Loading...
ChroniquesInterviews

Interview – Harold Martinez

Deux jours avant notre rencontre, Harold Martinez et Fabien Tolosa (batterie et percussions) se produisaient en pleine Camargue, ensemble de terres et de plaines basses découpées d’étangs, vaste delta parfois hostile bordant la Méditerranée, ceint par les bras d’un Rhône divisé et sombre. Au milieu de ce presque nulle part, dans un décor qui pouvait évoquer ces ambiances de western qui imprègnent les chants d’Harold Martinez, le duo – qui amorçait là une série de dates programmées par le tourneur Dead Foot – se retrouvait sans doute dans le territoire idoine pour ses titres hantés, histoires de perte et d’absence ou d’errances d’hommes étranges se croyant morts.

Quand je rejoins Harold Martinez il est seul, vêtu de noir, la barbe courte bien taillée, le cheveu brun mi long, coiffé en arrière. Jeune quadragénaire longiligne, il présente une élégance empreinte de réserve et d’amabilité. Si nous étions à la fin du XIXème siècle, je verrais volontiers en lui la figure de quelque auteur romantique. Parmi ceux dont l’allure et les traits de caractère sont autant de signes d’une histoire intérieure ressentie comme douloureuse et qui, à certaines heures, se transformant en vagues mélancoliques, nécessite d’être dite ou exaltée. Impression qui se confirme assez immédiatement: « Il faut que je vous raconte l’histoire » me dit-il. Je note le vouvoiement et demande en souriant que nous passions au « tu ».

« Nous nous sommes formés en 2012. Après une expérience en groupe (Clan Edison – NDLA), j’avais envie de mener mon propre projet et Fabien qui est un ami d’enfance, m’a spontanément suivi. Nous venons de la même culture. Une fascination pour un folklore américain (quelqu’un m’a dit ça, un jour), issu des westerns et du cinéma, des images de la Côte Ouest. Nous l’avons mélangée avec la culture Skate. Les skateurs ont une culture très ouverte vers le graphisme, la musique. Ils écoutent du rap et du rock ». Je relève l’intérêt pour le cinéma qui transparaît si nettement dans les ambiances musicales développées par le duo Martinez-Tolosa et lance le sujet. « Si je peux je vais voir deux ou trois films chaque semaine. Je suis fan du cinéma indépendant et du cinéma d’auteur américain ». Avec enthousiasme nous parlons d’Eastwood et de Jarmusch, abordant dans le détail quelques chefs d’œuvre d’Eastwood. Unforgiven « Le dernier western », aimé pour son ambiance clair-obscur qui colle à l’univers du groupe, comme les trames de vengeance de Josey Wales hors-la-loi, ou de L’Homme des hautes plaines. « Celui où le personnage vient venger son frère et fait peindre la ville en rouge! » « Killer Crow » (Le cri du tueur) est un de nos titres sur ce thème. Dans cette chanson je parle de la vengeance… ». Pause et sourire.

« Nous partageons une fascination pour le folklore américain issu des westerns et du cinéma, des images de la Côte Ouest. Nous l’avons mélangée avec la culture Skate. Les skateurs ont une culture très ouverte vers le graphisme, la musique. Ils écoutent du rap et du rock. »

En guise de jalons qui définiraient la couleur musicale d’Harold Martinez, trois points m’apparaissent : « Tu me dis ce que tu en penses, mais je trouve que ce que vous faîtes se pose quelque part dans un triangle Gun Club, 16 Horsepower, Joy Division? ». J’ai visé juste.

Harold Martinez joue un Folk-Rock, mixé à une forme de Country âpre. C’est ce qui saute aux oreilles. Une musique de l’âme non sereine, avec une récurrence de la noirceur du propos et du ton. Les genres d’origine sont évidemment revisités, et les formes devenues très alternatives. « En fait je ne connais pas beaucoup de musiciens de Country, tu sais. A part Johnny Cash, et encore sur le tard », rit-il. « Si je devais citer un artiste qui m’impressionne ce serait Nick Cave. Tout ce qu’il a fait ». Je demande s’il s’agit là d’une inspiration ou d’une admiration? Admiration est la réponse. « Il y a chez lui un côté gothique que nous n’avons pas » précise-t-il. « Cave est capable de varier ses productions. Je ne me compare pas ». Il continue: « A propos de Joy Division, j’ai vu le film Control. Si je n’ai pas beaucoup écouté le groupe il y a quelque chose qui m’a marqué dans le film. C’est quand les autres disent qu’ils ne prêtaient pas attention aux paroles. Je trouve ça dommage. Mais je ne crois pas que les gens écoutent beaucoup les paroles des chansons ». J’acquiesce et souligne alors qu’il se complique la tâche en choisissant de ne pas chanter en français. « Oui. Mais chanter en anglais tient du fantasme. C’est lié à ce qu’on a ressenti quand on a entendu Hendrix, Les Kinks, Janis Joplin pour la première fois. Tu t’es dit que c’étaient eux les patrons! C’est aussi une affaire de son. Peut-être aussi parce que je trouve que ce que je chante ne passerait pas en français. Le texte de « Bird Mum » par exemple. J’y parle du décès de ma mère et de son absence. Qui écouterait ça? ». Je lui cite quelques paroles de « Mother » de John Lennon, qui est un cri du même ordre. Les anglo-saxons avaient parfaitement accepté le sujet à la sortie du premier album solo de l’ex Beatles. Est-ce que l’écriture des textes en français serait plus complexe sur un mode rock? Nous parlons de Gérard Manset considéré comme un sommet. Harold continue: « Je suis récemment allé écouter Dominique A que j’apprécie beaucoup. La voix était en avant, bien qu’il soit entouré d’une formation assez rock. C’était un bonheur de comprendre ce qui était chanté. J’aime cette idée ».

« Chanter en anglais tient du fantasme. C’est lié à ce qu’on a ressenti quand on a entendu Hendrix, Les Kinks, Janis Joplin pour la première fois. Tu te dis que c’étaient eux, les patrons! »

Après une heure d’entretien Harold Martinez confirme l’image qu’on se faisait de lui à l’écoute de ses deux album : Bird Mum (2012) et Dead Man (2014). Il est un auteur compositeur sensible, dans l’émotion, qui mène jusqu’à leur acmé des chansons entêtantes aux progressions souvent linéaires. Le binôme qu’il forme depuis six ans avec l’excellent batteur Fabien Tolosa – remarquable par son groove et un jeu ouvert – repose sur une amitié et une entente sans réserve. Musicien romantique, sous une apparence de calme, il chante un chemin incertain, à l’instar des personnages héroïques et solitaires des films qu’il affectionne. Le trémolo de sa voix (« Je ne contrôle rien », confie-t-il ) traduit une anxiété et une rage rentrées, toutes deux rythmées par une guitare claquante et sèche, qu’elle soit électrique (un modèle du luthier français Wild Custom) ou acoustique. S’il y a théâtralisation chez Harold Martinez, une mise en scène d’un drame intime – cf la phrase « Tu es un homme mort et tu ne le sais même pas » extraite de Dead Man – elle reste dans une mesure juste et évite les travers dans lesquels ont parfois sombré des chanteurs rock, mus par les mêmes maux, mais qui ont glissé dans un expressionnisme caricatural. Martinez et Tolosa, de leur côté, touchent leur cible et cette cible est le cœur.

Un troisième album est à paraître pour l’automne 2018. Originellement intitulé Animal Skin, maquetté dans les studios de la SMAC Paloma de Nîmes, le projet a été réorienté suite à la disparition de leur ami ingénieur du son. « Nous avons revu tout ce que nous avions fait. Il nous a fallu du temps et nous avons décidé de changer le nom prévu en The Grim Reaper (La faucheuse). Ce sont 10 morceaux très sombres et d’un folk intense. Il clôturera ce que je considère comme une trilogie ».

Harold Martinez, le 30 Avril 2018. Le groupe nîmois est actuellement en tournée. Il jouera à Lyon au Kraspek le 12/05 ainsi qu’au Farmer le 13/06. Au festival TINALS (Nîmes) le 3/06.

Photos: Prescillia Vieira, Goëlha

One comment
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.