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Live Reports

Bantam Lyons – Le Bada Bing (Nîmes), 18/12/2015  

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Dans le premier épisode d’Ulysses de James Joyce, Bantam Lyons est un personnage secondaire que rencontre Léopold Bloom au matin de son épopée d’un jour. L’échange entre les deux hommes se fait autour d’une méprise, par le prêt d’un journal dont les pronostiques hippiques intéressant Lyons, l’induiront vers de forts mauvais choix. Moment banal et anodin si on ne s’y attarde, mais qui introduit un des thèmes souterrains du roman-monde de Joyce, à savoir une évocation de la théorie du chaos. Les musiciens du quatuor brestois empruntent ainsi leur nom à ce Bantam Lyons, dublinois matinal mais néanmoins confus, et le choix est malin, qui indique sans qu’on ne le sache vraiment que c’est d’une grande bousculade (provoquée par moins que rien) dont il sera question avec eux.

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En parlant avec le groupe on obtient confirmation de ce qu’on avait noté en l’écoutant: les Bantam Lyons sont des jeunes gens lettrés mais aussi musicalement référencés. Et puisque le rock and roll est une grande affaire de recyclage, sinon d’école, ceci n’est nullement un défaut. Dans le cas de figure de nos bretons du bout du Finistère, l’école est Post New Wave et Post Rock. L’étiquette Pop/ Shoegaze, annonce de la soirée, étant un tantinet hâtive à mon point de vue, mais je pardonne l’approximation visant sans doute un public pas forcément initié aux sous rubriques complexes de notre musique favorite. Les échos perceptibles dans les compositions de ces deux dernières, mais aussi premières, années du groupe, sont ceux des écossais Mogwai, pour les guitares d’un cristal brillant ou toutes en nappes étirées, des Walkmen pour la nervosité du ton ou de The National en raison, surtout, du jeu de batterie caractéristique. C’est aussi à la New Wave eighties de The Sound qu’on pense, en suivant la voix et certaines mélodies chantées par L. (très Post Rock cette non personnalisation des musiciens sur le site du groupe), lesquelles rappellent la farouche superbe d’Adrian Borland. Il est amusant de noter que mis à part le bassiste des Lyons qui s’enthousiasma à cette évocation, nul membre ne connaissait l’auteur des perles Jeopardy ou From The Lions Mouth.

IMG_0071Sur l’étroite scène biscornue du Bada Bing, le groupe a joué serré et dru: un set d’un peu plus d’une heure rappel compris, introduit par « Glow » titre long et obsessionnel, devenant hypnotique. La leçon Spacemen 3 est retenue. « Wednesday » est le hit potentiel des brestois, qui vient en milieu de set list, pour un public très réceptif à ce stade et en début de mouvement ondulant. L’ensemble est mené de mains sûres, sans approximation. Le groupe engagé dans une longue tournée fait montre de maîtrise dans l’expression et la restitution live de ses titres tous chantés en anglais. Quand on questionne ce choix de langue, la réponse vient comme une évidence: «Toutes les musiques qui nous intéressent sont anglo-saxonnes. Il serait difficile de faire sonner nos textes en français.». Rien à redire à cela, qui s’inscrit dans une esthétique ne donnant pas aux mots la primeur sur le musical et suppose que le rock soit avant tout un son et que c’est la globalité du son qui fait sens (où l’on revient à Adrian Borland et The Sound, qui sait?). Avec des morceaux comme « When Lips Turn Purple », « Dawns », « Something familiar » ou « Mamad » qui a fait l’objet d’un clip récent, c’est une certaine urgence que traduit Bantam Lyons, sur disque comme sur scène. A l’instar des images du clip de « Mamad », tirées du film Naked Massacre (1976) ou l’errance meurtrière d’un vétéran du Vietnam sur fond de conflit en Irlande du Nord, on ressent l’intranquillité du chant de Loïc Le Cam. Voix quelquefois torturée, médium aiguë, il s’emporte volontiers sur des accélérations de tempos et des accords mineurs ouverts, frappés d’une main droite énervée. C’est une des caractéristiques du groupe, qui exprime une noirceur qu’on ne devinait pas de prime abord, l’allure standard des musiciens eux mêmes revêtant les aspects décontractés d’une génération née dans la deuxième moitié des années 80. C’est le Bantam Lyons de Joyce qui revient, celui qui craint de perdre sa mise ou beaucoup plus, lui qui s’imaginait vainqueur. On se retrouve alors dans la transposition 2015 de sentiments proches de l’univers intérieur d’un Ian Curtis – héros tragique et involontaire que le groupe ne semble pas ignorer. C’est l’apprentissage de la désillusion que chante Loic Le Cam, cet apanage initiatique de la jeunesse.

Après seulement deux EP (remarquons le titre du premier I Want To Be Peter Crouch qui porte sa belle empreinte North West England) les Bantam Lyons, remarqués aux Transmusicales, ont beaucoup d’arguments pour devenir les chouchous des amateurs d’un certain rock indépendant empreint d’une dose de bourdon idoine. C’est tout le mal que je leur souhaite. C’est aussi ce qui risque de leur arriver, du moins pour un temps, mais le temps ils l’ont encore et devant eux.

Le groupe est actuellement en tournée dans toute la France, en Allemagne et en Suisse.

Ep: I Want To Be Peter Crouch, 2014 et Bantam Lyons, 10/2015.

Site web

[youtube]XafLZpocqxg[/youtube]

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