Loading...
Interviews

Interview – Isaac Delusion


isaac delusion
Si il y a un groupe parisien dont nous avons suivi le développement avec l’enthousiasme mouillé d’une groupie en chaleur, c’est sans aucun doute Isaac Delusion. Après avoir assisté à plus d’une dizaine de concerts du groupe sur la capitale, nous avons profité d’un déménagement sur la région lyonnaise pour raisonnablement prendre de la distance avec l’objet de notre affection. Un an après notre dernière rencontre au Point FMR pour le Disquaire Day, nous les retrouvons au mois de mai au festival Changez d’Air de Saint Genis les Oillieres, histoire de faire un point sur nos bleuettes passées et surtout sur le chemin parcouru par le groupe en à peine trois ans: une série de concerts au succès toujours grandissant jusqu’au paroxysme d’une date à l’Olympia et un excellent premier album ; une ascension aussi rapide que surprenante pour un groupe aussi jeune, venu à l’origine d’une structure à l’indépendance farouche et parisienne (Cracki Records). Vu de l’extérieur Isaac Delusion a semblé tranquillement suivre la route d’un succès qui lui était promis (car tellement évident à l’écoute des titres ultra catchy à la saveur moelleux fruits exotiques concoctés par le groupe) par la plupart des observateurs. Vu de l’intérieur, la situation apparait un petit peu plus complexe.

Jules, il y a trois ans, lors de notre première interview, tu concluais en parlant d’Isaac Delusion: « Maintenant, il faut que ça paye ». Alors? 

Jules: (rires) Ecoute, Nous avons l’immense chance et le plaisir d’être intermittent depuis le mois de Janvier. Donc ça commence tout doucement à payer. Ca a tout de même été un travail de longue haleine. Cela fait trois ans que nous avons débuté les concerts et même pas six mois que nous avons notre statut d’intermittents.

Isaac Delusion_2Et comment ces trois ans depuis les débuts d’Isaac Delusion vous ont paru?

Loïc: D’un côté, c’est passé vite. Pendant ces trois années, nous avons eu la tête dans le guidon et nous n’avons jamais vraiment arrêté de travailler. Maintenant que nous avons retourné presque toutes les salles de France et que nous avons fait un Olympia presque complet, nous nous demandons quelle va être la prochaine étape avec beaucoup d’excitation. Nous n’avons donc pas forcément vu le temps passer à l’exception de périodes un peu creuses et de doutes comme la sortie de l’album. Au début, celui-ci n’a pas pris directement ce qui a provoqué des remises en question profondes mais d’un autre côté il y a toutes ces grosses phases d’excitation et ce plaisir d’atteindre les objectifs que nous nous étions fixés.

Vous avez pourtant eu dès le début pas mal de support de la part des médias que ce soit Nova ou Tsugi…  

Jules: Plein de gens pensent que depuis notre premier passage sur Nova, nous sommes devenus riches ce qui est totalement ridicule. Il y a cette logique simpliste qui est de dire: tu passes à la radio donc tu gagnes ta vie donc ça marche donc tu es une star. Et pourtant, quand tu vis le truc, tu te retrouves quand même noyé dans la masse. Parce que des groupes qui vont sur Nova, il y en a des centaines tandis que pour la couve de Tsugi, nous nous sommes retrouvés au milieu d’une dizaine d’autres musiciens. Evidemment même pour nous, ce genre de reconnaissance médiatique est gratifiante. Mais une fois que tu es dedans, tu découvres rapidement qu’il faut que tu découvres des moyens de te démarquer.

Plein de gens pensent que depuis notre premier passage sur Nova, nous sommes devenus riches ce qui est totalement ridicule. Il y a cette logique simpliste qui est de dire: tu passes à la radio donc tu gagnes ta vie donc ça marche donc tu es une star.

Loïc: Il y a un grand nombre de groupes sur la scène parisienne qui ont ce statut de groupes en devenir et qui ne s’en débarrassent jamais : des formations qui ont été mises en avant et pour lesquels le soufflet est retombé aussi vite qu’il est arrivé. Ce qui est vraiment compliqué, c’est ce fameux goulot dans lequel tous les petits groupes en vogue sont coincés entre un début de médiatisation et le succès. Et il n’y en a pas énormément qui arrivent à franchir ce palier. Pour moi, le fait de faire un Olympia et le remplir, ça montre que nous ne sommes plus les petits nouveaux.

De l’extérieur, tout avait l’air pourtant beaucoup plus facile pour vous: vous existez depuis quelques mois et vous partez déjà en tournée aux Etats-Unis.  

Loïc: Je pense qu’il faut toujours s’identifier ax groupes qui ont encore mieux réussi. Je reconnais que nous avons eu de la chance puisque ça a décollé en quelques années. Mais il y a des parcours encore plus fulgurants qui sont le résultat d’un travail encore plus important. Christine & The Queens, dont je n’apprécie pas particulièrement la musique, a créé une espèce d’empire et s’est exportée très rapidement. Bref, il faut toujours regarder plus haut et ne pas se reposer sur nos petits lauriers. La musique est un milieu très instable duquel tu peux disparaître du jour au lendemain. Il faut rester dur avec soi-même.

Lorsque je vous ai vu jouer dans un Café de la Danse complet et déchaîné, je me suis pourtant dit que ça y est, le succès était là pour vous.

Jules: Le Café de la Danse, c’est vraiment une date étape, une des premières où nous sommes têtes d’affiche dans une salle parisienne importante et pour laquelle nous avons senti quelque chose de fort se produire avec le public: des gens qui chantent les paroles, la sensation que le public était venu pour nous et la satisfaction de remplir une salle de 500 personnes.

A un moment, je me suis d’ailleurs demandé si vous n’étiez pas un phénomène très parisien. Chaque fois que vous faisiez un concert sur la capitale, c’était blindé mais je n’avais pas vraiment l’impression que ça suivait véritablement en province.

Loïc: Il y a une telle activité artistique à Paris que tu peux très vite avoir l’impression que tu es devenu une superstar. Mais dès que tu passes le périphérique et que tu te retrouves dans une salle à moitié vide, tu reviens sur terre assez rapidement. C’est très difficile d’exporter ta musique même à l’intérieur de la France et de se faire un nom en Province. Nous avons eu la chance d’avoir grandi dans cette niche artistique qu’est Paris où il est assez facile de déclencher un feu de paille. Réussir à avoir une notoriété française est par contre beaucoup plus compliqué. C’est du travail de terrain. Nous nous en sommes rendus compte à nos débuts lorsque nous partions cinq heures en van, que nous débarquions dans des bleds paumés où nous avions fait vingt préventes et où personne ne nous connaissait.

La sortie de votre premier album a été repoussée plusieurs fois.

Jules: Il y avait tout un tas de choses sur lesquelles nous n’étions pas prêts. Loïc a parlé de phases de doutes… La présortie de l’album a été une grosse période d’incertitudes: nous n’avions pas de concerts et les festivals ne voulaient pas nous booker parce qu’ils attendaient que le disque sorte. C’était particulièrement difficile.

Loïc: On dit souvent qu’un groupe, ça ne tient pas à grand chose au début pour qu’il continue, qu’il passe professionnel ou s’arrête. Nous aussi, nous avons traversé cette fameuse phase. Certains dans le groupe envisageaient même d’arrêter le projet donc ouais, c’était sérieux. Nous nous retrouvions, comme on dit vulgairement « dans la merde ». Mais nous avons quand même continué à travailler en nous disant que ça allait bien finir par payer et finalement, au bout d’un moment, la situation s’est retournée et nous avons commencé à gagner notre vie correctement. Et le moment où tout se déclenche, c’est lorsque tu as une équipe derrière toi et un salaire qui tombe tous les mois. A cet instant, tu commences à te dire que même si tu es au SMIC, tous les mois, il y a des rentrées régulières. Et puis, nous avons aussi eu le retour de la SACEM concernant des sommes qui nous étaient dues depuis longtemps.

On dit souvent qu’un groupe, ça ne tient pas à grand chose au début pour qu’il continue, qu’il passe professionnel ou s’arrête. Nous aussi, nous avons traversé cette fameuse phase. Certains dans le groupe envisageaient même d’arrêter le projet.

DSC_0452DSC_0472DSC_0473Jules: Je pense que « Midnight Sun » est l’un des morceaux les plus rentables de l’histoire de la musique vu qu’il a coûté zéro.

Loïc: C’est agréable de ne plus être dans le besoin et de pouvoir payer son loyer, se faire plaisir et emmener sa copine au restaurant. Mais tout cela, nous avons vraiment galéré pour l’obtenir. Après c’est sûr que c’est une vie modeste mais il faut jouer le jeu. Nous sommes des musiciens et nous ne deviendrons jamais des rock stars multi millionnaires. Mais ça reste hyper agréable de se dire que nous sommes dans une situation stable en vivant de notre passion.

L’enregistrement de l’album a été réalisé en petit comité.

Jules: Oui, nous avons tout fait nous-mêmes. Pour ce qui est du côté autarcie, coupés du monde, c’est déjà parce que nous aimions l’idée et que notre ingénieur du son possède une maison en Normandie au milieu de nulle part, loin de tout réseau téléphonique; un environnement bucolique parfait pour l’inspiration. Tout en bossant sur notre album, passer deux mois là-bas avait un petit côté vacances. C’était idéal. Ceci étant dit, si l’ingénieur du son avec lequel nous désirions travailler avait eu une cave à Paris, nous y serions allés sans hésiter une seconde. De toutes façons, nous ne sommes pas encore en mesure de faire ces choix-là. Nous travaillons avec les gens que nous connaissons, avec les possibilités que nous avons et là, en l’occurrence, c’était une chance énorme. Mais cela ne correspondait pas non plus à une envie irrépressible de nous couper du monde.

Il y a trois ans, vous me disiez aussi que vous aviez peur que Isaac Delusion ressemble à un karaoké. (rires) C’est pour cela que vous avez embauché Nicolas et Bastien?

Jules: Par rapport aux débuts très minimalistes entre Loïc et moi, c’est vrai que nous avons en effet bien remédié à ce problème (rires). En fait, cette image du karaoké est surtout liée à la scène. Avec Bastien et Nicolas, nous sommes devenus un vrai groupe à quatre, qui compose à quatre, qui arrange à quatre. Nous sommes désormais un quatuor plutôt qu’un duo qui embaucherait des musiciens de scène. Même si j’ai l’impression que nous avons fait une psychose là-dessus alors que beaucoup de groupes jouent de cette manière… Du coup pour le prochain album, on va se remettre à deux (rires).

Avec Bastien et Nicolas, nous sommes devenus un vrai groupe à quatre, qui compose à quatre, qui arrange à quatre. Nous sommes désormais un quatuor plutôt qu’un duo qui embaucherait des musiciens de scène.

Isaac Delusion_4D’ailleurs, en parlant du prochain album, vous aviez expliqué dans une interview que vous vouliez quelque chose de plus dépouillé.

Jules: Je plaisantais! Ca ne veut surtout pas dire enlever des musiciens! (rires).  On a toujours besoin d’une petite basse funky (sourire).

Loïc: L’album nous a apporté une certaine expérience, une certaine objectivité sur notre musique et nous nous sommes rendus compte que « Midnight Sun » était l’un des morceaux qui marchait le mieux grâce à sa simplicité et son côté dépouillé. Il a été fait en une journée avec uniquement trois pistes: une basse, un sample, une voix. Et pourtant c’est le titre qui a le mieux marché: on s’est exporté grâce à lui, il a tourné sur les antennes. Pour l’album, nous avions beaucoup réfléchi aux arrangements, avec une volonté de rajouter des couches, de faire des instrumentaux bien puissants. Mais au final, nous nous sommes rendus compte que la simplicité était ce qui marchait toujours le mieux. Nous aimerions donc réussir à retrouver la naïveté de nos premiers EP même si je considère que celle-ci n’est pas perdue puisque le style musical du groupe est resté fondamentalement le même. Nous aimerions retourner vers cette naïveté décomplexée mais cela n’est pas évident dans la mesure où nous avons pris du grade en terme de composition et de musicalité et puis nous avons aussi envie d’aborder des choses plus complexes et profondes. Ce n’est pas si facile de se limiter et de se dire que les gens recherchent juste la simplicité et la naïveté.

Nous aimerions retourner vers cette naïveté décomplexée même si cela n’est pas évident dans la mesure où nous avons pris du grade en terme de composition et de musicalité et que nous avons envie d’aborder des choses plus complexes et profondes.

Au sujet du deuxième album, vous en êtes où d’ailleurs?

Jules: Le deuxième album est en cours. Nous avons des nouveaux sons que nous présentons en live, que nous continuons à travailler.

Mais vous pensez que cela prendra autant de temps de sortir un nouveau disque?

Loïc: Sûrement moins. En tous cas, nous l’espérons. Nous avons de l’expérience désormais, nous savons ce que c’est que de faire un album, de prévoir tout ce qu’il y autour. Nous sommes des artistes indépendants donc nous devons trouver une identité visuelle ou une scénographie pour le live par nous-mêmes. Pour le premier album, nous étions très éparpillés car nous manquions d’expérience. Nous n’avions pas compris qu’il fallait confectionner un gros package comportant ton image et un univers que tu vas devoir développer autant que la musique. C’est grâce à cela que des mecs comme Stromae ont tout cartonné car il est arrivé avec cet univers techno et francophone à la Brel, il a développé son personnage en se déguisant de manière originale et androgyne. Pour moi, il est le meilleur exemple de développement d’un projet musical même si, encore une fois, ce n’est pas le type de musique que j’écoute. Néanmoins, dans la globalité du projet, je trouve que c’est une réussite exemplaire. C’est cet objectif que nous aimerions atteindre: proposer un style avec un univers extrêmement défini, une véritable identification visuelle et sonore plutôt que juste faire de la musique pour sortir un album et se cacher derrière notre musique. Cet aspect a manqué à notre premier disque. Nos vidéos étaient un peu hésitantes, dispersées; elles n’offraient pas d’univers visuel cohérent.

Jules: Etrangement, les gens extérieurs ont l’impression que nous avons un univers visuel et sonore qui nous est propre alors que nous n’avons pas du tout ce ressenti. Nous avons envie de quelque chose de plus défini. Même si rester dans un certaine forme d’anonymat avec une image nébuleuse nous plait.

Je me souviens d’ailleurs que vous ne vouliez pas être pris en photographie ou filmés lors de notre première interview.

Loïc: Nous ne voulions pas mais en même temps, cela ne nous dérangeait pas vraiment. Pourtant, si tu veux créer quelque chose de solide même en conservant un aspect nébuleux,  il te faut réfléchir et affirmer des partis pris. Ce n’est pas dans l’absence d’action que tu vas créer quelque chose.

Isaac Delusion_3Vous avez tourné dans des lieux assez improbables. Notamment en Inde.

Loïc: L’Inde était incroyable et le séjour trop court. J’ai trouvé cela extrêmement violent. Nous ne sommes partis que dix jours mais c’est un pays tellement contrasté que, selon moi, il demande de la réflexion, de rester sur place, de regarder comment les gens vivent. Alors que pendant dix jours avec cinq dates, tu t’en prends juste plein la gueule. Tu as tous les côtés négatifs qui ressortent parce que tu n’as pas vraiment le temps de te poser, de profiter, de ressentir quelque chose d’autre. Mais malgré cela, cela a été une expérience incroyable. On a grave kiffé.

Jules: Partout où nous allons, nous avons envie de rester plus longtemps. Nous rencontrons des gens tous les jours, nous voyageons et nous voyons plein de villes mais c’est aussi parce que c’est aussi bon que ça en devient frustrant.

Loïc: Tous les voyages sont super enrichissants même si ce ne sont que des tournées de dix jours ou une semaine. Nous essayons quand même de garder à l’esprit que nous sommes là pour la musique et pas pour faire les touristes.

En Inde, nous avons joué dans un parc en plein air et plein de gens de la rue sont venus nous écouter. C’était une expérience assez dingue car tu pouvais être sur qu’ils n’avaient jamais entendu une musique qui s’approche un tant soit peu de celle que nous jouions.

J’ai lu qu’on vous comparait à Coldplay en Inde.

Loïc: Là-bas, il y a une énorme distance entre le quidam de la rue et les gens qui vont venir spécifiquement pour t’écouter. Ces derniers viennent de milieux assez riches et leur culture a été occidentalisée. Mais au final, ils représentent une infime partie de la population. Alors que parfois, nous débarquions dans des endroits où les gens n’avaient jamais entendu de musique électronique. Un jour, nous avons joué dans un parc en plein air et plein de gens de la rue sont venus nous écouter. C’était une expérience assez dingue car tu pouvais être sur qu’ils n’avaient jamais entendu une musique qui s’approche un tant soit peu de celle que nous jouions. Ils avaient des grands yeux hébétés et j’ai ressenti un choc des cultures monstrueux. Ces gens ont des univers de vie qui sont tellement différents du nôtre que cela met parfois mal à l’aise de confronter nos manières de vivre, de leur balancer notre gros son dans la figure. J’aurais beaucoup aimé rester plus longtemps en Inde. C’est un pays tellement intéressant et profond dont nous avons à peine effleuré la richesse culturelle.

Photos : orimyo

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.