaf ». L’idée majeure qui sous tend Bran Van 3000, c’est de tout garder, de ne rien couper.

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Tu as fait une longue pause entre Discosis et Rosé.

La vie s’est mise en place. J’étais cramé et aussi amoureux. Je voulais prendre un mois pour me recharger, pour relancer la machine alors je suis allé me planquer dans les bois. Le seul lien qui me rattachait au monde, c’était le téléphone du village. Et là, un jour, on m’explique au bout du fil que Grand Royal, le label des Beastie Boys sur lequel nous étions signés avait fait faillite: « On ne sait pas ce que l’on va faire, il n’y a plus de gérance ». J’ai saisi l’occasion pour décrocher mais, au final, j’ai décroché longtemps. Si tu m’avais rencontré en 2004, je t’aurais expliqué que Bran Van, c’était fini pour moi. J’ai vécu ensuite pas mal de choses extraordinaires mais finalement, je suis retourné en studio. J’ai alors ressenti la musique de manière vraiment différente alors que plus jeune, je n’étais qu’un punk. Lorsque tu vieillis, tu te rends compte que la musique, c’est plus que cela, qu’elle a un certain pouvoir réparateur, que c’est un don qu’il faut apprécier à sa juste valeur.

Rosé est très lounge. Tout le côté acoustique de Bran van 3000 a un peu disparu dessus.

Rosé est la phase la plus urbaine de ma vie. L’idée était de mettre un peu de sentiments positifs sur toute la dureté du gangsta rap de l’époque. C’était mon manifesto, tu vois. On a perdu pas mal de fans avec Rosé mais on en a gagné d’autres. Mais je comprends les sentiments mêlés des fans de Bran Van 3000 à l’égard de cet album car je pense que des auditeurs n’y ont pas retrouvé tout ce qu’ils aimaient chez nous. Néanmoins, je n’ai pas pour autant l’impression d’avoir décroché du style de Bran Van 3000 mais de m’être plutôt totalement immergé dans notre côté hip hop. A l’époque de The Garden, j’ai réalisé que mon voyage artistique devait se prolonger en dehors du hip hop de Montréal et que cela ne se résumait pas au style du rap. Pour moi, Leonard Cohen est un rappeur; lui ou Tom Waits sont des grands MC tandis que Rihanna est une chanteuse. (sourire)

Je suis toujours étonné par le nombre incroyable de chansons que l’on trouve sur vos albums.

J’ai l’impression que cela vient aussi de l’influence du hip hop. Un bon album, pour moi, ressemble à un film et c’est pour cela que les nôtres sont aussi chargés.

BRAN VAN LIVE_2

Ce n’est pas trop compliqué de promouvoir The Garden en Europe alors que l’album est sorti au Canada voici 5 ans?

Je ne ne le vois pas de cette manière. Pour nous autres, c’est juste génial d’être invités en France. C’est d’ailleurs la première fois que l’on fait vraiment une tournée française alors que l’on a déjà parcouru l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre. Et ce genre de tournée est populaire; regarde les Pixies qui rejouent Doolittle. On travaille sur un nouveau disque et cette expérience nous motive vraiment pour le terminer. Chaque concert en France a été différent et m’a fait réaliser l’importance de notre travail. Ce qui me touche d’ailleurs profondément dans cette tournée, ce sont tous ces gens qui viennent me parler après les concerts en me disant que ma musique fait partie de leur vie. Les Européens sont sans doute plus expressifs ou savent mieux s’exprimer que les Nord Américains à ce sujet.

Ce qui me touche profondément dans cette tournée, ce sont tous ces gens qui viennent me parler après les concerts en me disant que ma musique fait partie de leur vie.

Tu travailles donc sur un nouvel album?

Oui. Quand nous aurons assez de matériel, de chansons, de nouvelles choses à dire, nous nous occuperons du mix.

Qu’en est-il de ta carrière de réalisateur? J’ai lu que tu avais un projet de film et une comédie musicale appelée Megalodon.

Dans les années 90, j’ai été signé avec Spike Jonze et Michel Gondry. J’étais parti pour être un réalisateur avant que le projet Bran Van 3000 n’arrive. Mais au final, je suis rentré dans un trou de lapin et j’ai essayé le Rock’n Roll. Je m’étais dit que cela correspondrait à une phase de ma vie, à un passage éphémère et finalement, vingt ans après, j’ai l’impression de ne pas avoir terminé mon voyage. Quant à mon projet de film, il s’appelle Power of Love mais nous n’avons jamais trouvé les financements pour le réaliser. Je me rends compte que si nous l’avions fait à l’époque, il aurait été en avance sur son temps. Mais on verra, rien n’est vraiment fini. Après tout, je vis aussi à Hollywood (sourire).

Photos : orimyo

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