Loading...
Interviews

Interview – A Place To Bury Strangers

Voilà plus de cinq ans qu’Oliver Ackermann nous fait grésiller les oreilles de plaisir avec A Place To Bury Strangers, à grand coups de guitares électriques poussées à leurs limites, de pédales d’effets maison et de basses vrombissantes. Remarqués avec un premier album éponyme éblouissant sorti sur Rocket Girl/Important records en 2007, « APTBS » façonne depuis son antre, « Death By Audio » (une sorte de complexe de création, monté par Ackermann et quelques uns de ses acolytes à Brooklyn) un noise rock hybride mêlant murs de guitares psychédéliques distordues et rugueuses, rythmiques syncopées, sans oublier de porter un soin appliqué à ses mélodies. A l’heure de la tournée européenne en support du troisième album du groupe, Worship, échange avec Oliver autour de ses inspirations et de la flamme qui l’anime…

Oliver, tu es le dernier membre du line-up original, depuis la création du groupe en 2004, à en faire partie aujourd’hui.

Oliver : Oui, c’est exact!

Dion (du fond de la pièce, en train de changer les cordes de sa basse) : Tu devrais faire gaffe à toi!

Est ce que ces changements de line-up, particulièrement les derniers, ont été difficiles à gérer? (Dion Lunadon, basse, fait partie du groupe depuis 2010 et Robi Gonzalez, batterie, depuis le début de l’année seulement – ndla)

Je crois plutôt, d’une certaine façon, que ça rendu les choses plus faciles. On est un peu comme un groupe de travail ou chacun a sa spécialité ; Dion et moi avons écrit l’album Worship et l’EP Onwards To The Wall ensemble ; c’était agréable pour moi de collaborer avec quelqu’un à nouveau. On découvrait un nouveau son, un nouveau setup, c’était excitant! Par le passé, c’était plutôt moi qui écrivais et qui donnais aux autres leurs instructions. Aujourd’hui j’ai davantage d’interaction avec le reste du groupe, et j’aime çà parce que Dion et Robi ont un background très différent. Robi a une formation musicale plus complète, Dion vient du rock, du garage, ce genre de trucs. C’est une bonne association de personnes, c’est comme démarrer un groupe complètement nouveau.

Le son a pas mal évolué en effet, il y a plus de parties mid-tempo, et des passages carrément aériens même (je pense surtout à « Dissolved »)…

Oui, indirectement tout çà est lié. On a fait attention à conserver ce qui sortirait de notre travail en commun… Et puis pour la première fois, en tout cas en ce qui me concerne, j’ai vraiment pris le temps de faire ce disque tel que je le voyais. Et en ce sens, je crois que c’est le premier disque que nous avons eu conscience d’écrire comme un véritable album, aucun de ses titres ne provient d’autres sessions ou de morceaux plus anciens qui aurait pu être réarrangés.

L’EP et l’album sont-ils issus des mêmes sessions d’enregistrement, ou les avez-vous conçus comme deux disques à part entière?

La plupart des morceaux ont été composés aux même moment ; les titres du EP sont parmi les premiers que nous ayions écrits ensemble, mais à ce moment-là nous avions déjà pas mal d’idées mises en forme pour les chansons de l’album. On a pris ce qu’on pensait être le meilleur et ce qui collait le mieux ensemble pour l’EP. Et puis c’était aussi un moyen de nous pousser nous-même à faire encore mieux sur l’album, qu’on voulait sortir dans la foulée, et qu’on souhaitait plus abouti, plus dynamique encore.

APTBS est souvent rattaché à « Death By Audio »… C’est un lieu à Brooklyn où je sais que tu fabriques et vends des pédales d’effet, c’est aussi un studio, une salle de répète où vous jouez régulièrement en public. Ça a l’air assez fantastique comme endroit?

Oui, c’est assez grand, c’est un immeuble à Brooklyn où je me suis installé avec quelques autres personnes ; on faisait pas mal de choses diverses et variées mais principalement, ça a commencé comme un atelier de fabrication de pédales d’effet. Il y a aussi une salle de concerts, et on a aussi installé un petit label, Death by Audio Records, depuis 2007. Au fil des années on a pris de plus en plus de place dans ce bâtiment, qui n’a pas de voisins.

Dion : … Ça n’a pas toujours été le cas!

Oliver : Non, en effet! (rires – ndla, on se demande ce qui a bien pu pousser les voisins à déserter l’endroit.) On n’a plus de voisinage proche, ce qui est assez cool – et rare! – à Brooklyn, on n’a donc pas à se soucier des nuisances sonores et on peut exploiter tout le potentiel de cet endroit. C’est un lieu entièrement occupé par des artistes qui ont l’opportunité d’y faire ce qui leur plait, et le fait qu’APTBS ait fini par obtenir un succès relatif a aussi attiré l’attention sur d’autres artistes de DBA qui y font vraiment un travail impressionnant. Death By Audio est une sorte de collectif d’art au final, c’est un mot qui convient assez bien. On a construit ce truc du sol au plafond, exactement avec l’environnement de travail qu’on souhaitait. C’est une liberté dont peu de gens jouissent.

Vous y avez enregistré Worship ?

Oui, l’album a été intégralement enregistré et mixé à Death By Audio. On s’est même amusé à faire des prises de son dans divers endroits dont on trouvait l’acoustique intéressante, comme des cages d’ascenseur, des couloirs…

Du coup, on imagine difficilement une façon de faire plus DIY (Do It Yourself, « fais le toi-même« ) que la tienne. Tu fabriques tes pédales d’effet, tu construis l’endroit où tu répètes et enregistres… Tu ne serais pas ce qu’on appelle un « control freak« ?

Oui, sans doute! Ça peut sembler étrange mais le fait de gérer tout çà rend mon travail plus sincère en quelque sorte, et plus complet à mes yeux. Le fait de maîtriser totalement comment et pourquoi on enregistre d’une façon ou d’une autre, ce qui se passe pendant les phases de création, cela crée une atmosphère dans laquelle les gens qui y prennent part collaborent mieux, et surtout confrontent mieux leurs idées. C’est génial quand tu as une vision, une direction, et que tout le monde te suit. De la même façon que, parfois, que tu suis celle des autres.

Vous avez travaillé avec des labels différents pour chacun de vos albums. Etait-ce un choix plus ou moins dicté par ce besoin de contrôle?

Non, pas vraiment. On a juste eu cette opportunité. La plupart du temps, quand tu signes un contrat sur un label c’est pour plusieurs albums, mais Mute Records (label sur lequel est sorti Exploding Head, deuxième album – ndla) a été vendu en même temps qu’EMI, et nous avons donc eu le choix de changer de label à ce moment précis. Travailler avec des gens différents nous a alors simplement semblé être la meilleure idée. Tu sais, on a tendance à toujours voir les aspects négatifs dans ce type de relation, à se dire qu’on ferait les choses différemment si c’était à refaire, que l’herbe est toujours plus verte ailleurs… Mais en regardant derrière nous, Mute a été un label fantastique, et je suis vraiment content de la façon dont Dead Oceans s’occupe de nous aujourd’hui. Mais… (après une longue hésitation) Qui sait?

La musique, et la scène en particulier, semblent être un incroyable moyen d’extériorisation pour toi, ça tranche un peu avec l’image que tu dégages à la lumière du jour : selon toi, qu’est ce qui t’a amené à concevoir la musique, et à en faire, de cette façon?

Je ne sais pas! J’ai une sorte de besoin constant de fabriquer des choses, créer, inventer, j’ai toujours adoré çà. Peut être que c’est l’impression d’accomplir quelque chose, ou alors juste le besoin de toujours faire mieux, plus gros, plus fort, plus barré que tout ce que tu as fait avant. Peut être l’envie de partager tes expériences et les choses que tu as vécues de la façon qui te semble la meilleure. Souvent tu es émerveillé, ou tu te questionnes sur quelque chose, et tu ressens le besoin de partager tes émotions avec les autres. Tout ce qui nous traverse l’esprit finit par être moins merveilleux, moins stupéfiant avec le temps : alors en asseyant de créer quelque chose d’aussi « extraordinaire », dans le message que tu délivres et dans la musique que tu fais, c’est comme si tu figeais ces émotions dans tes propres souvenirs. Quand tu es sur scène, avec d’autres musiciens, et que tu as l’impression de toucher ça du bout des doigts, c’est juste fantastique.

On parle beaucoup des influences post-punk, cold-wave d’APTBS – My Bloody Valentine, Jesus & Mary Chain… Mais je trouve que dans l’approche et l’expérimentation sonore et matérielle, vos morceaux font parfois penser à des musiques plus bruitistes et abstraites, comme celle de Merzbow, Tim Hecker… Est ce que tu te sens associé, d’une façon ou d’une autre, à ces courants-là?

Oui, c’est sûr… Je veux dire nous sommes des gens qui aimons la musique. Il y a forcément beaucoup de styles qui nous influencent, et on écoute beaucoup de noise. Mais je crois qu’une partie de ce que nous essayions d’atteindre est d’écrire des chansons, avec des mélodies, des refrains… Des morceaux qui peuvent accrocher, sans reposer entièrement sur l’expérimentation sonore. Mais nous aimons beaucoup ce genre de musique, et incontestablement l’impression de créer des sons que personne n’a jamais entendu avant est quelque chose d’énorme.

Quand tu créées une nouvelle pédale d’effet, c’est un peu çà non?

Oui, aussi ! C’est vraiment cool quand tu découvres quelque chose de complètement nouveau, et la plupart du temps ça arrive par accident. Ce genre de moment où tu te dis que quelque chose d’étrange est en train de se passer… C’est toujours excitant.

www.aplacetoburystrangers.com
www.deathbyaudio.net

Crédits photo : Gérald Tournier (1, 5, 6, 8) / Stéphanie J. (2, 3, 4,7)
Remerciements : Oliver Ackermann (thanks for your time!), Pauline & Amélie @ l’épicerie Moderne & Cédric pour le son de la vidéo

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.