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Insight

Terre ceinte, Northern pilgrimage : « Manchester, so much to answer for »

Etape 1.

Dans Nom de pays : le nom, troisième partie du Tome 1 de sa recherche, Marcel Proust théorise la magnétique expressivité sémantique des noms de lieux, en dehors même de leur réalité géographique. Il montre en quoi par l’évocation de son nom, le lieu-dit désormais explose dans l’imagination comme un sachet de PG tips dans une eau à demie réchauffée. Florence, Parme notamment, toutes deux auréolées d’arborescences baroques dorées nous regardent depuis le haut de leur toponymie magistrale. Il en va ainsi des lieux concepts où l’Art a généré une autre matrice pour re-naître au monde. Pour dire l’esthétique du monde autrement.

Alors jouons. Jouons car nous savons tous ici, autour de cette table numérique, qu’il y a un nom et un seul dans la toponymie britannique qui ensorcèle et entoure toute référence à lui-même d’une sorte de halo fertile et magique à l’envers de son ADN industrieux et ferroviaire : MANCHESTER.

Proust l’a dit, le nom est plus important que sa matière même. Il a raison Marcel, il a raison jusqu’aux portes de l’avion. Il a raison jusqu’à ce que la matière fut découverte et extraite soudainement du monde souterrain et que, comme un Dante on plonge et on abandonne.

J’ai atterri cet été, c’était un 18 juillet, à Manchester airport, situé à Ringway environ 15 kilomètres au sud de la ville. Je savais que, sitôt le tarmac effleuré, rien ne serait plus jamais comme avant. Comme avant, l’oreille collée à la baffle de la chaine en 1990, quand JD Beauvallet, alors complice de Bernard Lenoir, en direct de Whitworth street, rapportait d’un son fragile et quasi cosmique tant la distance semblait indépassable la vie dans la file d’attente à l’entrée de l’Hacienda. Rien ne serait comme avant car j’étais là comme ceint par l’ensemble des forces vitales et musicales qui me hantent depuis lors.

J’étais hanté, oui, qui ne l’a pas été par ce MANCHESTER, monstre référencé et panthéonisé au rythme de nos écoutes, so much to answer for ? Il fallait un jour exorciser tout ce poids de terre immensément fertile, en la humant, en plongeant mains et pieds dedans, totalement, avec la faim sans retenue d’un ogre, avec la gratitude infinie d’un petit gars du sud de la France qui a survécu grâce à de petits gars du nord de l’Angleterre.

Le concert des frères Gallagher à Heaton Park le 20 juillet était l’occasion de franchir les steppes immenses que j’imaginais infranchissables. En deux heures l’étang de Berre allait céder la place à Deansgate et au Northern quarter.

J’ai tourné quelques minutes dans le hall de l’aéroport, histoire de déplier la carte du pèlerinage qui s’ouvrait une fois les portes automatiques franchies. Le taxi noir a ouvert sa porte, le ciel était bien gris, c’était parfait, la M56 enchaine les bretelles avant une sortie inconnue et de manière anecdotique franchir un petit cours d’eau dont le nom ouvre tout un monde, le monde que l’on est venu chérir, au front duquel on a envie de coller son propre front fraternel : The MERSEY. Tout le monde a compris l’envoutement de cette frontière imaginaire, celui du morceau des Stone Roses « Mersey Paradise » en 1992. Proust revient et je le comprends mieux dès lors : le nom du lieu lui-même est dévoré par la référence au monde cinémascope qui le dépasse, l’englobe et le dévore. Ce court d’eau aux berges approximatives et mal entretenues, ce pont modeste, c’était la frontière, la frontière d’un monde essentiel dont je viens, dont nous venons métaphoriquement et où je reviens -là- réellement. The Mersey Paradise, The Mersey Paradise, j’entends Ian Brown. L’Art plus fort que le réel. Je regarde la carte sur mon téléphone, je regarde la carte, la maison natale de Morrissey, 384 Kings road, là, à quelques centaines de mètres, the iron bridge attenant presque, je regarde la carte, les steppes ont été franchies, place au festin total.

(à suivre)

Photos François Dufour

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