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Interview – Julien Fernandez, AfricAntApe

Le récent concert de Chevreuil au Grrrnd Zero, le 22 novembre dernier, était l’occasion pour moi de rencontrer Julien Fernandez, batteur du groupe pré-cité, fondateur du génial label AfricAntApe et de l’agence de promo Five Roses Press – qui, pour info, s’occupe de la diffusion en Europe de nombreux groupes et artistes connus et méconnus – mais se regroupant généralement tous sous la bannière des musiques bruitistes, noise, expérimentales et « sous-terraines ». L’occasion aussi et surtout de le questionner sur sa vision, ses ambitions, ses projets : en tête, le festival AfricAntApe qui se déroulera sur trois jours à Lyon en avril prochain, et promet déjà d’être un bel évènement. Rencontre (plutôt intéressante) avec un musicien mélomane humble, visionnaire et plein d’initiative – qui pour ne rien gâcher – passez-moi l’expression – est aussi un putain de batteur.

Julien, ton parcours est un peu particulier… Tu joues de la musique avec Chevreuil, tu en distribues avec AfricAntApe, tu en assures la promotion avec Five Roses; ça te donne une bonne vision d’ensemble sur le « milieu »…

Oui, une belle vue d’ensemble sur l’actualité, les contraintes et les difficultés liées à chaque activité – et il y en a énormément.

Laquelle de ces trois casquettes est pour toi est la plus difficile à porter aujourd’hui? Quelle activité est la plus complexe à aborder?

Pratiquer. Faire de la musique. Mon travail me prend tellement de temps que le plus dur c’est d’en trouver pour jouer. Ça me force à avoir un agenda très serré, anticiper les répètes, les tournées. La tournée avec Chevreuil, ça fait huit mois qu’on l’a organisée. J’ai un enfant, Tony a aussi une petite fille depuis peu, tout çà rend aussi les choses moins évidentes. Donc oui, c’est çà qui est le plus complexe à mettre en place mais c’est aussi ce qui me plaît le plus. Jouer, faire de la musique simplement, sans ambition, le faire juste pour m’éclater.

Est ce que c’est difficile aussi parce que c’est l’activité la moins lucrative, quand on a un loyer à payer ou une bouche à nourrir?

Non… Non, je ne pense pas tellement à l’argent, c’est juste une question de contrainte. L’agence de promo est ma principale activité, elle tourne maintenant plutôt bien. On parle de beaucoup de ma façon de bosser la promotion, plus en bien qu’en mal heureusement! – et c’est çà mon vrai gagne-pain. C’est grâce à l’agence que je vis, je n’ai pas d’autre boulot. Parfois, c’est un peu chiant, mais c’est mon travail!

Peux tu me dire quelques mots sur sa création?

J’ai ouvert un numéro de TVA en Italie, à mon nom. Comme je travaillais sur toute l’Europe j’avais besoin d’avoir des gens qui bossent pour moi, en Angleterre, au Luxembourg… Par la suite, tout un tas d’évènement ont fait que je me suis retrouvé seul. Parfois je demande de l’aide à certaines personnes que je rémunère, autant que je peux.

Comment vois-tu le label à coté de çà?

Le label c’est un plaisir personnel, juste pour mon amour de la musique… J’ai beaucoup d’amis qui pratiquent, j’avais envie de les mettre devant, de les voir faire un disque. Ils pourraient le faire avec quelqu’un d’autre, mais ça me plait de prendre le risque et de le faire pour eux.

Ça se ressent, on ne peut pas reprocher à ton catalogue d’être consensuel… Et il me semble y avoir un vraie démarche affective dans ta façon de le faire vivre.

J’aime bien l’idée de prendre le risque de sortir un truc. Ça me donne l’impression de faire partie du projet, d’appartenir à la musique des gens que je choisis de sortir. Et puis c’est un échange, ça les motive aussi beaucoup de voir que j’ai envie de les faire, tu vois… C’est un truc d’énergie, tout est lié à des discussions par téléphone, ou quand on se voit. J’ai envie que les choses changent un peu dans la musique, que les gens s’investissent… J’ai besoin qu’il y ait cette notion d’investissement, de prise de risque! De démonstration d’un travail qui n’est pas non plus toujours évident. Et puis, j’ai aussi le sentiment de constituer une grande famille, où je deviens un repère là au milieu, où les gens commencent à se connaître et à monter des projets ensemble…

C’est une fierté pour toi, quelque part?

Ouais, bien sur. Je trouve ça super. Pas parce que je suis au milieu, mais parce que ça me plait de créer des connexions.

L’occasion parfaite pour parler un peu de la « Convention Annuelle des Cassettes Africaines »… Ça n’est pas trop tôt?

Non, au contraire!

Pour rappel, le festival sera donc à Lyon, au Grrrnd Zero, en avril prochain. Peux tu nous parler du point de départ, comment tout ça s’est mis en place… D’où est venue l’idée?

C’est simplement parti d’une visite de mon pote Nico (de Ned) cet été. Il est venu à la maison en Italie, on a commencé à déconner en écoutant de vieux trucs du début des années quatre-vingt dix dont on est fan, qu’on a jamais vus… Et puis je me suis dit que j’allais essayer de les contacter. Il y a ce groupe qui s’appelle Big’N, un groupe de noise de Chicago qui fait vraiment partie de mes groupes favoris et qui n’est jamais venu jouer en Europe. Peu de gens les connaissent mais c’est un groupe mythique… Au mois d’avril, j’étais en tournée en Amérique avec mon autre groupe, Passe Montagne. On a joué à Chicago donc, il y avait plein de gens, des musiciens, des gens de la culture à Chicago… C’était un peu un hasard, ils ne sont pas venus pour nous! – mais du coup, on a pas mal discuté, des liens se sont tissés et on a fini par avoir le contact des gars de Big’N. Je leur ai écrit, en leur demandant si ça les brancherait de jouer à un festival en Europe, et ça a marqué le coup parce que le type m’a tout de suite répondu et m’a dit « OK, on le fait ». Là, je me suis dit « Merde, on va vraiment devoir trouver un lieu, des gens disponibles, mettre tout ça sur les rails »… Trouver l’énergie, contacter tous les groupes et commencer à préparer le truc. C’était impensable de faire marche arrière à ce moment-là.

Pourquoi avoir choisi Lyon comme terre d’accueil?

Déjà, c’est bien géographiquement, c’est un peu un point central. Et puis j’ai plein d’amis ici, j’ai l’impression qu’il y a un vrai foisonnement musical. Aussi, il y a des groupes qui vont venir des Etats Unis, d’Italie, de France, d’Angleterre… Le principe du festival c’est l’autonomie. Je n’ai pas envie de demander de subventions, je veux que ça fonctionne juste à l’énergie des gens. Je crois que ça peut marcher, je veux croire à ces trucs-là. J’ai vu trop de festivals qui essayaient de fonctionner avec des fonds publics, et… Je sais pas, je trouve ça dégueulasse. Je n’ai pas envie d’aller demander à des couillons pour qui je ne vote pas de me filer du fric pour que je fasse ce dont j’ai envie. Les trucs que je veux faire, je les fais moi-même. Avec l’aide d’amis, forcément parce qu’on ne peut rien faire tout seul… Mais il faut réunir les gens, ça me semble super important. Pour le festival, tout le monde a déjà répondu présent et est sur le pied de guerre. On a l’ordre et les horaires de passage des groupes, alors que le festival est dans six mois! Enfin, surtout, j’espère que les gens vont se mobiliser, qu’ils vont venir d’autres villes, de partout. C’est important, il y aura une journée dédiée aux labels, à des associations qui créent des évènements, à des librairies, des médias, fanzines, webzines… Je veux qu’il y ait une émulation, qu’il y ait vraiment quelque chose qui se passe. Je connais pas tout le monde, mais je connais plein de monde, plein de gens qui actent pour la musique en France, on s’échange des mails toute l’année et puis c’est tout, quoi… Il faut changer çà. Il faut qu’on se voie, qu’on boive des coups, qu’on écoute de la musique ensemble. Quand j’ai écrit le mail aux groupes, je leur ai dit que je voulais faire une fête chez moi, mais que c’était trop petit. (Rires)

Tu me disais beaucoup compter sur la communication web autour de cet évènement…

Oui. En fait je crois beaucoup à la communication et la promotion par internet, à tous ces médias là. Beaucoup plus qu’au média papier. Les gens lisent de moins en moins la presse je trouve.

Oui, et c’est sans doute difficile pour la presse écrite aussi de s’adapter à une demande qui diminue. Prends Noise Mag par exemple…

Oui, Noise c’est pour moi le seul qui ait une vraie utilité. C’est le seul à approfondir le propos sur des musiques qui sont vraiment difficiles à défendre. Et puis ils bossent bien quoi, Olivier est un mec sérieux, ils sont tous sérieux. C’est bien écrit, ça a de la gueule… Mais bon, aujourd’hui, tu cherches une info, tu vas sur Google. Les gens lisent des blogs, ils s’informent, ils sont curieux. Je crois simplement que c’est ça, l’avenir de la communication. C’est une arme, pour un évènement comme le festival, ou même pour un label. Ce genre de média, les webzines, les forums, c’est carrément vital pour des structures comme les miennes. C’est vital aussi que les groupes jouent, qu’ils tournent. Il y’a des groupes qui jouent énormément, d’autres qui jouent peu, tu vois la différence. Cette année, il y a eu Marvin qui a beaucoup joué, et ça a été super porteur. Il y a eu pas mal de jalousie d’ailleurs… Sur les forums, des commentaires désobligeants, « Ouais, Marvin ils ont été pistonnés »… J’ai pas compris. J’ai trouvé ça vraiment nul.

Oui, et puis leur album est vraiment bon, je ne trouve pas leur succès volé…

Marvin, c’est un groupe capable d’enchaîner soixante dates avec la même intensité chaque soir, peu de groupes en France peuvent se vanter d’en faire autant! Sinon cette année, il y a Ventura aussi qui a fait un super disque. Je l’ai sorti un peu par accident celui-là… Ils avaient un label en Suisse qui a mis la clé sous la porte. C’est Cyril de NextClues qui m’a fait écouter le disque, et depuis il tourne en boucle chez moi. C’est vraiment un excellent groupe, classique mais qui a quelque chose de spécial.

Combien as tu sorti de disques sur AAA aujourd’hui?

Je suis en train de faire presser la référence « 21 », après deux ans et demi. Ca fait une bonne moyenne. Là, je commence juste à devenir autonome en terme de fonctionnement, c’est à dire que je récupère les ventes des premiers trucs et ça me permet de me dire « ça marche, je peux continuer ». Mais je continue à prendre des risques, à chaque nouvelle sortie. Je suis prêt à me dire que ça peut s’arrêter à tout moment. Là j’ai quatre sorties d’ici février, donc ça va être balèze! Je fais le nouveau groupe du batteur de Cheval de Frise, qui est un ami; j’ai adoré son disque, ça s’appelle Tormenta. Ca va surprendre pas mal de monde.

Tu parles souvent de prise de risques… La sortie la plus hasardeuse pour toi?

Je pense que le truc le plus risqué c’était Alexis Gideon. Ce mec, c’est un rappeur, il fait un truc vraiment à part… Mais c’est celui que j’ai le plus envie de porter. Tu commences par te dire « mais c’est quoi cette merde », et puis tu tombes sur un passage énorme qui te met la tête à l’envers… La musique avec des grosses guitares et des grosses batteries c’est facile à défendre. Là, c’est une autre paire de manches, mais c’est d’autant plus motivant.

Les projets pour toi?

Les sorties de février… Je ne vois pas trop plus loin. J’attends le festival. Si il y a une bonne réponse, je continuerai. Si c’est l’inverse qui se produit, je crois que ça me ferait vraiment mal au cul, et je crois que je ferai autre chose. J’attends énormément de la réponse des gens, de leur curiosité. Quand j’ai vu la réponse des groupes, je me suis dit « on le fait ». Mais on va avoir besoin de promo locale, nationale. En janvier on va commencer à envoyer les communiqués de presse… Mais pour ma part c’est uniquement le public qui m’intéresse, la réponse des gens. C’est tout.

Pour parler un peu de Chevreuil… Vous avez commencé quand avec Tony?

Fin 1998.

Depuis il y a eu Lightning Bolt, Pneu… Les White Stripes (!) mais les duos batterie / guitare n’étaient pas vraiment un format fréquent pour un groupe à l’époque…

Non! Mais on faisait ça pour se marrer, pas vraiment sérieusement… Et puis un jour une salle nous a demandé de faire la première partie d’US Maple. On a fini par se laisser convaincre, on l’a fait, et on a fait un mauvais concert. Ils ne voulaient pas qu’on joue au centre, c’était un peu du jamais vu à l’époque, les programmateurs trouvaient ça ridicule de jouer au milieu du public. Alors que le but, c’était vraiment de retranscrire la quadriphonie… Avec nos quatre amplis on ne pouvait pas faire autrement. Ce n’était pas du tout pour faire quelque chose de différent ou faire les mecs branchés.

Ça vous est arrivé d’être obligés de jouer sur scène?

Oui, plusieurs fois! On ne se repérait pas, on faisait des concerts de merde. On se retrouvait à jouer en stéréo, ce qui était juste une photographie foireuse de ce qu’on voulait faire.

Ce n’est pas trop difficile, ou frustrant, de devoir vous limiter à ce format sonore sur disque?

Quand on était en studio, on s’est toujours demandé comment faire pour avoir ce rendu, comment « spatialiser » le son. Avec Albini, on en avait parlé, on lui avait dit qu’on voulait faire un truc quadri, il nous avait dit qu’il pouvait de faire mais que personne ne serait équipé pour l’écouter comme on voulait. Ou alors faire un truc en 5.1… Ca serait cool! Peut-être plus tard… On verra!

Remerciements chaleureux à Julien pour son amabilité et sa disponibilité.
NDLA, des bruits on depuis fait l’apparition qu’un double LP de Chevreuil serait en préparation… Simple rumeur? On vous en reparle très vite.

Bientôt également des infos sur le festival AAA qui se déroulera donc du 29 avril au 1er mai 2011 à Grrrnd Zero, et dont voici la liste des groupes, premier jet (et donc potentiellement modifiable)

CHEVIGNON (FR) – VENTURA (CH) – HONEY FOR PETZI (CH) – CHEVREUIL (FR) – NED (release party) (FR) – MARVIN (FR) – AUCAN (IT) – IO MONADE STANCA  (IT) – TORMENTA (FR) – PAPAYE (FR) – THE CAESARIANS (UK) – THREE SECOND KISS (IT) – BIG’N (USA) – OXES (USA) – SHEIK ANORAK (FR) – ALEXIS GIDEON (USA) – PASSE MONTAGNE (FR) – THE CONFORMISTS (USA)

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