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Interview – The Bilinda Butchers

Adam_TheBilindaButchers_270Nous avons bien souvent répété tout le bien que nous pensions des Bilinda Butchers ; duo multi-instrumentiste de dream-pop de San Francisco, toujours pas reconnu, selon l’opinion unanime de la rédaction de DarkGlobe, à sa juste valeur. Cela faisait plusieurs mois que l’envie d’une interview rôdait pernicieusement entre les claviers de la rédaction mais, au vu de notre affection pour le groupe, la réaliser de manière épistolaire n’avait rien de particulièrement excitant. Alors, le jour où nous avons appris (merci fessebouc, parfois tu sers à quelque chose) que l’un des deux membres du groupes avait programmé quelques jours de vacances aoûtiennes dans la torpeur moite de notre capitale hexagonale, nous avons flairé la bonne opportunité. Ni une ni deux, rendez-vous était pris place Saint-Michel avec Adam puisque Michal s’était, lui, envolé auparavant au Japon pour quelques concerts acoustiques. Après un petit tour chez Gibert Joseph, histoire qu’Adam se délaisse d’une petite dizaine d’Euros pour un 45 tours de Veronica Falls, il se retrouvait assis à la terrasse d’un café, tout près d’Odéon, pour se désaltérer le gosier avec une petite série de tournées de Desperados. Alors que le groupe vient d’annoncer la prochaine sortie de leur premier album, l’interview éclaire particulièrement sur la dynamique et le fonctionnement interne du duo.

Depuis votre single « Lovers Suicide », nous n’avons pas entendu parler des Bilinda Butchers.

Je pense que Michal et moi avons ressenti peu à peu de plus en plus de pression. The Bilinda Butchers a sorti deux EP, un single et nous en sommes désormais arrivés à un point où la suite logique consiste à sortir un album. Jusqu’à maintenant, à l’exception des différences de durée avec un EP, ce concept d’album n’a jamais eu vraiment d’importance pour moi ; que ce soit 5 ou 10 chansons, je m’en fichais. Pas mal de temps a été nécessaire pour élaborer ce disque mais cela a fonctionné puisque l’album est maintenant totalement conceptualisé et que nous allons désormais pouvoir le réaliser.

Tu as une idée d’où vient cette pression?

D’une certaine manière, je crois que nous l’avons créée nous-mêmes en planifiant ce disque. Les deux EP étaient avant tout une collection de chansons que nous aimions. Il y avait vaguement une histoire à suivre, un ton général d’ensemble mais pour l’album nous voulions quelque chose de stylistiquement et thématiquement bien plus cohérent. Je crois qu’il y a aussi ce besoin impératif de satisfaire les gens qui attendent des nouveaux morceaux des Bilinda Buchers depuis si longtemps.

Lorsque je lisais vos interviews ou vos déclarations, vous donniez l’impression d’avoir un tas de chansons en stock.

Effectivement, il y a beaucoup de morceaux qui sont terminés en terme d’écriture mais qui ne sont pas mixés, masterisés voire enregistrés correctement. Cela nous prend énormément de travail et de temps d’arriver au niveau de qualité où nous acceptons de les diffuser. Michal est allé dans une école d’ingénieurs du son donc il est perfectionniste et il ne veut rien sortir qui ne soit pas parfait ou proche du parfait. Il y a des chansons qui sont quasiment finalisées et que j’aimerais diffuser mais qui ne correspondent pas encore au standard que Michal désire.

Comment partagez-vous les compositions?

Je crois que cela a toujours été un sujet de discussion pour tous les deux. Nous sommes deux personnes totalement différentes et aux goûts distincts. Sur les deux derniers EP, Michal a presque toujours été le chanteur; il écrit les chansons que j’illustre à la guitare. Tu as du te rendre compte que j’ai déjà beaucoup mentionné Michal. Sa vision du groupe est bien plus claire et typiquement, si tu penses au son des Bilinda Butchers, c’est le sien. Dans le même temps, nous sommes amis depuis nos treize ans, nous avons appris à jouer de la musique ensemble et il a toujours existé entre nous des liens extrêmement forts pour ce qui est de nos envies et ambitions musicales. Je pense que pour l’album, nous allons essayer d’être plus collaboratifs, de chanter et d’enregistrer ensemble. J’ai l’impression que nous avons désormais envie de travailler ensemble au lieu de chacun dans notre coin.

« Je pense que pour l’album, nous allons essayer d’être plus collaboratifs, de chanter et d’enregistrer ensemble. J’ai l’impression que nous avons désormais envie de travailler ensemble au lieu de chacun dans notre coin. »

Tu parlais de nouvelle étape pour vos chansons, est-ce que tu peux m’en dire un peu plus à ce sujet?

Je pense que « Lovers Suicide » est un indicateur assez précis de ce vers quoi nous voulons tendre. Le morceau est un peu plus agressif… Encore que « agressif » n’est sans doute pas le mot approprié, juste plus « direct ». J’ai le sentiment que les deux premiers EP étaient assez rêveurs et peut-être pas assez tranchants. Ce sont peut-être des choses que Michal et moi sommes les seuls à remarquer et beaucoup de personnes considèreront que le futur album est directement en ligne avec ce que nous faisions auparavant mais au moins, l’histoire sera totalement formée. La mélancolie sera toujours présente au niveau du contenu des textes: l’album décrit une histoire tragique avec comme point d’orgue, « Lovers Suicide »; cette chanson sur la mort de deux amants à cause de leurs sentiments réciproques.

« Lovers Suicide » est basé sur une nouvelle japonaise écrite par un occidental.

En effet. En japonais, il existe même un mot pour ce genre de suicide. C’est une figure mythologique: deux amants qui, pour une raison ou une autre, sont déchirés et qui, plutôt que d’être séparés préfèrent être réunis dans la mort.

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Pourquoi êtes-vous autant attirés par le Japon?

Michal est passionné par l’histoire et spécifiquement la culture des samouraïs: la transition d’un vieux Japon à l’époque Meiji qui correspond à l’occidentalisation du pays. J’ai étudié le japonais à l’école et cette période est fascinante, très étrange. Elle coïncide à une crise d’identité profonde. Depuis que nous avons 15 ans, Michal et moi écoutons pas mal de groupes japonais indie: Zazen Boys, Luminous Orange qui écrit l’un des meilleurs shoegaze que je connaisse ou encore Advantage Lucy, un groupe indie pop extraordinaire. Cette influence est toujours présente dans notre musique. Nous adorons aussi les musiques de jeux vidéos et nous sommes allés jusqu’à en utiliser dans nos morceaux. Je crois que toutes ces références ont fini par converger et créer du sens. Michal a toujours voulu faire un album narratif et il nous paraissait finalement assez naturel que le Japon ait une influence majeure sur le récit. Cela va donc être un album sur une histoire japonaise.

Au sujet du futur album, avez-vous trouvé un label pour le diffuser?

Fastcut Records, notre label japonais ne nous en a parlé spécifiquement mais nos deux EP se sont plutôt pas mal vendus donc j’imagine qu’ils seront d’accords pour le diffuser là-bas. Et puis, nous adorons ces gars.

Je sais que vous êtes sur un label américain (Discau), japonais (Fastcut Records) et que vous travaillez avec Beko pour la distribution de vos singles mais au vu de votre potentiel et de votre grand nombre de fans Facebook, je suis encore étonné que vous ne soyez pas signés sur un gros label.

C’est un autre sujet dont Michal et moi avons beaucoup parlé. Mais pour être honnête, la première raison pour laquelle nous avons autant de personnes qui nous suivent, c’est parce que nous existons depuis déjà pas mal d’années: 6 ou 7 en fait. Plus longtemps que la plupart des groupes qui sortent leur premier album, se font signer et deviennent célèbres du jour au lendemain. Je crois aussi que comme nous n’avons pas joué en concert à nos début, nous n’avons pas de base de fans centralisée. Par exemple, typiquement les groupes de Oakland en Californie ont des fans de leur ville natale avant de sortir un hit et de toucher plus de monde. De notre côté, nous avons une identité centrée sur Internet et nos fans se trouvent en Europe ou en Asie.

D’ailleurs, comment êtes-vous entrés en contact avec Beko?

C’était il y a vraiment très longtemps, à l’époque de Myspace. Nous étions le quatorzième single numérique du label, sorti juste après le « Into the Lighthouse » de Memoryhouse. C’était à la fois tôt pour Beko et pour nous. Ce single numérique est une de nos toutes premières versions de « Tulips » suivie d’une reprise juste ridicule du « This Love is Fucking Right! » des The Pains of Being Pure At Heart. Mais Beko a pu voir quelque chose et nous en lui sommes extrêmement reconnaissants. Il nous a offert une opportunité avant que qui que ce soit ne s’intéresse à nous.  Quand il a fait sa compilation de 100 morceaux ou qu’il a décidé de sortir des 45 tours, il nous a tout de suite contacté en nous proposant de participer. Nous étions vraiment enthousiastes pour le 45 tours car c’était la première fois qu’un de nos morceaux allait sortir sur vinyle.

Il y a une scène musicale spécifique à San Francisco?

C’est plutôt une scène garage avec des groupes comme Thee Oh Sees, Ty Segall, deux groupes que j’adore, ou Kurt Vile: quelque chose d’assez bruyant avec des guitares agressives style rock sixties. Mais la scène n’est pas indie-pop. Craft Spells par exemple ne fait pas très souvent des concerts sur San Francisco. Michal connait Justin Vallesteros (la tête à tout faire de Craft Spells, NDLA) depuis environ 5 ans parce qu’il sortait avec une fille de la même ville. J’avais aussi l’habitude de voir Justin à tous les concerts auxquels j’assistais et un jour, à un concert de Mac De Marco, nous avons réussi à être suffisamment bourrés pour surmonter notre timidité et finalement discuter ensemble. Il connaît tous les groupes de Captured Tracks.

« Il est important pour des labels d’avoir des groupes qui peuvent tourner et cela ne correspond pas à deux potes dans leur chambre en train d’enregistrer des parties de guitare. »

Je vous aurais bien vus sur Captured Tracks.

Nous avons envoyé des démos à un paquet de labels. Mais je crois que l’une des raisons principales pour laquelle nous n’avons jamais été approchés par de plus gros labels, c’est parce que nous ne faisions pas de concerts. Il est important pour des labels d’avoir des groupes qui peuvent tourner et cela ne correspond pas à deux potes dans leur chambre en train d’enregistrer des parties de guitare.

Pourtant, vous avez fait quelques concerts l’an passé avant de vous arrêter subitement.

J’imagine que nous nous sommes arrêtés pour pouvoir nous concentrer sur l’écriture de l’album. Et il était vraiment difficile pour nous d’arriver à un moment où nous nous sentions en mesure de jouer devant un public. Michal et moi sommes les seuls compositeurs. Nous avions un batteur qui nous aidait pour l’écriture des parties de batteries mais, qui, je viens tout juste de le découvrir, déménage à Berlin. Notre bassiste est à la fois l’un de nos meilleurs amis et le colocataire de Michal. Nous avons eu successivement deux claviers puisque l’un d’eux est parti entretemps. Sur scène, la musique est très difficile à reproduire de manière fidèle parce que l’instrumentation change de manière radicale entre les chansons. Qui plus est, le degré de précision nécessaire sur un morceau comme « Tulips » avec cette répétition des parties de guitare ne correspond sans doute pas au genre de musique que tu veux écouter pendant un concert. C’était très difficile pour nous même si je ne pense pas que nous étions si mauvais que cela. Les gens ont plutôt aimé nos prestations. L’autre raison pour laquelle nous nous sommes arrêtés, en plus de vraiment vouloir nous concentrer plus sur l’écriture, c’était que nous n’étions pas complètement satisfaits de ce à quoi ressemblait nos sets. Je sais ainsi que Michal aimerait être un peu plus théâtral, que l’on ait moins l’impression d’un groupe de guitares et que cela ressemble un peu plus à un show.

« Sur scène, la musique est très difficile à reproduire de manière fidèle parce que l’instrumentation change de manière radicale entre les chansons. »

Vous n’avez pas essayé de jouer avec des parties totalement enregistrées?

C’était juste compliqué de recréer l’atmosphère, d’atteindre ce niveau où nous étions totalement satisfaits. Après avoir sorti notre album, je ne crois pas que nous jouerons en live tout de suite. Je suis encore étudiant, Michal et moi travaillons tous les deux, nous avons des emplois du temps assez lourds donc nous ne pouvons pas tout plaquer pour partir en tournée. Mais peut-être que nous serons plus disponibles en hiver.

On vous a proposé de tourner?

Je crois qu’on nous l’a proposé voici quelques années, en tant que première partie.

Tu ne m’as pas l’air de quelqu’un qui laisserait tout tomber pour la musique et tourner.

Non, c’est vrai. Absolument pas. C’est sans doute la grande différence entre Michal et moi. Et cela influe sur notre position respective dans le groupe. Tous les jours, il écrit, enregistre de la musique; chose que je ne peux pas faire. J’ai plein d’autres occupations et ce serait totalement irréaliste. Une fois que je serai diplômé, peut-être qu’il me sera plus facile de consacrer plus de temps à la musique.

Mais tu ressens le besoin de t’impliquer dans ta musique?

Je connais beaucoup de types de mon âge qui sont dans des groupes relativement populaires, qui partent en tournée et qui ont des jobs à côté. J’imagine que trouver un équilibre entre toutes ces activités n’est pas facile mais que je n’aurais pas à sacrifier mon boulot pour autant. Mais aujourd’hui, en tant qu’étudiant, ce n’est vraiment pas évident car je suis toujours dépendant de mes cours et je ne peux pas m’absenter de l’université. Qui plus est, j’ai beau être jeune, je suis déjà plutôt vieux pour être étudiant donc j’ai vraiment besoin de finir mes études. (rires)

Tu n’as pas l’impression de conduire ton activité musicale avec le pied sur la pédale de frein?

(Hésitant) Tu sais, nous sommes quasiment partis en tournée au Japon cet été. Et j’étais sincèrement enthousiaste à ce sujet. Cela aurait été problématique d’un point de vue financier mais notre label japonais proposait de nous aider. De plus, Michal et moi avons toujours voulu aller ensemble au Japon. Je crois que lorsque l’opportunité se présente, je suis vraiment prêt à foncer parce que mettons-nous d’accord: c’est génial de faire partie d’un groupe, d’écrire des chansons, de faire des interviews et si je ne le fais pas maintenant, quand est-ce que je le ferai? Est-ce que l’opportunité se présentera encore dans trois ans, est-ce qu’il ne vaut pas mieux que j’en profite maintenant? Mais j’étudie actuellement la littérature à l’université, c’est important pour moi et c’est quelque chose auquel je ne veux pas tourner le dos.

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Vous avez permis à des musiciens de remixer vos morceaux (« Tulips » et « Careless Teens »).

Lorsque nous avions environ 17 ans, la musique électronique était très populaire et nous étions très branchés Ed Bangers Records. En écoutant les artistes du label, nous nous disions que nous aurions aimé posséder les différentes pistes des morceaux et les outils pour les remixer. A l’époque du premier EP, lorsque certaines personnes nous ont contacté pour remixer telle ou telle chanson, nous nous sommes dits : mettons-les en libre disposition et si des musiciens veulent les utiliser, elles pourront le faire. Et certains remixes sont vraiment très bons comme par exemple celui de « Tulips » par The Cold Napoleons que j’adore. Nous avons diffusé tous les remixes qui nous ont été envoyés et nous n’avons empêché personne de les sortir.

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Mais vous avez fini par faire des remixes vous-mêmes?

J’adorerais faire ce genre de trucs mais j’en suis incapable. Je sais juste jouer de la guitare et composer des mélodies. Mais Michal a récemment remixé un groupe d’Oakland appelé Mr Loveless; des amis de notre ville natale. Le remix est très bien et vaut vraiment la peine d’être écouté.

Qu’est-ce qu’on peut attendre des Bilinda Butchers pour le futur?

Nous n’avons pas un agenda très clair pour le moment. Michal et moi, nous ne nous sommes pas vus cet été puisque nous étions tous les deux en voyage. Je pense qu’une fois rentrés, nous allons finir d’écrire les nouvelles chansons, établir la tracklist, puis décider si nous allons enregistrer en studio ou chez nous. L’album va devenir le centre de notre attention et une fois que tout sera prêt, nous ferons de notre mieux pour le sortir aussi rapidement que possible.

Pour en revenir à Justin Vallesteros, il expliquait dans une interview qu’il avait parfois l’impression d’être quelqu’un d’à part dans sa ville parce qu’il n’écoutait pas la même musique que les autres. C’est quelque chose que tu ressens aussi parfois?

Oui, j’ai aussi tendance à me sentir musicalement isolé. J’en ai d’ailleurs récemment parlé à ma copine. Lorsqu’une chanson est diffusée pendant une soirée et que tout le monde devient mélancolique en disant « Oh, je me souviens de cette chanson », je suis souvent le seul à ne rien ressentir. Tout cela parce que je n’ai jamais écouté la radio. J’essaie désormais d’être un peu plus au courant de ce qui est considéré comme « cool » mais lorsque j’étais plus jeune, je n’en avais absolument rien à faire, cela ne m’intéressait pas. Aujourd’hui, je me rends compte que c’est parfois agréable d’écouter la musique que tout le monde aime.