Poser cette question dans un webzine dédié au rock indé est un peu de la provoc, je vous l’accorde. Mais c’est bien cette dimension de « provocation » qui m’interroge… Notre musique préférée est – elle raccord avec ce qui fût présent à ses origines – la grande secousse punk – ou bien a t- elle glissé dans l’exercice de style? Le rock indé serait, dit- on, à l’opposé des goûts de « monsieur tout-le-monde » formaté par les majors. Beau programme ! Mais qui est et que veut « monsieur tout- le- monde » en 2025? La liberté? L’indépendance ? Rien n’est moins sûr…
Il fût un temps où l’irréverence sinon la rébellion franche et un esprit libertaire étaient les moteurs de la musique rock. Ainsi idées et mouvements ( qui firent chou blanc à moyen terme), apparentés au rock, appelaient- ils une autre vision des modes de vie dans les sociétés occidentales. On constate de plus qu’une implication directe des formes d’art pop – rock, était davantage présente dans la vie de la jeunesse des années 1960 puis 1970 … Les prémices d’une critique du système ( denonciation de la ségrégation, du racisme , demandes de justice et d’égalité sociale) avaient été posés par le blues des années 1930/40. Puis prolongés par le rock and roll et le rockabilly des années 1950, qui parlaient de sujets tabous et d’un rapport au monde plus libre. Ce qui ne veut pas dire que Presley tenait un discours politique éclairé, loin de là – ne pas confondre les qualités – mais qu’il exprimait l’envie et le besoin de vivre autrement en secouant l’américain moyen ( lequel le récupéra bien vite). Par ailleurs ces genres musicaux étaient d’abord libres, les disques publiés sur de petits labels par les musiciens eux- mêmes. Les textes, les sons bousculaient les conventions passées, c’est ce qui comptait. L’aventure relèverait bientôt de ce qu’on appela contre-culture…En 1964 le FBI s’inquiéta du coup d’un possible sens caché dans « Louie Louie », premier hymne rock… Et n’interdit- on pas d’antenne l’ instrumental « Rumble » de Link Wray, parce qu’on en estimait le son de guitare comme une incitation à une remise en question violente de l’ordre établi ? Trouvons nous pareils exemples aujourd’hui?

Bob Dylan en 1966
Les années new wave , où émerge le rock indépendant, suivent la déflagration punk de 1976. Elles furent pourtant incertaines quant à la poursuite des sujets soulevés par The Clash, The Jam, les Pistols ou The Ramones, les New York Dolls et d’autres combos tout aussi virulents, ainsi que du ton employé. A part The Fall, The Pogues, The Smiths, PIL ou les punk U.S de Dead Kennedys, je ne vois pas grand monde qui poursuivit directement le chemin ouvert quelques années plus tôt… Le milieu 1980 , à l’inverse, a vu apparaitre moults groupes aux textes « emo », dépressifs et auto-centrés. On s’est beaucoup écouté individuellement mais on a peu écouté le monde autour de soi. Sa transformation n’était pas au programme de l’underground musical eighties. De leur côté les actions de Rock agaisnt racism ( Rar) , du Live Aid rassemblant groupes et artistes célèbres, ont été louables mais n’ ont guère changé les choses. Elles ont eu pour écho les effroyables nazi punks du mouvement RAC ( Rock against communism) ,nationaliste et d’extrême droite, que dénonça Jello Biafra avec son titre « Nazi Punks F***k Off ». En terme politique on pouvait espérer mieux et ces grands évènements ont ressemblé à de méga œuvres de charité, intrinsèquement éloignés de la nature foutraque du rock… L’indie rock ne s’en est guère mêlé . Toutefois je suppose qu’un type comme Keith Moon, incarnation du batteur rock, se préoccupait bien peu de « sauver le monde ». Jouer le crétin-troublion, par contre, était dans ses cordes. Un vrai rockeur indé ce Keith Moon?

Héritier de Neil Young, le grunge nord américain des années 90 a transitoirement réussi à retrouver un ton vindicatif , sauvage et salutaire pouvant redresser le cap indé. Ceci après une décennie de groupes de « garçons coiffeurs » dominant les charts, où les challengers indie ramaient pour vendre leurs propres disques… Ces appels grunge furent criés, plus que chantés, sans toutefois être suivis d’effets. On s’est agité en chemise de bûcheron, pour s’opposer aux carcans sociétaux – projet essentiel de Nirvana – mais sans soulever de mouvement autre que stylistique. A l’inverse d’un Dylan au mitan des sixties qui annonçait avec ses métaphores le changement des temps. Le grunge et ses grosses guitares n’ont pas eu la capacité de dénoncer quoi que ce soit, ni d’infléchir les tendances négatives d’un système mondial. Si on en compare les riffs aux envolées du solo de guitare historique de Jimi Hendrix à Woodstock le 15 août 1969, fustigant la guerre du Vietnam, le bilan de la révolte grunge paraît dérisoire …

The Clash en 1979
L’histoire est un mouvement continu. Post 1990, des artistes isolés ont brossé des peintures sociales critiques de leur temps comme le firent The Kinks à la fin des sixties. Certains y sont arrivés parmi les artistes indés les plus pertinents. En vrac : Pulp, Arab Strap, Rage Against The Machine, Blur ou The Auteurs – ces derniers pour la brit-pop- , exemples pris sans considération stylistiques. Diabologum, les Wampas ( à la fois rebelles , funs et kitsch) , de ce côté ci du Channel, Kat Onoma ( plus sérieux) se sont engagés sur le même terrain, chacun à leur façon … Réussites intéressantes. Mais objectivement la démarche contestataire s’est amoindrie dès le tournant des années 1980. Elle a connu quelques ersatz ici et là dans des genres variés. Le ton vif et mordant, ainsi que le mettaient en pratique les lyonnais de Starshooter ( 1975 -1982) , n’est plus aussi évident à déceler chez des musiciens qui se plaisent davantage à poser qu’à signifier. Pire, à copier un son pour être acceptés…Du moins peut- on en avoir parfois l’impression. Les formes priment sur le signifié. C’est dommage dans la mesure où l’un et l’autre , en matière d’art, se complètent toujours.

Fontaine D.C en 2024
Où se retrouve donc l’esprit critique ? L’ âme underground qu’on connut avec le Velvet , inspiration de groupes comme Jesus and Mary Chain ou les Bunnymen ? Cet esprit qui donne la capacité à une chanson de pointer ce qui déplait puis de suggérer un autre modus vivendi ? Écoutez « Ballad of a thiny man » de Bob Dylan… Cette force entendue sans la chercher parce qu’ évidence, on la trouvait chez les très grands comme The Doors, le Pink Floyd d’ Animals ou de The Wall. Dans le « Ghost Town » des Specials ou le reggae de Marley. A t- elle disparu au fil du temps?
Depuis le début 2000 le style indé s’est largement développé. S ‘il ne s’est pas complètement écarté d’une rébellion explicite dans une première décennie ( exemple d’ Arcade Fire ), n’a pas renié la philosophie et la méthode DIY ( foison de labels indé, parfois faute de mieux, cf les premiers succès de Clap Your Hands Say Yeah grâce aux plateformes bc et sc), a revendiqué les droits de chacun ( mouvement féministe Riot Grll), pour autant il n’ a pas avancé avec un étendard au manche des guitares … Cette machine ne tue plus les fascistes …pour paraphraser le sloggan de Woody Guthrie en 1960. Le genre musical dit indépendant est très majoritairement devenu un centre d’intérêt culturel pour les classes moyennes, voire aisées. Il touche aujourd’ hui ( comme le rock en général) , trentenaires diplomés, quadras, quinquas et sexagénaires qui n’ont pas perdu leur curiosité sur quatre décennies. A titre indicatif, statistiquement la moyenne d’âge du spectateur de Hell Fest est de 40 ans en 2025, de 38 ans pour les Vieilles Charrues, notre lectorat compte plus de 45/54 ans que d’autres tranches d’âges… Beaucoup plus rares sont les garçons et filles de vingt ans amateurs de rock, et on les retrouve surtout auditeurs de niches musicales plus ou moins dédiées . Ils sont objectivement moins nombreux que les adolescents qui les précédèrent de 1960 à 1990 ( en gros). Le public jeune n’est plus « le péril jeune » et il n’attend rien du rock contrairement au boom 1950/1980. La jeunesse s’est tournée vers le rap / hip hop qui a su exprimer en premier lieu les frustrations des quartiers défavorisés depuis 1990 ( IAM, NTM, Fonky Family). Quant au loubard rockeur , il n’existe plus guère que chez Margerin. Le rock indé est il devenu superfétatoire ?

Arcade Fire, années 2010
Cependant un retour récent de groupes à guitares, avec à leur tête les irlandais de Fontaine D.C pourrait changer la donne. Les musiques sont aussi engagées qu’orchestrées ( importance des producteurs) et le propos ne mâche pas ses mots.
Si Fontaine D.C sont emblématiques , c’est parce qu’ils s’attaquent au réel, tout comme Murder Capital autre formation de cette nouvelle vague. Ils traitent de préoccupations concrètes, de nature à parler aux générations confrontées aux difficultés économiques et sociales. Potentiellement des titres tel « Starburster » sont les nouveaux hymnes rock de la décennie. Si on compare au LWTUA de Joy Division, hymne indé des années 1980, on saisit l’écart de registre: de l’émotionnel on est revenu au collectif et au politique. Ce qui n’enlève rien à Joy Division, bien entendu.
Paradoxalement, les milliardaires quinquas Oasis, dont on parle beaucoup du retour sur scène, ont probablement été le dernier groupe en date avant Fontaine D.C à avoir produit ce même genre d’opus ( sur un autre mode), fédérateur d’un large public indé . Oasis, qu’on les aime ou pas, ont cristallisé les aspirations de la working class britannique. Plus que Lennon , pourtant un de leurs modèles. Les frères Gallagher ont eu ( et conservent) la capacité de faire se lever les foules selon un process d’adhésion et d’identification. Ce dernier point est fondamental pour comprendre ce qu’attend l’amateur de rock…

Boygenius en 2025
Autre exemple, récent celui – ci, inscrit dans ce retour d’un rock incisif réveillant les consciences, le trio féministe Boygenius en bonne place dans cette dynamique. Son immense succès de 2025, Not Strong Enough, exprime engagement et possibilité d’adhésion du public . Il y a interaction. L’énergie du groupe devient une motivation partagée pour celles et ceux qui l’écoutent. On retrouve ici un des fondamentaux du rock. Tant mieux.
En conclusion, rock et rock indé en 2025 bousculent- ils les choses de ce monde occidental devenu si difficile à suivre? Si on a vu Bono, Bob Geldorf ou Damon Albarn au G20 ou à Davoz, on sait que les musiciens ne sont pas les meilleurs politiciens. Ces derniers se sont confrontés aux grands de ce monde en entrant sur leur terrain. Faut il ou non se mêler aux représentants politiques quand on est artiste ? Souvenons nous de la photo de Presley avec Richard Nixon en 1975… Un symbole de récupération.

Presley à la Maison Blanche
Mais d’ailleurs le rock peut – il changer le monde? Nous rendre plus libre ? « J ‘ai rêvé d’un autre monde » chantait Jean Louis Aubert…bof bof bof… On peut toujours rêver, ça ne mange pas de pain. L’auditeur ou l ‘auditrice indé qui ne serait donc pas comme tout le monde, a-t-il ce rêve? Rien n’est moins sûr. Ce qui est apprécié ce sont d’autres sonorités que le main stream. Mais si possible vite reconnues. Rares sont les véritables curieux, comme rares sont les groupes qui réussissent à bouger les cadres et à provoquer des émotions nouvelles. Cela ne se réalise que si les musiciens savent s’émanciper de leurs influences et ont en eux une charge émotionnelle suffisante. A la fois intelligents, techniciens habiles et … heu…HPE. Ils nous offrent alors something else…
photo de couverture Jimi Hendrix, Woodstock, 15/08/1969

Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.