Le temps passe toujours trop vite… Il y a quelques jours Debbie Harry a eu 80 ans. On n’y songerait pas si on ne le lisait dans la presse, ceci pour la simple ( et bonne) raison que l’artiste nord américaine reste dans notre mémoire ( voire notre inconscient) cette éternelle sex symbol blonde platine apparue sur la scène rock de la fin des seventies, à la fois rockeuse teigneuse et objet de fantasmes .
Pourtant, lorsqu’elle se glisse en 1974 dans le rôle de Blondie, Debbie Harry n’a pas pour intention de jouer celle qui ne serait qu’une délicieuse poupée du rock new yorkais… Le nom du groupe vient directement du surnom que lui donnent alors ceux qui assistent à ses premiers concerts en 1974 et 1975. Debbie attire le regard et sa blondeur affole… En devenant la figure de proue du groupe mené par Chris Stein ( son mari de quatre ans plus jeune ) et elle – même, Debbie Harry a déjà un bagage et une culture non négligeables. Elle a fréquenté la Factory et Andy Warhol ainsi que Marcel Duchamp. Elle a chanté du folk avec Wind in The Willows à la fin des sixties ( Debbie est née en 1945 à Miami), a copiné avec Joan Jett des Runaways, formé les Stilletos trio punk féminin et aura, à l’occasion, servi de chauffeur pour les New York Dolls groupe qui l’obsède. Par ailleurs, elle fut aussi Bunny Girl pour le Club Playboy, starlette sur papier glacé, se conformant complaisamment à certains canons et normes physiques imposés aux femmes par le regard et le désir masculin… Tout ceci n’est cependant en aucun point contradictoire, ni ne contrarie Debbie qui, pour une carrière artistique désirée, choisit l’option: je colle aux clichés que la gent masculine se fait des femmes pour mieux la détourner à mon avantage. Je résume ici l’idée. La pin up reste aussi « un mauvais garçon », mais pas à la manière de Patti Smith, Chrissie Hynde ou de sa copine Joan Jett. Debbie joue sur les opposés et le paradoxe . Il faut, pour la comprendre, garder cela à l’esprit.
Il y a du sexuel chez Blondie/ Debbie Harry, l ‘affaire est entendue. En témoignent les photos de la fin seventies, sur lesquelles elle pose nue avec une Gibson SG sur le corps, ou dans un chemisier transparent pour promouvoir un album du groupe. Mais la volonté de l’entité musicale Blondie est surtout d’amener du fun et du mouvement dans le rock , de donner envie de danser sans se prendre trop au sérieux. Les clichés sensuels ou sexy ne sont donc pas antinomiques. Le second degré est permanent et Debbie Harry n’est jamais dupe de son personnage. Un moyen efficace, en tous les cas, pour amener une révolution dans le rock ( et la pop) au milieu des années 70, qui s’accroche en même temps à celle du punk en plein essor. Pour cela Blondie, le groupe, sera toutefois rapidement controversé par ses pairs intransigeants de la même période. On ne comprendra pas toujours les transgressions stylistiques, les passages du rock à la pop et les incursions dans le disco ( exemples types « Heart of Glass » « Atomic »). Debbie, en tant que chanteuse, changera souvent de registre vocal, allant du grave à l’aigu , variant ses intonations selon les titres qu’elle interprète . Quoi qu’il en soit, Blondie devient une véritable machine à tubes de 1977 à 1982, se jouant des codes musicaux, à l’instar de leur chanteuse blonde hyper sexuée , féminine mais pas féministe : notez cela.
« Beauty Queen », qui est le surnom de Debbie Harry depuis l’adolescence, est une illustration de la personnalité de celle qui eut pour modèle Marilyn Monroe ( on s’en serait douté), tout en montrant un mental beaucoup moins vulnérable. Debbie est capable de provoquer, de piquer au vif – différence notable avec Monroe – et non de subir. C’est une des tendances récurrentes utilisées par la chanteuse, Stein et les musiciens. La scène punk de l’époque participe de cet aspect plus ou moins agressif de Blondie, du moins à ses débuts, qui détourne facilement les repères usuels, y compris ceux de l’androgynéité au travers des paroles chantées. Abusée sexuellement , Debbie est capable de lâcher ces mots dans « One Way or Another » : « D’une façon ou d’une autre, je t’aurai « . Paroles adressées à son ex petit ami et agresseur… Pas impressionnable, pas victime effondrée ou plaignante éplorée, Debbie Harry est debout. Elle mord !
Lucide, l’artiste sait pertinemment et très vite que son image est utilisée pour vendre des disques. Il n’est pas sûr du tout qu’elle y ait jamais vu le moindre inconvénient. Dans la mesure où cela lui sert, on dira qu’elle n’y voit pas de problème. Debbie Harry n’est pas une militante féministe, je l’ai dit , mais pas plus qu’ elle n’est une pin up naïve derrière un micro, jouet du show business. Finalement, elle est autant femme que homme, entourée des quatre garçons du groupe. Elle ne sert pas au decorum mais, au contraire, entraine toute la machine ! Ainsi ouvre t- elle la voie pour les stars féminines qui la suivront, Madonna en premier lieu. En y regardant de près toute son importance, hors aspects musicaux, se trouve là. C’est elle, plus que toute autre artiste rock du tournant 70/80, qui déconstruit la question de l’image masculin / féminin, comme celle de la question du pouvoir et des rapports de force genrés dans les sociétés occidentales du XXème et du XXIème siècle. D’un point de vue sociétal, son action est là; elle est de taille. Qui prétendra alors qu’elle ne fut qu’un joli minois avec un brin de voix accrocheur, se met le doigt dans l’œil… Madame Debbie Harry vient d’avoir 80 ans.
Le groupe en 1978
Musicalement l’intérêt essentiel du groupe s’étale sur une période de cinq ans, de 1977 à 1982. En solo Debbie Harry s’est appliquée à défaire son image à partir du milieu 1980, ceci avec un succès relatif qui présente un moindre intérêt artistique que son travail avec Blondie. Pour apprécier la musique du groupe ( et ses tubes imparables) deux compilations sont incontournables : Singles Collection 1977-1982 et Against the Odds 1974-1982, coffret époustouflant collectant raretés , inédits, et versions alternatives, paru en 2022.
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.