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TOPS & FLOPS 2025, selon les rédacteurs de Dark Globe.fr : Serge Scotto

« KILLING AN ARAB » ( The Cure) – KILLING AN…OTHER ?

À l’occasion de son décès, tout le monde a célébré avec raison le génie créatif d’ Edika. Il fait partie des auteurs de BD qui m’ont fait exploser le cerveau quand j’étais ado et nous sommes nombreux dans le métier des auteurs de petits mickeys à lui être reconnaissants de ce qu’il a apporté à notre imaginaire. Je ne peux pourtant m’empêcher de penser que s’il démarrait sa carrière aujourd’hui, presque aucune de ses planches ne passerait ; il est prototypique de l’humour des années 80 et de la liberté de ton qui allait avec.

Les mêmes éditeurs et magazines qui ont fait sa gloire et à la fortune desquels il a largement contribué à l’époque, dans leur frilosité actuelle le trouveraient « problématique » ou « inapproprié »,  et ne le publieraient certainement pas. Son humour débridé ne trouverait grâce aux yeux de personne de convenable (ou de convenu, ce qui revient du pareil au même), et médias et réseaux sociaux ne lui accorderaient aucune indulgence.

  C’est pourquoi sa disparition est doublement désolante. Elle m’aura au moins inspiré cet article.

Edika était comme moi un homme du XXe siècle, d’une génération grandie avec la liberté d’expression chevillée au corps. Liberté d’expression tous azimuts, qu’on n’aurait d’ailleurs jamais cru voir se réduire comme peau de chagrin, jusqu’à être aujourd’hui quasiment disparue.

 

Je suis d’une opinion à présent peu commune : je milite pour une liberté d’expression totale, une et indivisible, comme la République ! Une liberté d’expression illimitée et absolue. Je ne veux pas jouer les philosophes de comptoir ni les vieux punks, mais je ne vois pourtant pas d’autre liberté d’expression possible, qu’illimitée et absolue ! Comme tous les principes fondamentaux, elle ne s’élève moralement qu’à l’égal d’une loi universelle de la nature (oui, j’ai lu Kant couramment, comme le chien Kador des Bidochon). Par définition, la liberté d’expression ne souffre pas d’exception, ni les « sauf » ni les « mais » auxquels on aime à la contraindre désormais.

Sans moi ! Toutefois, si tel est votre cas, ne dites pas « je suis pour la liberté d’expression, mais », ni « je suis pour la liberté d’expression, sauf », mais à ce compte-là, dites franchement « je suis contre la liberté d’expression » : ça aura le mérite d’être plus honnête. C’est un peu comme pour la peine de mort, j’en connais des « contre la peine de mort, sauf pour les terroristes » ou « contre la peine de mort, mais les pédophiles c’est pas pareil »… Eh bien, c’est qu’ils sont pour la peine de mort et puis c’est tout ! Et pourquoi pas ? mais il ne faut pas se mentir à soi-même. Et si l’on est contre la liberté d’expression, il faut appeler un chat un.e chat.te et le dire !

À l’heure actuelle, la plus grande majorité des gens est clairement favorable à la limitation de la liberté d’expression. On s’accorde pour y mettre des limites au point de légiférer, c’est notre gouvernement qui s’occupe de ça avec la bienveillance qu’on imagine, et chacun se flatte, en parlant de tels ou tels maux de la société, d’être outré et d’en appeler à la loi et aux tribunaux à la moindre saillie disgracieuse. Mais la liberté d’expression n’est pas là pour protéger les propos de bon aloi, ni pour garantir la seule expression des gens du même avis que vous ou pour vous protéger des  opinions qui vous choquent : elle a pour vocation exactement l’inverse ! Alors quand j’entends « le/la/l’ [NB : mettre ici ce que l’on veut selon sa sensibilité] n’est pas une opinion, mais un délit » et gnagnagna, personnellement, c’est ça qui me choque, si vous voulez savoir ce qui me choque à moi ! C’est le fait qu’au prétexte de la morale, on ait rétabli le délit d’opinion en lieu et place du débat d’idées et fait du contradicteur un justiciable. Une telle mesure de rétorsion envers les mauvais esprits manifeste une crainte de la controverse qui passerait facilement pour un aveu d’impuissance à convaincre, à mes yeux le symptôme le plus éclatant d’une faillite de la démocratie… Quand aucun médecin ne prétendrait soigner la plaie en se contentant d’écarter le pus !

Pour en revenir au cœur du sujet, voilà bien quelques décennies qu’un arsenal législatif se renforçant d’année en année encadre tout discours en matière d’histoire ou de science notamment, on qualifie à présent de fake new toute information contredisant les narratifs officiels, on prétend museler « la dérive » des réseaux sociaux que l’on y parle du covid, du climat ou de l’Ukraine… Comme si nous ne vivions pas dans un monde sournois, on grave la vérité vraie dans le marbre de l’opinion sans la moindre nuance, en se fiant aveuglément à l’idéologie dominante ( ce qui revient à l’opinion à la mode, celle sur laquelle tout le monde s’entend de l’extrême droite à l’extrême gauche, qui bouclent la ceinture d’un même système, qui se referme gentiment sur nous), en croyant ou prétendant faire le bien commun. Ce n’est pas compliqué: il y a les gentils et les méchants, tout est noir ou blanc, voire Noir ou Blanc, il y a le bien et le mal désignés et basta! Non décidément, on ne supporte plus la contradiction, on ne tolère plus la controverse; c’est la civilisation du reproche, où chacun se lève le matin en se demandant de quoi il a été victime la veille et ce qu’il pourra reprocher d’ici le soir à son prochain… et au final le règne de l’unanimisme.

Cependant le remède est toujours pire que le mal à vouloir limiter ou encadrer la liberté d’expression, car elle est la liberté de toutes les libertés : elle est en effet l’unique liberté qui garantisse à elle seule toutes les autres (que nous perdons peu à peu à l’avenant)

Nombre de mes confrères journalistes et artistes me rétorquent souvent qu’ils n’ont de toute leur carrière pourtant jamais été confrontés à la censure ; sans doute, mais pour fréquenter ces braves gens,  qui font les mêmes métiers que moi, je suis bien placé pour savoir que ces chanceux, dans l’ensemble, n’ont jamais tenu que des propos recevables, que je qualifierais de « subversivement corrects » ; c’est-à-dire, fusse de bonne foi, qu’ils n’ont en réalité jamais écrit une ligne ou prononcé une phrase qui les mette en danger ou qui ne relève de la critique communément admise. Subversifs dans le cadre, transgressifs dans les limites autorisées…

C’est tout ce qui a changé de nos jours ! L’alternative a disparu. Il ne reste plus que des miettes de la pensée alternative, comme d’ailleurs du rock alternatif ou de la BD alternative, à l’agonie… Et les poulets de grains qui se parent à présent des plumes de l’aigle de la rébellion, n’en ont en fait épousé que le costume, se contentant au-delà des apparences de criailler comme des perroquets.

Lorsque Gogol Ier chantait « J’encule » ou « Adolf mon amour », il se passait autre chose qu’à un concert de la Star Ac‘ ; je le sais, je figurais parmi sa « horde », sur scène à ses côtés, ce jour de 1987, lors du tournage de son concert (à La Locomotive) pour « Les Enfants du Rock » (cet excité en soutane a même failli m’y trancher le cou en tourbillonnant avec sa hache) : il se trouve que c’était la période où je produisais sans argent toute la scène alternative française dans le sud de la France, Gogol Ier, LSD (La Souris Déglinguée *ndlr), les Garçons Bouchers, Parabellum, les Thugs, etc. Pour ne parler que de la scène parisienne. C’est le professeur Choron, du journalHara-Kiri, qui m’y avait introduit, en me présentant Gogol quelque temps auparavant, alors que je n’étais encore qu’un petit scarabée et ce vieil alcoolo au crâne chauve mon maître à penser. Il n’y aurait pas une seule page d’Hara-Kiri, pas une seule couv’ de L’Echo des Savanes, pas un seul disque du Gogol de l’époque, qui soient éditables aujourd’hui, pas plus que le Hitler = SS  de Vuillemin ou l’intégralité de l’œuvre d’un Reiser, parce que « les jeunes d’aujourd’hui » (selon l’expression consacrée depuis toujours) seraient les premiers à beuguer (j’en ai fait l’expérience face à des classes d’étudiants en arts graphiques)… Voilà donc bien ce qui a changé plus que tout : quand j’avais 20 ans, c’est nous, les jeunes, qui choquions les vieux d’alors par nos propos ; la proposition s’est à présent inversée, ce sont les vieux de maintenant, avec leurs idées de liberté et leur liberté d’expression d’un autre âge, qui choquent les jeunes. J’ai pu le constater en société : avec ma liberté de parole incontrôlable, il suffit que j’ouvre ma gueule pour que les jeunes corsetés manquent d’air et s’évanouissent comme si j’avais une haleine de chameau, les fusibles de leur cerveau fondus comme frappés par la foudre ! « Craint la chaleur et l’humidité », c’était le slogan du chocolat Menier, ça pourrait être leur devise. Ha ! Il peut se moquer des boomers, ce brave troupeau de gentils petits moutons innocents, bernés par la perversion sociétale immanente et leurs bons sentiments, et que le moindre mot choque, qui font un malaise vagal ou une crise d’hystérie pour une virgule mal placée ou un mot mal choisi dans un commentaire Facebook ou parce qu’il n’y a pas de toilettes non-binaires au Louvres (entre autres lacunes manifestes dudit musée), totalement submergés par leurs émotions, et qui ne se projettent finalement qu’en victimes et voient le mal partout… Et s’ils voient le mal partout, c’est tout simplement parce qu’on le leur a mis dans l’œil !

  Photo Le Professeur Choron du Magazine Hara Kiri

Ce n’est pourtant pas en écoutant Jul ou Aya Nakamura (je n’ai jamais su le dire, alors j’ai googlisé pour l’écrire correctement), n’en déplaise aux mélomanes et aux lobotomisés, qu’on va faire la révolution culturelle ; leur grands-parents gueulaient « il est interdit d’interdire », la génération Z ne rêve que d’interdictions et de castrations, jeunes idiots utiles de la tyrannie en marche, qui croient naïvement, parce qu’on les a abreuvés au robinet d’eau tiède pour leur ramollir la matière grise, qu’on se débarrasse du sexisme par un sexisme d’un nouveau genre, du racisme d’hier par un  racisme de demain, et de la discrimination des un.es par la discrimination des autres. Las ! Toujours, le fascisme, pour avancer, a su en faire porter le masque de la jeunesse et de la modernité.

C’est bien triste… Mais c’est le système qui tire les ficelles, et qui produit malignement jusqu’à sa propre contre-culture, pour faire croire aux suiveurs qu’ils sont des rebelles. C’est pour ça qu’on est inondé de rap de m…e et de navets faussement décapants, et que les chanteurs dits engagés s’avèrent les chantres du conformisme. C’est en usant de tels paradoxes que le pouvoir se protège avec toute la puissance de tir des médias aux ordres, pour ne plus risquer jamais d’être renversé. En vouant aux gémonies ou à la « cancel culture » tout ce qui est réellement transgressif, aussitôt disqualifié. Le rock même, n’a plus rien de révolutionnaire, il n’existe plus qu’à faire du bruit, le peu qui s’y passe d’intéressant est noyé dans un brouhaha insipide, promu à grands frais d’engouements de commande. Il faut dire que les vieux rockers eux-mêmes mériteraient souvent l’euthanasie (comme le chantait OTH) : je m’amusais récemment à dresser la liste de mes idoles musicales de jeunesse qui ont depuis fait la pub pour Pfiser, durant le covid, et ça m’a fait peur, toutes ces vielles carcasses du rock ou du métal, qui chantaient jadis leur sympathie pour le diable, tremblant tout soudain par peur d’attraper un rhume : Mick Jagger, Dave Grohl, Neil Young, Joni Mitchell, le pauvre Bernard Lavilliers, et pratiquement tous les hardeux américains et anglais dont j’admirais jadis la crinière léonine (j’aurais dû en noter tous les noms sur le moment, vous en êtes quittes pour me faire confiance, car je voudrais n’omettre personne ni me tromper)… Clapton aura fait exception à la règle !

  C’est à vrai dire de longue date que j’avais compris que c’était foutu. J’en ai eu la révélation il y a une quinzaine d’années : il a suffi d’un signe, qui m’avait fait réaliser que le politiquement correct, ancêtre du wokisme, avait définitivement gagné. J’avais été gâté ce jour-là pour mon anniversaire : j’avais reçu un Avis à Tiers Détenteur de la part du Trésor Public, un virus de la part de la grippe et une gingivite ulcéro-nécrotique de la part de mes dents de sagesse ! Ça fait beaucoup de cadeaux pour  le même jour, mais en même temps c’était mon anniversaire… Ceux qui ont déjà eu une rage de dent me comprendront, je n’avais pas dormi de la nuit, avant de pouvoir prendre au petit matin blême un rendez-vous en urgence chez le dentiste ! C’est au cours de cette nuit blanche, les yeux écarquillés sur l’écran de télévision éclairant la pénombre de couleurs mouvantes, que j’avais passé le calvaire de mon quarante-neuvième anniversaire à zapper pour tromper la douleur. Jusqu’à ce que je tombe par hasard sur un concert récent des Cure  – voire « de Cure » ou « de The Cure », selon l’avis partagé des exégètes et des puristes –  , en tout cas le groupe que j’idolâtrais suffisamment pour l’avoir vu trois fois en concert à la grande époque. A ce que j’en voyais à la télé, ils n’avaient pas vraiment changé, Robert Smith gardait encore la beauté d’un portrait de Dorian Gray, avant la défiguration qui fit son œuvre tardivement, lui donnant à présent l’air d’une vielle poupée de chiffon délavée et échevelée à la foire à la brocante… Toujours est-il que de réécouter tous ces vieux tubes s’enchaînant à la perfection et à la note près, avait été pour moi un tel bain de jouvence, que ça m’avait fait plus de bien qu’un bain de bouche le temps que ça a duré ! La voix de Robert Smith, intacte, sur The forest, Charlotte sometimes, Shake dog shake, Boys don’t cry, In between days, etc. Les mélodies et les paroles qui me revenaient en même temps que se déroulaient les bons souvenirs entre mes deux oreilles… Heureux et trémoussant comme un somnambule oublieux de toute  souffrance, que j’étais ! Jusqu’à ce que retentissent les premières notes de Killing an Arab, ce titre culte inspiré par L’étranger de Camus. C’est alors que le titre de la chanson s’était affiché sur l’écran : Killing an… (je vous le donne en mille) other ! «  Killing another » ? La fièvre me faisait-elle délirer ? Je crus avoir halluciné, parcouru de frissons nerveux en attendant le refrain : mais non, le gros Robert se mit effectivement à beugler « Killing another, killing another » sur tous les tons !… Voilà donc où on en était, que les plus « rock » des groupes baissassent leurs vieux pantalons et  rebaptisent leurs titres trente ans plus tard, pour s’éviter sans doute d’avoir à polémiquer avec une poignée d’analphabètes de la dernière averse…

Ça ne s’est pas arrangé depuis, c’est tous les jours que la liste de mes contrariétés similaires ferait faire pâle figure à l’Inventaire de Prévert, et au pays de toutes les susceptibilités, c’est un petit miracle de voir encore publié un article susceptible d’être polémique. En manière de conclusion pour ce long billet concernant 2025, je ne peux donc qu’en louer Dark Globe !

Robert Smith, à propos de « Killing an Arab » :

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