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The Good, the Bad & the Queen / Merrie Land

Sur la pochette en noir et blanc de Merrie Land, le portait de l’acteur Michael Redgrave, extrait des fantomatiques images de Dead of Night (1945), donne immédiatement le ton. Ce visage d’homme affolé, yeux exorbités, qui tente d’imposer le silence à une marionnette devenue un incontrôlable double de lui-même, pose la question transversale à tout le second album de The Good, The Bad & The Queen: où en sommes-nous vraiment? Le «nous», ici, est l’Angleterre. Soit un objet d’étude récurrent pour Damon Albarn qui la posa déjà avec le superbe Park Life de Blur. Entrant dans ce Merrie Land, vers quoi allons-nous donc? Dans une fête foraine désuète? Un parc aux attractions détraquées où l’on ne s’amuserait guère? Un lieu étrange, vestige laissé dans des paysages aussi gris que le ciel anglais en Novembre? Une vérification s’impose.

Entouré de Paul Simonon (basse  – ex The Clash), de Tony Allen (batteur  – maître de l’Afrobeat avec Fela) et du discret Simon Tong (guitare pour The Verve / Gorillaz), le bouillonnant Albarn a écrit dix titres à l’affectation mêlée de mélancolie – si ce n’est de tristesse – pour décrire une Angleterre morose, bien loin de l’Albion rêvée.  Merrie Land, enregistré à Londres au Studio 13 (tenu par Damon Albarn lui-même), et après que le groupe eût songé à la sombre baie de Blackpool pour cela, a été produit par Tony Visconti (Bowie / Black Star). Producteur luxueux pour groupe de luxe, pour un album qui constitue un passionnant mixage entre pop et tout ce que la musique anglaise traditionnelle peut compter d’instruments typiques. Cor, flûtes, cordes et piano se rajoutent aux clefs et aux moyens du quartet pop et subliment chaque composition. Progressive pop.

« Merrie Land », chanson éponyme du titre de ce second opus, ouvre ainsi un bal qui, tout du long, restera de guingois mais contient une part de merveilleux qu’on touche du bout des doigts. Sa sophistication saute aux oreilles, comme celle de « The Last Man to Leave » (avant dernière piste et fausse fermeture du récit). Sur « Lady Boston », un chœur d’hommes (chanté en gallois) donne une profondeur et une perspective musicale étonnantes, dépassant le format de la chanson. « Gun to the Head », « Great Fire » montrent une vivacité qui contrebalance leur propos plus sombre. La qualité de l’écriture subtile d’Albarn et son groupe, saisie par la production de Visconti, se mêlent et réussissent un équilibre complexe entre éléments musicaux et choix qui auraient pu sans doute dérouter. Si le travail de Brian Burton était remarquable en 2007, pour des titres comme « Herculean » ou « Kingdom of Doom » et sur les autres énigmes londoniennes du premier album, on va ici plus loin encore. Par ses ambiguïtés et son mystère implicite, l’œuvre séduit l’oreille et l’esprit.

Album de climats en demi-teintes, Merrie Land est la proposition aboutie de chansons singulières, absolument à part dans le paysage musical actuel. Ce genre de production qui ne peut naître d’apprentis musiciens et émane d’une vision musicale de premier plan, nourrie par l’expérience. Nous nous en doutions. Il faudra remercier un jour Damon Albarn pour sa créativité renouvelée, comme pour le plaisir qu’il nous donne. Si c’est une fin de partie chancelante qui est narrée ici, avec ses dix tableaux d’un territoire vacillant pré et post Brexit, elle a des trouées de ciels lumineux qui évitent le désarroi et offrent un renouveau. Ainsi l’épilogue chanté dans « The Poison Tree » est-il éclairant sur l’humeur du groupe et de son leader: «Parce que notre amour est étendu sur des terres en jachère, c’est la graine que vous semez qui s’éparpille. Avec les boucliers abandonnés de la dernière croisade qui me sauve de moi-même».

Vérification est faite. Très grand album. En aurais-je douté ?

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