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Disques

Jean-Louis Murat / Morituri

morituriUne chose sombre, lisse et brillante comme les eaux noires d’un lac au bois dormant, au milieu duquel, sous une lune pâle, nagent en s’ignorant deux énigmatiques cygnes blancs. Voici l’image que propose Morituri quand on l’a sous les yeux pour la première fois un matin d’Avril, et qu’on se demande ce que peut bien augurer ce titre aussi digne que définitif : Ceux qui vont mourir. Est-il l’annonce d’un clap de fin ? Et de qui et de quoi et pourquoi ?

Quelques jours plus tôt, on avait pu voir dans le métro parisien, les affiches réalisées par Pias (label de Murat), annonçant la sortie de l’album et un premier rendez vous de l’Auvergnat avec son public. Non sans humour – le chanteur y posait en caleçon, ce qui reste quand on vous a tout pris – au bord d’un chemin de campagne (celui d’un haut plateau du Massif Central pensait-on), le regard plissé, scrutant on ne savait quel point éloigné. Ainsi dépouillé, voire fragilisé, l’homme bougon restait pourtant droit et bien campé, en veste noire et chemise cravatée, cocasse par hasard, mais tenant encore à ce qu’il était. C’est sans doute là, dans le message implicite de l’image, que se trouve la clé de Morituri (comme une de celles permettant de saisir l’œuvre du chanteur qui n’en déclare pas, et considère qu’une chanson n’est vraiment pas grand chose).

Développé sur onze titres, le propos de l’album écrit et composé par JLM Bergheaud, réalisé par Jean-Louis Murat – deux figures du même, l’homme simple et sa représentation en figure d’artiste – paraît à priori aussi sombre que ce que laissait supposer sa pochette. L’écriture, serrée et stylée, chante à demi-mots des histoires incomplètes, intimes et captives d’un temps dérouté : 2015 – inscrit en chiffres rouges au centre de la dernière page du livret intérieur. Le verbe de Murat garde son caractère qui porte la trace d’une culture littéraire vaste. On y entend des phrases entre roman courtois et poésie médiévale réactualisés, lignes curieuses et bousculées (« La pharmacienne d’Yvetot »,  »Le chant du coucou »). Les réemplois d’un parler de terroir qui n’existe peut-être plus vraiment (« Interroge la jument », « Tous mourus ») sont présents encore, chez celui qui déclare à qui le lui demande combien il se méfie de notre temps et de ses mœurs, tout comme de la ville moderne où il ne se pense pas à sa place.

Musicalement, le compositeur donne ce qu’il fait de mieux : un folk rock parfaitement maîtrisé, ici orienté soul et jazz, avec une présence dominante des claviers. « French Lynx », en ouverture, accroche immédiatement, rehaussé par la voix en duo et chœurs de Morgane Imbeaud qu’on retrouve pour « Nuit sur l’Himalaya ». « Frankie », lent deuxième titre, avec ses trois accords d’un blues joué en mineur, saisit par son humeur plus lourde… Parce que Morituri ne s’offre pas facilement, il faut sans doute plusieurs écoutes pour y entrer complètement et en sentir la substantifique moelle. Plus dépouillé que Babel (2014) il peut sembler atone et monocorde. Il l’est. Partiellement, ce qui est évidemment un parti pris de Murat, lequel craint l’immédiat clinquant. Tout ici est nuances et c’est ce qui en fait le charme profond et l’élégance. Un album mesuré, loin d’être cafardeux in fine puisque si Murat nous dit « J’ai eu le cafard » il conclut aussi « Je reprends haleine à la dérobée » (« Cafard »). Indispensable pour ceux qui penseront que jusqu’au bout une ligne est à tenir.

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