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François Audrain / Melancholia

Un an après sa sortie, il me prend l’envie irrépressible de chroniquer le 5ème album de François Audrain, intitulé  Melancholia, œuvre poétique dédiée à la splendeur d’un temps révolu. Une ode à la mémoire de la France industrielle et de son peuple ouvrier, une génération de labeur et de dignité, échine courbée, corps usés mais amour propre. Un album insuffisamment mis en lumière lors de sa sortie et pourtant si lumineux. Comme il n’est jamais trop tard -et que la tentation de l’époque est à la révolution pour la révolution-, il paraît bien opportun de se replonger dans la mémoire de ces souffrances du temps jadis, celles qui ont bâti une société riche du choc entre capital et travail, avec les acquis sociaux qui en découlèrent. Une bonne occasion de se relire  L’établi de Robert Linhart, ouvrage cher au prof d’économie de ma jeunesse, porteur de l’esprit de mai 68.

 Melancholia  est une immersion commémorative, teintée de nostalgie mélancolique, dans cette époque fascinante, tant pour la richesse des vestiges de l’architecture industrielle que pour l’évocation du courage et de la fierté des ouvriers. ( voir vidéo IN SITU France 3).

Trêve de digression, 23 ans et trois beaux albums plus tard (« Les chambres lointaines » en 2004, « Les soirs d’été » en 2009 et « Accueil transit » en 2018), j’étais passé à côté de la sortie de « Melancholia ».  Heureusement, une chronique m’a alerté sur la parution de cet opus, avec de surcroît un parallèle -que je partage pleinement- avec Alexandre Varlet (ex jeune espoir de la chanson française, lauréat du Prix Olivier Chappe en 2007) .

François Audrain comme Alexandre Varlet, sont de ces artistes qui savent disséquer les pensées, distiller les mots, décrire des images et peindre des émotions. Ce qui les caractérise, c’est cette qualité d’écriture, avec des chansons qui s’impriment dans le cerveau et des formules que vous retenez sans les avoir apprises… Idem chez Bergman, Fauque, Gainsbourg.

Chez Audrain, l’écriture se fait très littéraire, héritage de son métier de professeur d’histoire géographie, témoin des âges. Il a écrit son album comme un film documentaire, chronique de l’ère industrielle, créé en résidence sur une friche industrielle, le site de Lormandière à Chartes-de-Bretagne, (1853/ 1938) , ancienne usine d’extraction du calcaire avec fours à pierre pour la transformation du calcaire en chaux.

L’écriture est fine, les textes ciselés, la voix posée et chaude, son album est un mélange de chanson, de rock et d’électro, les arrangements -jonchés de bruits d’usines et de nature- sont modernes et inventifs, des guitares aux claviers en passant par les percussions et le sax …

Le nom de l’album  Melancholia , fleure la nostalgie de l’époque, impression renforcée par la superbe pochette, photo de Delphine Dauphy sur la carrière engloutie de Lormandière, comme un négatif argentique témoin des vies englouties par la machine industrielle… un cliché aux teintes inspirées des gravures sur étain ou sur cuivre… tel le Melancholia d’Albrecht Dürer, symbole de l’ambivalence d’un esprit tourné vers la connaissance mais ralenti par l’introspection et le doute. Mais le Melancholia qui guide la trame de l’album est bien celui de Victor Hugo, dont le poème est mis en musique : « Progrès dont on demande : Où va-t-il ? que veut-il ? / Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme / Une âme à la machine et la retire à l’homme ! / Que ce travail, haï des mères, soit maudit ! / Maudit comme le vice où l’on s’abâtardit, / Maudit comme l’opprobre et comme le blasphème ! / Ô Dieu ! qu’il soit maudit au nom du travail même, / Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux, Qui fait le peuple libre et qui rend l’homme heureux ! ». Un poème noir, ode à ces enfances et jeunesses volées, avec une scansion parfaite qui en renforce l’impact dramatique.

Le morceau qui ouvre l’album, « Nouveau millénaire », est lui aussi un modèle de déclamation théâtrale d’un cri révolutionnaire, sur un texte d’hommage au labeur et à la souffrance des sans visage et sans nom. Un texte d’actualité pour un monde à réinventer, sur fond de clavier hypnotique… Un titre grandiose, peut-être le plus beau de l’album, à  la recherche de la révolution d’un nouveau millénaire et du ciment d’une société post industrielle.

D’autres titres m’ont particulièrement accroché sur cet album :

  • « Les soirs d’été », avec son atmosphère de rock d’atelier, d’un minerai digne de « L’Imprudence » de Bashung.
  • « Début de siècle » dont l’ambiance et le chant saccadé nous renvoient au Lunatic asylum de Gainsbourg sur l’Homme à tête de chou.
  • « Coma » pour la beauté de son texte amoureux
  • « Les chambres d’Asie » au titre hérité du nom d’un de ses anciens albums

Bref, cet album est beau à tomber, il mérite de vivre en plein air (live) et ça tombe bien puisque l’actualité de François Audrain le conduit à la scène (ou plutôt le renvoie à l’usine), de fin septembre 2025 à octobre 2026, avec une série de concerts sur d’anciens sites ouvriers du patrimoine de la mémoire industrielle d’Ille-et-Vilaine. Une occasion à ne pas manquer .

Melancholia , pour conclure, est un album de récits d’usine, beaucoup plus rock qu’il n’y paraîtrait de prime abord !… Du rock industriel ? Ouhla, le gros mot que voilà ! Nous ne sommes pas chez les Einstürtzende Neubauten chers à Blixa Bargeld, mais un rock d’usine qui s’inscrit dans le sillon de la littérature de l’ère industrielle ; Hugo est là, Zola n’est pas loin.

Un chanteur à part, qui a une signature singulière et qui mérite toute notre attention !

https://francoisaudrainmusic.bandcamp.com/album/melancholia

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