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Live Reports

Miossec – Le Cratère, Scène Nationale (Alès), 30/01/15

miossecA Alès, sous préfecture gardoise de 50 000 âmes, Le Cratère -Scène Nationale n’est pas, disons le tout net, une salle habituée aux concerts de musique rock.

Miossec, en début de tournée 2015, s’y retrouve au milieu d’une programmation essentiellement vouée au théâtre ou à la danse contemporaine, et quand il s’agit de musique, elle est soit classique, soit expérimentale (parfois pénible) voire du monde et tarabiscotée. Si le breton électrique et teigneux s’y produit, me dis-je, c’est que peut-être « il faut croire qu’il a changé de genre » ? Et là je suis un peu Monsieur Fernand Naudin qui s’interroge sur Raoul Volfoni. Miossec aurait-il changé de genre? Pas sûr. J’y répondrai plus loin.

Ici-bas, ici -même, neuvième album de Miossec, objet principal des dates live 2014/2015, a été enregistré en une dizaine de jours. En structure légère, vers la pointe du Finistère nord, tout près des racines brestoises du chanteur. Il est notamment le fruit d’une collaboration avec Albin de la Simone et Jean-Baptiste Bruhnes et il oublie les riffs tendus et amplifiés, les drums binaires et les tempos rapides. Tels ceux de « Chansons ordinaires » qui martelaient, il y a trois ans, un rock d’influence post-punk bien net. Miossec s’est-il calmé? Deuxième question.

La tournée Miossec sillonne l’hexagone et celui qui commença sa carrière en 1994 en envoyant une cassette « de la dernière chance » aux Inrocks est devenu un incontournable du paysage artistique rock français et… de la « chanson française ». « Chanson française », l’étiquette me fait toujours un effet bizarre quand on la colle à quelque disque. Mais elle a aussi ses avantages et le mérite d’une certaine clarté pour le public. D’ailleurs, les billets alésiens portent la mention « chanson » en dessous du nom de Miossec. Et l’homme est bien cet auteur qui aujourd’hui écrit aussi pour Johnny Halliday, l’icône, heu, de quoi? Du rock et de la chanson française. Certes. Miossec confie sur ce point que cela le laisse tranquille quant à toute inquiétude autour des ventes d’Ici-bas,ici-même. Belle honnêteté. La chanson française paie.

Après ces préliminaires, venons en aux faits. Il va donner quoi « Mio » 2015? Sur scène, ce que l’on découvre, c’est un mélange d’instruments électriques et  acoustiques, installés selon une organisation qui n’évoque pas franchement la formation rock classique. Ainsi la guitare électrique et son ampli sont au fond. Une énorme contrebasse et un violoncelle sont devant. Un orgue vintage pour les claviers, ainsi qu’un marimba, un piano, occupent tout le côté droit… Mais à gauche, sur son stand, une Fender Precision millésimée attend. Deux Ampeg lui font un rempart. Une Gretsch Electromatic demi-caisse à tremolo Bigsby repose à côté d’un kit de batterie qui fait plus penser à  celui d’un batteur de jazz qu’à celui de Keith Moon… Pour caricaturer. Au milieu, le pied de micro du chanteur. Miossec s’est donc voulu encerclé par ces instruments. Et ceci dans une ambiance boisée, si je puis dire. Le truc a un côté cosy. Rien de frontal en tous les cas.

10495296_10152526062481017_651945861319551688_oPuis les musiciens arrivent. Deux femmes et trois hommes. En noir. Les présences féminines gomment toute dimension dure qui pourrait se dégager de la noirceur vestimentaire. Ces cinq musiciens, visiblement conduits par le bassiste Hugo Cechosz, se révèleront tous excellents. Mention coup de coeur au batteur Florent Savigny. Parfaits, au service des textes – oui, chanson française alors, pas rock ? – ils joueront une musique limpide, aux orchestrations et arrangements lumineux. Qui s’emporte lors de finals enthousiasmants – dont certains nouent la gorge d’émotion, bien que le pathos, chez Miossec, me semble peu présent -, mais musique qui se joue aussi moderato et intime. En vrac – car je suis assez mauvais pour noter l’ordre des playlists – je retiens la brillance et l’intensité mêlées de « Je m’en vais », celle de « Brest » ou de « La facture d’électricité » et sa dramatisation. L’intimité et l’émotion qui montent de titres comme « La mélancolie » ou « Nos morts », se libérant ou non dans des explosions à la fois lâchées et retenues – tout un art. Les mélodies et les lignes, lames de fond, des instruments et des voix (choeurs), sont rares et élégantes, jamais banales et convenues. « On vient à peine de commencer » est une ballade, qui s’appuie sur ses accords de piano et un marimba, instrument qu’on retrouve sur « A l’attaque ! » introduit par ses trois notes de contrebasse et qui me fait penser à quelques passages de l’excellent « The Good, the Bad and the Queen » de Damon Albarn et ses acolytes de 2007. Les titres plus anciens du répertoire sont soumis au même traitement. Comme « Regarde un peu la France » (1995) avec son mélange d’accords hispanisants qui trouvent leur conclusion en un riff rock new wave. A ce stade, je me dis que Christophe Miossec vient sans doute, avec Ici-bas, Ici-même de réaliser une boucle, laquelle pourrait le ramener, d’une certaine façon , vers l’esprit musical de l’album inaugural Boire. Lui qui ne boit plus. Du tout.

Quant à Miossec lui-même, comment est -il? Il se tient au coeur de son cercle musical, debout au centre de la scène, avec derrière lui d’étranges projections vidéos abstraites, récurrentes et colorées, évoquant un mur de lumière rythmé de façon binaire. L’homme paraît à la fois frêle et minéral. Carré d’épaules mais de posture fragile. Ses jambes esquissent des pas un peu raides, d’avant en arrière, latéralement de façon plus rare. En pantalon sombre sur de gros souliers, pull-over près du corps les manches légèrement remontées sur les avant-bras, il s’accroche à son pied de micro, une casquette noire visée sur le crâne. Il a quelque chose du patron pêcheur à quai, un jour gris, sur la côte bretonne (peut-être de granit rose), mais ce jour-là, le rose, on ne le verrait pas tout de suite. « Mio » est un timide courageux, de cette espèce qui doit braver quelque chose en soi pour avancer. Il chante un peu replié, tête baissée. Puis il scrute brièvement la salle, lance des regards en coin de préférence. Il semble étonné de ce public si sage et si silencieux entre les titres – qui se lèvera pourtant pour l’ovationner et se réchauffera peu à peu, oubliant la contrainte des fauteuils. Les mots de Miossec qui se retrouvent portés par la musique du groupe et qui sont pour quelques uns des maux, sont articulés, décortiqués parfois. Le chanteur auteur les détache des phrases, peut bousculer sa syntaxe, évite de trainer les notes, ce qui l’éloigne de tout lyrisme inutile tant les images sont précises et se suffisent. Il les murmure aussi et les mange une fois, on ne les entendra plus qu’à peine pour finir.

Et écouter ce qui est chanté, avec toutes les variations voulues par l’artiste, prend ici toute son importance. Etre dans une « salle assise » comme celle des 900 places de la scène nationale du Cratère, – ce qui n’est pas le plus fréquent pour l’amateur de concert rock – et non « debout », constitue une autre expérience du rapport à la musique live. Elle a tout son sens, je crois, avec le répertoire du Miossec quinquagénaire, parce que Ici-bas, Ici-même est tout simplement un très grand et formidable disque de chansons. Qui respirent en live à la fois épurées et enlevées et parce qu’il n’y a pas avec « Mio » qu’une histoire de riff, de son et d’attitude. L’affaire se situe au delà. Dans une lignée d’artistes qui a comme repères, choisis sur plusieurs générations, Brel, Bashung, Dominique A et Murat. Miossec s’y trouve.

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Réponses aux questions :

Miossec a t-il changé ?

« Quand ça change, ça change, faut jamais se laisser surprendre » ( Jean – in les Tontons Flingueurs, scène de la cuisine).
Non, Miossec n’a pas changé. Miossec revient là d’où il était parti. Grand et superbe auteur affirmé, homme dans sa maturité qui connait la vie sans en donner la clef: « Ah ouais, c’est de la chanson super affirmée ! (il éclate de rire) » Christophe Miossec, dans une interview récente donnée à Philippe Manche, Le Soir.

Miossec s’est-il calmé (depuis 2011 et Chansons Ordinaires) ?

« Je t’écris ces quelques mots, mais faut pas que tu t’inquiètes, il n’y en aura pas trop, c’est pour te dire que je regrette, d’avoir fait mon numéro, d’avoir hier soir gâché la fête, je vais tout reprendre à zéro » (Bête comme j’étais avant, Miossec 2014).

Puisqu’il nous le dit, je ne développe pas.

Miossec alors? C’est du rock ou de la chanson?

Faut -il faire un distinguo ici ?

– « Attention, là -dedans! Il faut mettre des bouchons dans les oreilles » (Mon père, 82 ans). Moi, m’adressant à lui : « Oh les rockers ! »

Miossec est actuellement en tournée dans toute la France.
Dernier album Ici-bas, Ici-même, Avril 2014. Hautement recommandable.

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