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Disques

Marissa Nadler / July + Strangers

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Depuis 2007 et l’album Songs III – Bird on the Water, les disques de Marissa Nadler ont toujours trouvé une place particulière sur nos étagères. Auteure, compositrice et interprète, elle fait partie de ces artistes au talent indéniable et à la carrière irréprochable, dont l’évolution discrète inspire à la fois respect et admiration. Si sa musique est régulièrement qualifiée, à juste titre, de « folk gothique » (le charme suranné des « murder-ballads » de The Saga of Mayflower May), la réduire à ce seul qualificatif s’avère dorénavant de moins en moins pertinent tant la chanteuse s’aventure brillamment sur de nouveaux sentiers sonores, plus variés et plus sinueux.

À ses débuts en 2004, et au cours de ses trois premiers albums, Marissa Nadler accompagnait sa voix ensorceleuse de sa seule guitare, s’inscrivant dans la plus pure tradition folk, oscillant entre l’héritage des primitivistes américains (John Fahey ou Robbie Basho) pour ses arpèges délicats, et la country « americana » à laquelle renvoie son chant cristalin. Elle n’hésitait pas non plus à régulièrement revisiter le répertoires d’autres artistes, qu’il s’agisse de pointures comme Dylan, Cohen ou Petty, ou de groupes plus actuels et populaires, de Radiohead à Clinic, en passant par Xiu Xiu, comme en témoignent quelques EPs autoproduits. Il faudra attendre Little Hells (2010) pour voir Marissa accompagnée, pour la première fois sur disque, d’une formation rythmique (avec notamment la présence derrière les fûts de Simone Pace, batteur de Blonde Redhead). Mais malgré une discographie déjà conséquente et non moins passionante, c’est sa collaboration avec le producteur Randall Dunn (Sunn o))), Earth, Wolves in the Throne Room etc.) sur l’album July en 2014 qui va donner à sa musique un caractère véritablement unique, l’affranchissant de la simple formule « voix / guitare acoustique », sublimant l’apparente noirceur qui semblait ne demander qu’à s’affirmer depuis ses débuts, exhaltant une fiévreuse mélancolie habitée d’une poésie à l’élégance toute baudelairienne.

Marissa-Nadler-July-608x608De par sa réputation « métal » (Sunn o))) ayant choisi ses studios de Seattle pour enregistrer leur récent Kannon, justement parce qu’il leur proposerait un espace idoine pour leurs volumes très puissants) et ses acointances avec la musique expérimentale (travaillant avec des noms tels qu’Oren Ambarchi ou Tim Hecker), le choix de Randall Dunn aux manettes d’un album de Nadler aurait pu surprendre de prime abord. Mais à l’écoute de July, elle semble presque relever de l’évidence ! Peut-être aussi parce que l’Américaine n’a jamais vraiment caché ses goûts éclectiques, citant parmi ses influences autant Hole que Joni Mitchell, Belly que Nina Simone, et surtout n’hésitant jamais à accepter des collaborations avec des groupes extrêmes comme le black-metal de Xasthur, les expérimentations bruitistes de Sailors With Wax Wings (projet de Colin Marston de Krallice, autre formation black-metal) ou bien le drone plombé de Wrekmeister Harmonies.

Clé de voûte des compositions de l’Américaine, la douceur de la guitare et la beauté de la voix, embrassent dorénavant les nappes de synthés ou de six cordes brumeuses. Ou bien se frottent à un violoncelle polymorphe et pénétrant, à l’instar du refrain de « Dead City Emily », comme nous avions pu le vérifier en live l’an dernier à l’Épicerie Moderne. À cette occasion, Marissa était revenue sur sa rencontre avec Dunn : « L’enregistrement du disque s’est déroulé très naturellement, c’était à la fois excitant et enrichissant pour moi d’être guidée par quelqu’un dont j’appréciais autant le travail ». Le producteur de Seattle aurait même glissé quelques noms de musiciens capables à ses yeux de sublimer les compositions de la chanteuse. C’est ainsi qu’un titre comme « Drive » se voit en studio embelli d’une guitare slide ; qu’un piano devient la pierre angulaire de « I’ve Got Your Name » ; ou qu’une section rythmique habite « Was It a Dream », comme les prémices de ce que sera l’album suivant. July conjugue avec mesure les éléments forts d’une œuvre déjà relativement complète (chant aérien, folk-music acoustique), les libérant de leur discrétion et de leur introspection par des arrangements sublimant la mélancolie, le storytelling des chansons et leurs ambiances duveteuses aux cieux grisonnants.

marissa-nadlerFort du relatif succès de l’album auprès du public, et d’un accueil positif de la critique, il semblait évident que le duo remettrait le couvert. Grand bien lui en a pris, car une fois encore, l’association s’avère des plus fructueuses : au lieu de simplement calquer la formule efficace de July, son successeur, Strangers – récemment sorti chez Sacred Bones (aux US) et Bella Union (en Europe) – voit Marissa Nadler soutenue par une formation « rock » stabilisée autour de guitares électriques, parfois saturées, de basse, batterie et autres claviers…  Harmonieusement cela donne aux morceaux une tonalité plus naturelle, tout en étoffant l’arrière plan du paysage sonore : effets de larsens, delays, synthés organiques (le pont subjugant de « Katie I Know ») et accords égrénés remplis de réverb (« Janie in Love ») donnent à la voix envoûtante de Marissa une résonnance qui lui sied à merveille. Tout en nuance, abordant avec pudeur les thèmes de la désillusion, de la solitude, de l’amour déchu, Strangers s’écoute comme on lirait un roman captivant. « Hungry Is the Ghost », pièce maîtresse de plus de six minutes  (Ndla : à écouter au volume le plus fort possible !) finit d’enfoncer le clou au terme d’une envolée Morriconienne hypnotique, roulements de caisse claire et guitares lumineuses toutes dehors.

On ne dira pas que Strangers est le meilleur album de Marissa Nadler, histoire de ne pas reléguer le reste de son incroyable discographie au second plan ; mais sans trop de risque, on peut affirmer qu’il s’agit, à ce jour, de son travail le plus abouti et le plus accessible. La plus belle voix d’Amérique du Nord aurait enfin trouvé une étoffe musicale aussi précieuse que son timbre.

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