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Interview – Sébastien Schuller

sebastien schuller_540_new_1Sébastien Schuller est sans aucun doute le compositeur de deux des plus beaux albums d’électro française: deux esquisses impressionnistes, harmonieusement réussies d’une mélancolie intimiste tantôt délicatement lumineuse (Evenfall), tantôt sombre et tortueuse (Happiness). Partageant désormais sa vie entre Philadelphie et Paris, il a profité du Wintercamp Festival pour proposer au mois de Décembre 2013 un concert de pré-rentrée au Point Ephémère; un rendez-vous aussi privilégié que surprenant puisqu’il y choisit de présenter uniquement les titres de son futur album encore inédit ; une primeur aux allures de retrouvailles sonores, tant sa musique semble nous être désormais amicale, proche et familière, et d’horizons plus troubles et heurtés, révélant des rythmiques presque dansantes constamment entourées d’un flou gaussien de nostalgie. Une formule que Schuller maitrise à merveille, tout comme il sait, consciemment ou pas, se faire attendre et espérer : d’abord en rompant cinq années de silence avec deux singles éblouissants comme des soleils noirs (« Nightlife » et « Black Light ») et maintenant avec ce futur immédiat incarné par cet album dont nous attendons impatiemment la sortie. Sur ce dernier point, il semblerait, pour citer l’un des groupes préférés du bonhomme, qu’il ne s’agisse plus que d' »A Question of Time ».

Tu donnes l’impression d’un musicien qui prend son temps.

C’est sans doute le cas (sourire). Ceci étant dit, j’ai quand même des circonstances atténuantes. Le premier album, Happiness, représentait à la fois beaucoup d’années de préparation en même temps qu’une majeure partie de ma vie. Ensuite, j’ai composé des musiques de film qui m’ont pris beaucoup de temps. Pour Evenfall, le second album, j’ai déménagé aux États-Unis et, au final, juste complètement changé de vie. Tu sais, en règle générale, réaliser un album par toi-même, cela te prend deux ans: une année pour l’écrire et une autre pour le produire. Maintenant, si le nouveau disque m’accapare autant, c’est que je ne suis pas encore signé sur un label. Bien sûr, l’avantage de travailler ainsi, c’est une grande liberté sur les délais et les échéances. J’aimerais pouvoir le sortir au printemps mais cela peut se décaler selon le distributeur.

Ton nouvel album est fini, alors?

A 90%. Les chansons sont mixées à… 93% (rires).

Cette lenteur ne te pèse pas? 

Je suis hyperactif en composition, je sais que je vais très vite. Ce qui me prend le plus de temps, ce n’est pas de composer, même si parfois des refrains ou des mélodies tardent à venir. Le plus souvent, je compose en une journée ou deux voire une nuit. D’ailleurs, après cet album là, j’ai déjà 6 titres qui attendent; des démos qui sont assez avancées. Je ne sais pas si ce sera un autre album ou un EP mais j’aimerais que cela sorte rapidement après le prochain disque. Ce qui est le plus long, c’est de finaliser les chansons jusqu’au bout et de les amener dans leur étape finale. Je suis encore dans la recherche de la bonne dynamique et la manière appropriée de travailler. Le jour où j’aurai enfin terminé mon studio, lorsque je mixerai moi-même, même si j’aurais surement toujours besoin d’une aide extérieure pour ce travail comme c’est le cas pour cet album, le processus de production sera plus rapide.

Tu enregistres toujours en home studio? 

Oui. C’était d’abord mon appartement parisien entre Pigalle et Montmartre. J’avais beaucoup composé et enregistré là-bas. J’y enregistrais des voix, du piano, des guitares et j’avais une vue imprenable sur Paris. C’était impeccable pour travailler. Depuis, bien sûr, j’ai tout déplacé aux Etats-Unis. Et si le home studio s’est un petit peu amélioré, ce n’est pas encore un vrai studio à proprement parler. Mais j’ai l’intention de le développer. J’ai acheté du matériel et il me manque juste une pièce avec une acoustique appropriée. Mais l’un des grands intérêts de la musique électronique, c’est que tu peux la faire n’importe où.

Tu as l’impression d’avoir changé ta manière de composer depuis tes débuts? 

Je pense qu’elle a évolué. A chaque fois, j’intègre de nouvelles machines et dans le même temps, j’imagine des nouveaux sons. Lorsque j’ai commencé, j’avais un seul synthétiseur. Happiness a presque été entièrement écrit avec cette machine. Les instruments arrivaient ensuite pour reprendre certaines parties. Je pense qu’avec tout instrument et tout synthétiseur, le plus important c’est d’ouvrir un peu le coffre de la machine pour essayer de trouver sa palette sonore avant de l’utiliser. Souvent, j’ai des amis qui me demandent avec quel son ou quel synthétiseur j’ai créé tel effet mais j’ai surtout envie de leur répondre que peu importe. Donnes la même machine à trois, quatre musiciens ou compositeurs différents en leur laissant créer leur propre son, ils vont chacun compiler des banques sonores qui vont leur être propres. Finalement, peu importe l’instrument que tu as entre les mains, c’est toujours la personnalité du musicien qui transparaîtra.

Etre seul maitre à bord pour composer, ce n’est pas parfois compliqué?

Je collabore toujours avec des musiciens qui viennent jouer sur le disque. Sur Happiness et le premier EP, Paul Hanford des Brothers in Sound avait co-produit et co-réalisé. Il est vrai que pour le dernier, il y a moins d’interventions extérieures. Le disque est plus tourné vers l’électronique donc je me suis occupé de toutes les rythmiques. Il y a des bassistes et quelques parties de guitare mais c’est tout. Alors non, cela ne me manque pas tant que cela. C’est vrai que les rencontres amènent le morceau parfois ailleurs mais je crois que j’ai toujours rêvé, d’une façon un peu cachée, de pouvoir finir les morceaux moi-mêmes et de peaufiner un album.

sebastien Schuller_540_2Ça ne t’a jamais intéressé de produire quelqu’un? 

J’ai déjà composé pour d’autres personnes mais cela n’a rien donné. Et je n’ai jamais produit quelqu’un d’autre. Mon problème, c’est que j’ai plein d’albums de retard (rires). Du coup, le temps que que je les termine, que je les sorte, je n’ai pas le temps de m’occuper de qui que ce soit d’autre. Parce que non seulement j’ai mon actualité concernant ce nouveau disque mais j’aimerais aussi distribuer des faces B, des inédits et des raretés de l’époque d’Happiness ou d’Evenfall. Il existe aussi un album majoritairement instrumental post Happiness qui n’a jamais été diffusé que je voudrais enregistrer à nouveau avec des musiciens et distribuer. Tous ces projets prennent un certain temps mais j’aimerais beaucoup accélérer la cadence. Mon but, dans l’idéal, ce serait de sortir un album par an. Après, je ne sais pas si j’arriverai à tenir ce rythme ou même si je trouverai un label ou un distributeur qui me suivra là-dessus. Et il faut bien reconnaître que sur un an, tu n’as parfois pas tous les titres pour faire un bon disque. Quelquefois, il te faut un peu plus de temps.

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Je ne connais qu’un seul remix de tes morceaux, celui de Walter Sobcek pour « Nightlife ».

En effet, c’est le seul remix « validé ». J’ai le souvenir assez vague d’en avoir trouvé un autre sans grand d’intérêt: un beat house avait juste été rajouté sur un de mes morceaux. Mais les Walter Sobcek ont fait du bon travail, ce sont d’excellents producteurs. Le remix est un vrai exercice de style et je trouve qu’ils sont parvenus à construire un truc particulier tout en gardant l’esprit du morceau d’origine; c’est à la fois proche et totalement autres chose. Parfois un remixeur prend une demie mesure d’un leitmotiv ou d’un rythme et part totalement sur autre chose. Dans ce cas-là, je ne trouve pas cela toujours respectueux de l’oeuvre préexistante. Après, sur d’autres chansons, les remixeurs ont du mal. J’ai toujours fantasmé sur des versions club de mes morceaux mais en gros, il faudrait tomber sur un James Murphy ou quelqu’un avec son talent. Le problème, c’est que tu ne trouves pas des James Murphy à tous les coins de rue. Par contre, des gens qui font des choses avec du beat mais aucun talent, qui produisent des morceaux de house ou de techno où il ne se passe rien et qui se sont faits des noms et beaucoup d’argent là-dessus, il y en a beaucoup trop.

« Des gens qui font des choses avec du beat mais aucun talent, qui produisent des morceaux de house ou de techno où il ne se passe rien et qui se sont faits des noms et beaucoup d’argent là-dessus, il y en a beaucoup trop. »

Toi-même, tu n’as jamais remixé un morceau?

J’ai remixé un morceau de M83 il y a longtemps; c’était prévu pour leur second album. Mais en fait, vu que la version n’avait plus rien à voir l’original, du coup, je l’ai gardée pour moi (rires). C’est le morceau « Wolf » sur Happiness mais ce n’est pas reconnaissable. 

Tu as déjà eu la tentation de produire des morceaux disco ou de la house sous un pseudo?

Totalement. C’est d’ailleurs quelque chose qui pourrait arriver (rires) et je ne sais pas si ce sera forcément sous un pseudonyme. Avec ce nouvel album notamment, je pense que j’évolue vers quelque chose de différent et justement les derniers morceaux que j’ai écrits sont très différents du reste de l’album. Par contre, le futur 6 titres dont je t’ai parlé est bien plus pop. Mon tournant house, ce sera pour le EP suivant (rires).

« Nightlife » et « Black Light » ont été distribués en numérique. Tu es encore intéressé par le support physique?

Ces deux chansons seront sur l’album. Pour moi, elles représentent un peu des cartouches pour présenter un disque, des singles pour l’artiste et pas obligatoirement pour le public, des morceaux alimentés d’une vidéo. J’ai encore la volonté de proposer des beaux objets CDs ou vinyles même si je suis conscient qu’aujourd’hui, la majorité de la musique se vend en digital ou ne se vend plus mais se télécharge illégalement.

Quid du format album?

Sortir des formats courts me plaît. Comme je te l’ai dit, mon disque suivant pourrait être un six titres ; je suis conscient que les gens ont moins de temps pour s’arrêter sur la musique et qu’avec toutes ces choses qui passent sur Internet, ils passent leur temps à zapper. D’ailleurs c’est un peu aussi mon cas (sourire). Mais j’aime l’idée de créer sur la longueur notamment parce qu’il est aussi extrêmement difficile d’exister constamment sur des 4 titres. J’en ai eu l’expérience avec mon premier EP. Les médias vont plus parler d’albums, de singles rattachés à des vidéos que de ton quatre titres. Des médias culturels pointus comme Les Inrocks ou Magic vont relayer l’info pour un single sur leur site Internet mais malgré tout, pour que l’on parle un peu plus de ta musique, il faut toujours que cela sorte en album. Tu pourrais le comprendre de la part des gros médias mais même les petits blogs attendent l’album pour s’intéresser à ton travail. Alors bien sûr, si c’est un single de Daft Punk, tout le monde va se pencher dessus. Mais si tu n’es pas Daft Punk, ce type de format est plus dur à travailler. Tu as besoin d’un plus gros bateau qui arrive pour faire plus de bruit ou te donner plus de visibilité.

A l’écoute de tes deux derniers singles, j’ai l’impression que ta musique devient de plus en plus urbaine. 

Ma femme et moi nous baladons souvent en voiture la nuit dans Philadelphie. Pendant qu’elle conduit, je prends des photos en mouvement de la ville en écoutant mes maquettes. Même si j’aime toujours autant la nature, j’apprécie aussi la ville. J’habite près d’un centre-ville qui ressemble à un petit Manhattan dans lequel je me rends souvent.

Qu’est-ce que ça apporte de vivre à Philadelphie? 

Les lieux qui t’entourent t’influencent constamment: ton mode de vie change, ton environnement est totalement différent. Ce que j’aime beaucoup à Philadelphie, c’est que c’est une ville avec des multiples visages, elle se trouve à la croisée de plusieurs états: la Pennsylvanie, le Maryland, le New Jersey. Tu y retrouves des gratte-ciels art déco, des lumières flirtant entre le mauve et le violet. Étrangement, sous certains aspects, tu as parfois l’impression de te retrouver à Miami. Il y fait très chaud l’été et j’ai beaucoup vécu de tempêtes tropicales et d’ouragans. Cette ambiance un peu moite des étés américains, c’est quelque chose qui a beaucoup influencé l’album.

Parle-moi du nouvel album. Du bas de la scène, j’avais l’impression d’un disque assez dansant.

J’essaie toujours de faire de jolies mélodies, de garder un rapport mélancolique mais c’est vrai qu’il y a deux trois chansons qui sont plus dansantes et rythmées. Tu retrouves beaucoup de boites à rythmes dans la lignée de toute la musique que j’ai écoutée lorsque j’étais plus jeune. Même s’il y a d’autres sources et ramifications, des influences new wave comme Depeche Mode ou Orchestral Manoeuvres in the Dark ne m’ont jamais réellement quittées mais je préférais attendre patiemment avant de m’y attaquer sérieusement. J’ai aussi le souvenir du Paris de mon adolescence, celui des années 80, lorsque je vivais en banlieue et que les Halles représentaient l’endroit où toutes les modes se passaient, où tu retrouvais les punks et les new-waves. En gros, sur ce nouvel album, tu retrouves mon vécu à Philadelphie, la moiteur, les tempêtes tropicales, cette impression de Miami et de Floride et de toute cette adolescence sur Paris et notamment aux Halles.

Tu t’habillais comme un corbeau à l’époque?

Non, je ne me suis jamais habillé comme un corbeau. J’aimais bien Cure mais je n’étais pas Cold Wave, j’étais New Wave. Mon truc, c’était plus les vestes d’aviateur (rires) .

« J’avais le sentiment de ne pas avoir totalement emmené Evenfall là où je le voulais. J’aime toujours autant toutes les chansons mais je ne peux pas m’empêcher de m’arrêter sur les défauts de l’album. »

Par rapport à Happiness et Evenfall, tu le situes où cet album?

Ça paraît bidon de dire cela mais vraiment comme une nouvelle page. J’avais le sentiment de ne pas avoir totalement emmené Evenfall là où je le voulais. J’aime toujours autant toutes les chansons mais je ne peux pas m’empêcher de m’arrêter sur les défauts de l’album. Alors bien sûr, tu vois toujours les imperfections de tes anciens disques. Mais sur Happiness, j’avais l’impression d’avoir fait tout ce que j’avais pu à un moment donné tandis que pour Evenfall, il y a certaines choses que j’aurais pu corriger pour proposer un travail plus abouti. Même si ce sera aux gens de juger, j’ai l’impression que c’est un album plus solide et encore différent des précédents.

Qui va s’occuper de l’artwork? Le premier album, c’était ton ancienne amie suédoise, le deuxième, c’était ta femme, quid du troisième?

Pour l’instant, c’est moi. Je ne sais pas encore à quoi va ressembler la pochette de l’album mais j’ai utilisé deux de mes photos pour les deux singles donc je pense continuer dans cette voie.

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Pourquoi ce choix de ne jouer que des nouvelles chansons au concert du mois de décembre au Point Éphémère?

D’abord, il s’est écoulé pas mal de temps et j’estime que c’était le bon moment pour proposer de nouveaux morceaux. Ensuite, les chansons des albums précédents ne collent pas forcément à ce set très électronique ou alors il faudrait les reprendre, les réinterpréter, les réarranger. Cela demande un peu plus de temps et nous en avions peu pour répéter. « Tears Coming Home » est l’une des rares chansons qui, même dans son état, pourrait facilement rejoindre le nouveau set. Au contraire, « Weeping Willows » dans sa version originale ou même celle jouée pendant les concerts, est plus organique et s’appuie sur les montées de guitare. Enfin, j’aime le parti pris de faire découvrir un disque sur scène et d’autant plus lorsque celui-ci n’est pas sorti. J’adorerais aller voir des musiciens dont je suis fan et dont j’ai aimé les albums précédents pour découvrir leur nouveau travail directement sur scène. Parfois j’entends parler de groupes et je trouve plus intéressant d’aller les écouter directement en live, sans écouter le disque ou m’être encombré de chroniques et de trop d’à priori, en connaissant juste le nom et une vague couleur musicale. Te faire ta première impression sur un concert, c’est tout de même un privilège.

C’est rare. Les gens ont souvent besoin d’avoir une histoire avec une chanson pour aller voir un concert.

Non seulement c’est rare mais c’est aussi dommage. Je pense que c’est une éducation à faire. J’ai souvent mixé des titres dans des soirées. Il y a des bars dans lesquels on te pousse toujours à jouer des hits. Tu te retrouves à mettre 90 % de tubes connus pour pouvoir éventuellement proposer 10 % de chansons plus obscures. Et je trouve cela dommage. Même si il y en a plein d’autres côtés que j’apprécie, c’est un esprit français que je n’aime pas. Au contraire, en Suède, tu vas dans plein de soirées et les gens dansent sur tout et n’importe quoi, juste pour le plaisir de faire la fête tout en découvrant en direct des super titres pops et électro ; ça ne va pas les empêcher de bouger. Les auditeurs, que ce soit dans les soirées ou les concerts devraient être un peu moins peureux et se lâcher un peu plus, ne pas avoir peur d’écouter et de découvrir. En même temps, je comprends qu’aller à un concert représente un moment de partage avec les personnes qui t’accompagnent; on peut se demander : « Ah, il va jouer ça. Comment va-t-il le jouer? ». Mais échanger autour d’une découverte a tout autant d’intérêt sinon plus. Pendant longtemps, les Animal Collective jouaient leurs albums avant qu’ils ne sortent et la conversation après le concert devenait tout de suite un peu plus passionnante ; chacun trouvait sa chanson préférée qui n’était pas forcément le single sorti peu de temps avant. Ca détruisait cette idée marketing du tube et donnait une valeur égale à tous les titres de l’album… Voilà. C’est la grande propagande que je mène. Mais je ne sais pas si beaucoup de personnes voudront me suivre (rires).

« Les auditeurs, que ce soit dans les soirées ou les concerts devraient être un peu moins peureux et se lâcher un peu plus, ne pas avoir peur d’écouter et de découvrir. »

Tu crois donc aux coups de foudres scéniques?

Tout à fait, ça peut arriver. La première fois que je suis allé voir Sigur Ros, je n’avais quasiment rien entendu à leur sujet. C’était au Roskilde Festival en 2000. Ils jouaient le lendemain du drame durant lequel 9 personnes étaient mortes écrasées pendant le concert de Pearl Jam. Il y avait une ambiance de recueillement sur tout le festival et lorsque je les ai vus sous ce petit chapiteau, il y avait un côté pastoral et, même si je ne suis pas croyant, quasi religieux. Au final, c’était l’unique type de musique que tu pouvais écouter ce jour-la.

Je t’ai vu en concert trois fois pour tes trois albums différents et tu m’as l’air de plus en plus détendu sur scène.

C’est l’avantage de ces nouveaux morceaux qui provoquent un nouveau rapport entre la scène et le public. Je vois de plus en plus de gens danser ce qui n’était pas le cas auparavant. Et nous-mêmes, nous avons tendance à plus bouger et à prendre pas mal de plaisir. Cela rejoint entièrement un rêve d’adolescent à travers cette musique que j’écoutais plus jeune. Au contraire, Happiness était plein de fragilité: c’était ma première expérience live en tant que chanteur et la musique était extrêmement compliquée à représenter sur scène; la maîtrise de l’orchestration ou le rendu sonore n’étaient pas évidents à repenser. Souvent les tournées étaient meilleures sur leur fin qu’au début même si je crois me souvenir que notre première Cigale avait été pas mal. Aujourd’hui, entre le groupe original et l’actuel, même si nous sommes un peu moins nombreux, il y a peu de changement: le guitariste est passé à la basse mais le batteur est le même. Cela nous permet de progresser tous ensemble et de nous connaître de mieux en mieux.

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Quand je regarde la video de « Nightlife » et celle de « Black Light, » je ne peux m’empêcher de voir des caractéristiques communes.

Il y a des ressemblances évidentes: l’environnement urbain et nocturne, les personnages féminins… Certaines scènes semblent se répondre:  dans les deux vidéos, tu retrouves les jeunes femmes dans une voiture à envoyer des textos. Cela me dérangeait au début puis je me suis rendu compte que ce n’était pas du tout la même histoire, que le style des réalisateurs était vraiment différent. J’étais plus impliqué dans la vidéo de « Nightlife »: j’ai choisi le lieu et j’ai envoyé Emily Kai Bock filmer. Je voulais faire ressortir la tristesse du monde de la nuit. Ayant moi-même fréquenté beaucoup de clubs, je me rendais compte que pas mal de gens y venaient pour exorciser leurs démons mais que finalement, au bout de la nuit, ils repartaient avec. Parfois, tout le poids de ta vie ressort de manière encore plus forte au petit matin. C’était mon pitch de départ. Emily l’a raconté avec son propre style, sa propre histoire. Pour moi, elle a le talent d’un Harmony Korine. D’ailleurs elle vient de réaliser une vidéo pour Arcade Fire. Pour « Black Light », j’avais prévenu Thomas Rhazi, le réalisateur, de faire quelque chose de différent. Il est parti sur sa propre création, a travaillé sur peu de journées et réalisé un film singulier avec une cinématographie proche de Wong Kar-Wai. Il peut y avoir une similitude de famille entre ces deux vidéos mais selon moi, ces ressemblances sont une coïncidence. Mais il n’est pas impossible que la troisième soit dans le même registre. En fait, je ne sais pas à quoi elle ressemblera.

« Ayant moi-même fréquenté beaucoup de clubs, je me rendais compte que pas mal de gens y venaient pour exorciser leurs démons mais que finalement, au bout de la nuit, ils repartaient avec. »

Tes musiques de films ne sont jamais sorties ou réutilisées sur tes disques?

Non. Mais peut-être que ça sortira par la suite avec la création de mon label même si la ressortie d’Happiness en vinyle reste ma priorité. Ecrire pour les films, c’est une bonne expérience à tous les niveaux: cela t’apprend à écrire à l’image, financièrement, cela t’aide aussi à te relancer, à t’acheter du matériel. De plus à chaque fois, j’ai eu la chance de travailler avec des réalisateurs doués et pointus musicalement. J’ai eu des très bons rapports avec Franck Guérin qui est aussi musicien et qui s’est impliqué d’un point de vue création. Je refais actuellement une BO à nouveau pour Julie Lopes-Curval. Elle a une très bonne oreille et c’est agréable de travailler ensemble. De plus, je n’ai pas un égo arrêté donc cela ne me dérange pas lorsque quelqu’un s’assoit à côté de moi pour développer des arrangements ou éditer, placer, faire des choix.

Ca te gêne que l’on te dise que tu fais de la musique déprimante?

Non, parce que je sais que des albums tristes peuvent t’accompagner si tu es déprimé dans ta vie. Je me souviens ressentir à travers un artiste, par son écriture, par ses paroles ou sa musique des similitudes de sentiments. J’avais la sensation de vivre la même chose et de le comprendre. J’imagine que cela doit être pareil lorsque tu es écouté. J’ai aussi reçu plein de témoignages opposés de gens qui voyaient un titre rempli de mélancolie comme « Weeping Willows » de manière différente : certaines personnes le trouvait déprimant tandis que d’autres le trouvaient joyeux comme un film printanier. La musique peut être prise de manière différente par chaque auditeur.

« Tu restes imprégné par ton passé et quand tu as grandi en banlieue, c’est quelque chose qui t’accompagnera toujours. « 

Tu as déjà imaginé à quoi aurait ressemblé ta vie si tu avais continué à vivre dans les Yvelines? 

A la même chose, j’imagine. Bien sur, tu fais une musique différente en fonction des lieux dans lesquels tu habites mais j’ai été très influencé par ces 20 ans de vie dans les Yvelines, entre Aubergenville et Trappes. Tu restes imprégné par ton passé et quand tu as grandi en banlieue, c’est quelque chose qui t’accompagnera toujours. La preuve, je te parle autant de Miami et de Philadelphie que de ma vie de banlieusard qui montait en train sur Paris pour aller traîner aux Halles. J’emmène ces endroits partout où je vais.

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