The Cure sont devenus gigantesques. C’est presque du jamais vu mais les 2 dates estivales des 24 et 25 juillet 2026 au Festival de Nîmes ( Arènes romaines) sont sold out et une troisième vient d’être rajoutée… On a rarement vu tel consensus, telle affluence pour un groupe rock… En gros ce sont près de 60 000 billets sur trois soirs qui se sont vendus en un temps record. Par ici, on n’a jamais vu ça et aucune des têtes d’affiche qui ont joué dans l’amphithéâtre bi-millénaire n’ont été autant plébiscitées… Ni Sting, ni Clapton, ni Gorillaz, ni Depeche Mode, ni Gilmour ou Bob Dylan… Y aurait-il un phénomène The Cure? Un culte ?

Il y a bien longtemps, par contre, j’assistai parmi une audience clairsemée dans un Palais des Sports de Montpellier qui accueillait à cette période les concerts de rock, à l’une des dates de la tournée promotionnelle de Pornography. Nous devions être 200, 300 spectateurs, guère plus, en ce mois de juin 1982, dans cette salle qui convenait si mal la plupart du temps aux musiques électriques. The Cure publiait alors son 4eme lp, le troisième surtout de sa trilogie fondamentale cold. J’y reviens aujourd’hui et tout particulièrement sur Faith pierre d’angle de l’édifice ou clef de voûte , comme vous l’apprécierez.
C’est en 1981 que sort Faith, troisième album studio de The Cure. Le groupe qui est un trio, existe depuis 1978 . Après seulement un an d’existence, signe d’un grand tempérament créatif, le groupe avait réalisé Three Imaginary Boys , un premier disque post punk au son clair qui lui avait permis de gagner sa place sur la nouvelle scène musicale anglaise. The Cure en 1979 et 1980 se produit avec les formations du moment les plus pointues dont Joy Division, ce qui situe les londoniens dans une zone qualitative et prometteuse. En 1980 sortira 17 seconds, un deuxième lp, bien plus radical et d’un style plus personnel .
Il pose des bases cold wave minimalistes, sombres, exercice qui démarque The Cure de groupes post punk plus directement rock sinon plus conventionnels. Robert Smith, guitare et chant, est la tête pensante de The Cure. C’ est un jeune auteur/compositeur et interprète qui associe mélancolie et musique rock et trace une voie qui va devenir une signature musicale.

C’est dans ce contexte que Faith se retrouve sur le marché du disque en 1981, le groupe n’ayant pas chômé depuis 1979.
Voyons comment cet album crépusculaire a été fabriqué par les trois jeunes musiciens que sont alors Robert Smith/ Simon Gallup et Lawrence Tolhurst bien loin encore des stars qu’ils sont aujourd’hui…
Après l’écriture d’un nouveau répertoire durant l’hiver 1980 , le trio entre en studio en février 1981pour les sessions de Faith . Ce troisième album sera particulièrement marquant. The Cure le savent-ils? Les studios Morgan ,investis, sont dirigés par le producteur Mike Hedges. Il saura donner une profondeur aux compositions de Robert Smith qui joue également des claviers en plus de la guitare . Simon Gallup est à la basse, posant une manière en rupture avec le jeu rock classique pour cet instrument qu’on considéra longtemps comme d’accompagnement. Sa façon est lente, mélodique et paraît entraîner la musique vers des profondeurs abyssales .Lol Tolhurst à la batterie a un jeu minimal qu’il dote par contre d’un son chargé de reverb, lequel sera ensuite beaucoup imité par la vague synth pop. Il est à la fois inspiré par le krautrock allemand et la métronomie brute de Moe Tucker avec le Velvet Underground ( encore et toujours le Velvet!). Il ne faut en aucun cas y rechercher du lyrisme ou des fills de batterie en formes de prouesses. Faith, sur son ensemble, sera un disque introspectif, tourné vers lui-même , cherchant une nouvelle approche de la musique rock.
Edité en avril 1981 par Fiction Records, il est distribué par Polydor, une major de nature à toucher un public nombreux. La pochette est réalisée par les désigners de Parched Art (Porl Thompson et Undy Vella ),elle représente les ruines du prieuré de Bolton dans le brouillard. Ce choix est différent des illustrations des pochettes de la même période. Il prolonge celle de 17 seconds, avec une ligne esthétique bien à part qui connaîtra son acmé dans le flou rougeâtre et expressionniste de Pornography, album paroxystique qui clôturera la première trilogie de The Cure.
Sur la version cassette de l’album figure « Carnage Visors », titre qui dépasse les vingt-cinq minutes et préfigure Pornography. On pourrait se demander ce que The Cure cherchait alors à atteindre avec de telles pièces musicales, hors de tout standard ? Le morceau instrumental répétitif et sombre servira de bande son au film réalisé par Ric Gallup, frère de Simon Gallup. Animation très radicale il sera projeté au début des concerts du « Picture Tour » et j’ai pu le voir en avant concert lors de la prestation montpelliéraine de The Cure…

Photo The Cure, tournée française 1982. Par Michel & Philippe Hamon
Mais pour autant, The Cure n’oublie pas totalement les lois du marché – avec lesquelles il s’accorde fort bien en 2025… « Faith » tout aussi radical qu’il soit, avec ces claviers aux motifs répétitifs, est accompagné d’ un single accrocheur. Ce sera « Primary », sorti en mars 1981, qui se classe dans le Top 50 britannique. Les médias suivent et The Cure se retrouve très vite dans l’émission Top of the Pops malgré sa noirceur affichée . Cette humeur colle à des temps compliqués, vécus début 1980 par une Angleterre en crise, déclinante, sous l’emprise politique d’une Margaret Thatcher autoritariste. Le pays a perdu de sa superbe mais veut garder la foi... C’est ce que nous dit à titre personnel plus que sociologique toutefois, un Robert Smith qui se complait dans ses mélopées chantées sur peu de notes…
Mais « Primary » hit single, fonctionne et va se classer 29e en Nouvelle-Zélande. Le pays de culture anglo-saxonne est très intéressé par ces prémices new wave et cold, le groupe y jouissant très vite d’une grande popularité. De même aux États-Unis, le single gagne la 25e place dans le classement Club Play Singles. La face B comporte un instrumental inédit intitulé « Descent ». Ne pas le retrouver sur l’album est une stratégie commerciale qui valorise en même temps l’objet 45t, stratégie que The Cure poursuit avec « Charlotte Sometimes », chanson enregistrée en juillet 1981. Celle ci est commercialisée en octobre avec en face B un autre titre inédit, « Splintered in Her Head ».
Sur le maxi 45 tours (12″) on trouve une version du titre « Faith » enregistrée en concert. Le vidéo clip très réussi qui accompagne la sortie de « Charlotte Sometimes » cartonne sur les chaînes tv musicales qui émergent. Il a été réalisé par Mike Mansfield (réalisateur pour Adam and the Ants). The Cure développent ainsi leur image en flirtant avec les tendances goth et new romantics du moment, en même temps qu’ils travaillent leur style et leur son de façon volontairement indépendante. Les singles extraits de Faith – album toujours perçu par les fans avec Pornography qui le suit comme l’un des meilleurs archétype du son de The Cure – sont tous de vrais succès fin 1981.
Si « Charlotte Sometimes » et la version live de Faith se retrouvent sur le deuxième CD de la réédition Deluxe de l’album en 2005, ce n’est donc pas pour rien…
En 1981 le groupe qui a délaissé en partie les guitares de Three imaginary boys et celles de 17 seconds monte de plusieurs crans en termes de reconnaissance publique. En 37 minutes ( durée de nombreux albums clefs!) Faith pose de nouvelles donnes cold wave. Elles seront caricaturées par beaucoup de suiveurs, générant la vague d’un rock gothique parfois plus formaliste que chargé de sens. Ces chansons sombres, grises, crépusculaires constitueront une marche essentielle de la carrière de The Cure, comme un jalon artistique de la musique des années 1980.
Un peu plus tard, The Head on The Door avec le hit « In Between Days » marquera un retour vers la pop et un peu plus de lumière. Il sera aussi un splendide feu d’artifice new wave qui posera le groupe sur un sommet dont il n’est jamais descendu.
Photo mise avant, The Cure en 1981 . A&M Records
En écoute podcasts « Rock Trip« , mon émission pop/rock sur Radio 16 où vous pourrez trouver un numéro consacré à Faith.

Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.