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Disques

The National / Sleep Well Beast

Formé il y a presque vingt ans, The National – quintet de Cincinnati longtemps basé à Brooklyn – est resté après six albums studios une des formations les plus excitantes du moment mais aussi une des plus piquées… Le groupe de Matt Berninger (chant) et des frères Dessner et Devendorf, atteint d’une forme de mélancolie récurrente et secoué d’accès d’une frénésie qui apparaît comme peu contrôlable sur le long terme, s’agite encore dans des formes de poèmes musicaux épiques, quelque part entre Iliade et Chanson de Roland. On attaque Troie, résiste aux sirènes, mais on pourrait bien mourir la gorge percée d’une flèche en soufflant un dernier appel désespéré dans son olifant. Dès 2003 et Sad Song For Dirty Lovers – qui révéla le groupe en France – le tableau clinique était posé. L’apaisement de Trouble Will Find Me (2013) n’aura duré qu’un temps et les démons sont aujourd’hui de retour.

Sleep Well Beast (Dors bien, la bête) est paru le 8 Septembre et il compose un récit contrarié qu’on écoute comme une somme. La narration bizarre et torve où l’auditeur glisse dans une lumière en demi-teintes, semble organisée en deux parties plus ou moins explicites. Matt Berninger fait des efforts de retenue sur la série de tempos lancinants qui ouvrent l’album, une seule fois bousculée par le tumultueux «The Day I Die» aux roulements de batterie ininterrompus, percés des stridences des guitares électriques. A partir de «Empire Line» puis « I’ll Still Destroy You» suivi de «Guilty Party», les choses et le ton changent. La voix se fait menaçante, comme la musique, et il y a de l’inquiétant et du franchement tordu dans ce que nous raconte «Sleep Well Beast» qui clôt le disque après une seconde suite de six titres en oxymores.

Si la noirceur ambiguë des textes de Berninger a repris le pas sur la légèreté, le groupe s’est essayé avec une vraie réussite –et un réel plaisir, ainsi que l’on déclaré les musiciens- à l’usage de machines (boites à rythmes, séquenceurs et claviers) et a exploré de nouvelles formes. Musicalement, l’album, enregistré aux États Unis et en Europe (Berlin), est une réussite qui acte l’ouverture vers d’autres voies et laisse présager de nouveaux possibles. Les instruments joués se détachent mieux les uns des autres, quand on avait parfois l’impression sur les précédents albums d’être saisi dans un tourbillon. Bruce Dessner: «Je crois qu’on a affirmé notre personnalité. Chaque instrument se fait entendre, on n’est plus vraiment dans le maelström sonore qui nous a longtemps caractérisés.» (AFP). La chose est une évidence, comme la capacité de modulation du chant pour un Berninger au mieux de sa voix, lequel passe du murmure aux chorus brillants.

En 2007, année de la sortie de Boxer avec l’efficace et inspiré «Fake Empire», The National ouvrait pour Clap Your Hands Say Yeah. Aujourd’hui –et sans vouloir comparer les mérites des deux groupes américains, ni les mettre en concurrence– on se dit que ce serait sans doute l’inverse qui paraîtrait logique. Le groupe qui vit pourtant séparé aux quatre coins du mondes, a accompli avec Sleep Well Beast, l’écriture d’un album particulièrement cohérent et au propos soutenu du premier au dernier titre. En se retrouvant dans leur studio de Long Pon, l’an dernier, les membres de The National ont misé sur leur capacité à se remettre en question et à se renouveler. Le pari est gagné. Nous voilà dans une autre dimension, celle des très grands groupes. Ceux qui, rejoignant l’art, ont dépassé la distraction habile.

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