Loading...
Live Reports

Jello Biafra and the Guantanamo School of Medecine + The Last Brigade – Paloma (Nîmes), 18/04/14

En 1981, aux débuts de Les Passagers qui était mon propre groupe, nous avions un copain homme à tout faire ce qu’il pouvait, roadie et chauffeur de rockers en R5, tout comme show-man improvisé lors de certains rappels. Son heure de gloire venait lorsque le répertoire du groupe était épuisé. Il avait pris l’habitude de débouler du côté de la scène où il était resté planqué tout le set, pour 3 minutes finales d’un délire vocal et gestuel, exécuté la plupart du temps torse nu. Pur moment de rock and roll aurait dit Vincent Ravalec.

Derrière lui nous envoyions des séries de riffs compressés et speedés, très éloignés de ce qui avait été joué durant l’heure écoulée. Public surpris à tous les coups. C’était souvent pour lui faire plaisir, au copain roadie, mais aussi franchement pour déconner. Je n’ai jamais trop su ce qu’il pouvait chanter dans le micro mais je ne m’en suis jamais préoccupé.

Ce gars était un fan absolu de deux groupes: Ramones et Dead Kennedys. Il me les avait fait écouter, lui qui possédait une impressionnante collection de vinyles, me racontant tout un tas de trucs sur ce rock US si loin de ce qu’on avait entendu venant de là-bas toute la décennie précédente. Bien que peu convaincu je m’étais acheté, pour un peu mieux comprendre de quoi il retournait, le In God we trust des Kennedys. Le leader répondait au pseudo de Jello Biafra. Tout un programme. J’avais sans doute dû déchiffrer les paroles de Biafra et les grilles d’accords du quatre titres mais, plus enclin alors aux arpèges de guitare et peu concerné par la dénonciation des affres du capitalisme, je n’avais pas vraiment donné suite. Je le reconnais.

jello biafra 2_540

Les tentacules alternatives.

Plus de trente ans  après  cette période de jeunesse et de folles découvertes, Jello Biafra est toujours là, un poil plus âgé que moi qui n’aurai pas marqué l’histoire du rock au delà des limites de mon département. Lui est par contre devenu une figure iconique d’un style musical qu’on pourrait qualifier de punk hard core (ce qu’il faudra repréciser ), doublée d’une image d’activiste alter-mondialiste sans faille. Sur ce dernier point, Eric Reed Boucher ( le vrai nom de Jello) semble en effet irréprochable, qui aura toujours tenu un même discours dénonçant inlassablement et en vrac: exploitation de l’homme par l’homme, racisme et nationalisme, guerres sous toutes leurs formes et impérialisme US, cerise sur le gros gâteau… Un vrai combat de toute une vie. Bref , le leader underground et militant qui a créé le label indépendant  et résistant Alternative Tentacles en 1979, a toujours ses fans et la France l’accueille avec ferveur ce printemps 2014 (contrairement à la perfide Albion où il ne fera pas une date). Ainsi, à l’entrée du parking de La Paloma, découvrait-on des cartons peinturlurés d’inscriptions en langue anglaise, tout à la gloire du californien rebelle, fixés hauts sur les grilles du parc des autobus: « Welcome Jello, we are still here ». Quasiment un maître à penser Eric Reed Boucher ?

En face du micro.

Dans le hall de la salle de concert, c’est l’affluence. Public majoritairement quadragénaire ou plus si affinité, essentiellement rassemblé au bar du patio, pour l’heure, et au moment où joue sur la scène de la grande salle The Last Brigade, combo nîmois mené par Ritchie Buzz (figure locale ex Kevin K), raccord avec l’esprit de la soirée. On est venu de tous les coins de la région. Jello fédère.

Stand merchandising. Avec produits maisons. Vinyles du catalogue Alternative Tentacles, groupes US hardcore ou surf, dont on ramènera, pris au hasard, quelques exemplaires, pour se faire une idée. A cinq euros pièce on reste très commerce équitable.

On tombe sur Etienne Gibert, illustrateur de « Que la farce soit avec vous », bouquin  d’édition française (on peut le commander sur www.rytrut.com) présentant sur plus de quatre cent pages les traductions des textes de Biafra écrits jusqu’en 2011. L’ ouvrage est validé par Jello himself et béni par Altenative Tentacles. Echanges sur le parcours de l’ex Kennedys puis sur les actuels DK lesquels, parait-il, sont sans intérêt comparativement au travail créatif de leur ex leader qui a quitté la formation depuis 1986. Perso je n’ai, je l’avoue, aucun avis là- dessus.

La dernière brigade rend les armes. Nous nous glissons vers le devant de la scène, visant le centre , niveau deuxième rang et face au pied de micro du patron de la soirée. La position se révélera bientôt intenable pour cause de pogos déchainés et de stage diving fréquents. Au bout de deux titres on n’esquive plus, on se cale contre la scène, toujours devant mais un poil à l’abri des viriles sauteries. Replis stratégique face à l’anarchie chaotique et pogotante des corps masculins relâchant la pression et pourquoi pas, compensant par là quelques frustrations accumulées?

Life is hard and then you die ( It’s Immaterial – rien à voir avec le Hardcore)

jello biafra 2-1_300La fac de médecine de Guantanamo

Début du set. Début du traitement . Les médecins de la faculté (sans blouses blanches) vont-ils nous délivrer du mal rampant et insidieux lequel, on le sait, n’a même pas honte de lui ?

Première attaque, douze cordes en avant.  Son  compact, lourd et massif, passé au travers de deux énormes Marshall (guitares) et d’un Mesa Boogie (basse). Les toubibs font dans le sérieux. La Guantanamo School of Medecine est solidaire – active depuis 2009 avec trois albums publiés déjà – et elle ressemble à tout sauf à un combo d’incertains et approximatifs néo punks. Nuance de taille avec le style hardcore, on ne néglige pas ici la virtuosité. Ne nous méprenons pas: à Guantanamo on a de l’expérience et le sens acquis d’une musicalité au service de compositions même musclées. Notons: un ancien Faith No More à la guitare – Ralph Spight -, un ex Freak Accident à la guitare solo Gibson SG – Kimo Ball (plus qu’efficace), Andrew Weiss à la basse (Grammy Awards en tant que producteur, tout de même) qui oublie les notes fondamentales pour se promener partout sur le manche et dont le jeu demeure, mais oui, mélodique et distinct. Exit la crainte d’une soirée métal hardcore ou d’un lourdingue revival punk au minimum sans surprise. Sur son terrain d’opérations, le trio s’appuie sur Paul de la Pelle – ça ne s’invente pas – batteur inspiré des cogneurs métalleux, qui en envoie des pelletées, forcément, d’un son de peaux mat et puissant, breaks hard rock compris. Dans son genre, tout ce petit monde constitue selon l’expression consacrée un Super-groupe catégorie Post punk/hardcore/métal, teinté de surf californien. ROCK’N ROLL !

jello biafra_270Le personnel de Jello a fait ses armes dans la lourde décennie musicale des nineties, sur le vaste continent nord américain et l’origine born in the USA  se sent. On n’est pas là pour couper les cheveux en quatre. Les accords sont enchainés super vite en barrés de deux doigts, et la main gauche du soliste connait ses gammes et la place exacte des notes. Je pense au Rock de Detroit de la fin des eighties, à Ted Nugent aussi – initiateur du truc -, aux Stooges qui seraient nés vingt ans plus tard. Rarement par contre au punk anglais de la fin des seventies, pourtant contemporain de titres joués ce soir, extraits du vieux catalogue des Kennedys. On est loin loin de Steve Jones. La fac de médecine nous en met une dose. Surdynamisée. Une dose sévère si elle n’est pas de cheval. Rien à reprocher au traitement puissant?  On veut que le malade guérisse et on ne fait pas dans l’homéopathie. Mais ça on s’en doutait.

Le patron de la soirée ne veut pas de patron.

Alors Jello Biafra qui est au coeur de la soirée? Qu’est-ce qu’il donne lui? Biafra est connu pour son caractère déterminé et pour son jeu de scène théâtral. L’homme arrive déguisé, qui ne trahit pas sa réputation. Haut de forme et manteau à paillettes. Un monsieur loyal kitsch et caricatural. La farce est avec nous. Le phrasé et les intonations du personnage font penser à un Rotten plus sérieux et qui aurait oublié son second degré so british. Il est mime et grimace, une boule d’énergie qui se déplace dans de grosses chaussures de randonneur qu’on n’imaginait pas trouver (à priori) aux pieds d’un chanteur rock – mais dans le rock tout est possible? Bonhomme trapu et courageux de plus de cinquante balais (la  moyenne d’âge d’un musicien rock c’est quoi ? Vingt six ans ?) il ne ménage pas ses efforts. Jello mouille le T-Shirt noir et revendicatif. Un anti Mick Jagger, un anti dandy, une anti rock star.

jello biafra la paloma nimes avril 2014_540

Entre chaque morceau l’énergique bavard argumente ses points de vue. Après « Brown Lipstick Parade » qui ouvre le set, avant « Pets Eat Their Master ». Je ne suis pas certain que le public (agité) saisisse tout, mais une bonne partie applaudit et interpelle l’anarchiste- écolo. On lui offre un T-Shirt « Non au gaz de schiste » qu’il enfile sur le champ (choisissez du XL). Jello conseille: il faut parler à ceux qui s’égarent sur des voies dangereuses. L’homme, au fait de notre délicate situation politique hexagonale, cite le nom d’une certaine Marine qu’il n’approuve pas. Il  balance là dessus le redoutable « Nazi Punks Fuck Off«  des Dead Kennedys. Puis s’exerce à une cocasse minute de musculation avant « California Uber Alles » et confie avec « Too Drunk To Fuck » qu’il fut un temps où, bien sûr, il buvait trop ce qui le rendait malade, mais que c’était bien ce qu’il voyait autour de lui qui le poussait aux excès. L’affaire est emmenée comme il se doit, sur tempo accéléré, tambours battants et gimmick surf. On prendra des vacances « In Cambodia« . Jello plonge dans les bras du public.

Alors quoi? On en redemande. Au bout d’une heure et quart de set il s’arrête mais revient cinq minutes après  pour un rappel à fond les manettes. Pas un paresseux, monsieur Biafra.

Pour être peinard fallait-il tuer les pauvres ? « Kill the poor ». « We Occupy » (« mais par l’enfer qui croyez-vous être? ») titre plus récent, longuement introduit aux patients que nous sommes par le corps médical de Guantanamo, à l’aide de petits accords de Gibson SG, mis en séquence, à la façon d’un Peter Townsend (ha!) sur « Baba O’Riley » ou « Won’t Get fooled again » ( il peut y avoir un lien): « J’ai rencontré le nouveau boss, c’est le même que l’ancien » (Roger Daltrey/P. Townsend). Biafra est surement d’accord, patron de la soirée, des patrons, lui, il n’en veut pas. Sur certains points il n’a pas tort.

Poignées de mains.

Un des trucs qui régalait le roadie-show man des Passagers c’était, aussi, se rouler sur le bord de la scène pour choper les mains tendues (il y en avait) qui applaudissaient à son numéro final. C’était le côté chaleur humaine du rock and roll. Le côté physique et contact. Pour ça il était bien meilleur que tout le reste du groupe, partageur généreux et rigolard, genre: toi et moi, on est des potes dans le même bateau alors fraternisons.

biafra_270Jello et sa bande le pensent aussi et le mettent en pratique. Comme mon copain de 1981, 82 et 83. La boucle est bouclée. A la fin du set – le geste est notable – toute la faculté vient serrer les pognes du public. La mienne y compris, comme celle de mon fidèle camarade qui félicite les ricains dans leur langue natale. Jello disparaît et on est un peu sonnés mais super enchantés. Le californien Eric Reed Boucher, débarrassé de son costume de scène, passera en backstage, m’a-t-on dit, un long moment dans sa salle de bain. Ca peut se comprendre. Beaucoup de sueur. De plus l’hygiène c’est important, n’importe quel toubib vous le dira. A Guantanamo le médecin chef partage cet avis. Toutefois, dit-on, Pasteur, qui en connaissait un rayon sur le sujet, ne serrait jamais une main? C’est plein de microbes une main. Jello ?

[youtuber youtube=’http://www.youtube.com/watch?v=xbYxanMk4ng’]

Dédicace à Thierry L. road des Passagers.

Crédit photos/Vidéos: Didier Bagnis

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.