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Interview – The Notwist

Markus_Archer-MUSICIEN DE THE NOTWIST

Avant toute chose, il me faut donner un conseil en forme de déclaration amoureuse : pour tous ceux qui n’auraient pas encore eu cette chance, allez voir The Notwist en concert. Il est si rare de voir sur scène un groupe réunir pendant presque deux heures autant d’intensité crève-coeur, de virtuosité musicale sans bling-bling, d’expérimentations musicales si jouissives pour l’oreille, d’intelligence mélodique, de fragiles emballements du palpitant supportés par des déferlements d’énergie brute et bruyante. Ce 4 Février 2017, à l’occasion de leur excellent album live Superheroes, Ghostvillains And Stuff, les allemands revenaient donc pour la troisième fois à l’Épicerie Moderne. Environ une heure avant le concert, Markus Archer, le chanteur du groupe, nous accueille avec son air de professeur impassible, son sérieux et sa pudeur tout à fait allemandes, son pull vert et ses lunettes. Les rides de son visage font écho aux nôtres et nous rappellent non seulement que le groupe existe depuis bientôt trente ans mais surtout que le temps passe bien trop vite. Il s’exprime en prenant son temps, en pesant ses mots, sans doute parfois embarrassé par mes déclarations enamourées pour la musique de The Notwist (il est tellement précieux de trouver une bande-son qui vous accompagne pendant des années sans perdre de son importance); une oeuvre constamment en mode  « work in progress » et toujours hantée par une mélancolie déchirante et lumineuse.

Cela ne te paraît pas surprenant de tourner pour faire la promotion de Superheroes, Ghostvillains And Stuff, un album live? 

Non, pas du tout. Peut-être que le côté étrange est que les gens peuvent, à force d’écouter le disque, le comparer avec ce qu’ils voient sur scène et, au final, le préférer à notre prestation (sourire).

Je vous ai déjà vu plusieurs fois en concert et ce qui me surprend toujours, c’est cette facilité qu’à le groupe sur scène à transformer souvent de manière extrême les chansons des albums, notamment « Pilot ». A quel moment décidez-vous de retravailler ainsi certains morceaux? 

En fait, ces choses viennent petit à petit, pas à pas. A chaque fois que nous jouons, des idées différentes apparaissent que nous essayons d’incorporer et d’adapter à la structure du morceau. Concernant « Pilot », Martin (Gretschmann aka Console, ndla) en avait fait un remix ainsi que de « Neon Golden ». L’idée est venue très rapidement d’associer les deux morceaux remixés pour en réaliser un mix live. C’était l’idée originale sur laquelle nous avons continué à travailler au fil des années et désormais, le résultat est très différent de la base originale. Peut-être aussi parce que Martin a quitté le groupe et que Kikko l’a remplacé; il a su apporter ses propres idées sur des structures déjà existantes.

Avec autant d’instruments et de machines sur scène, la frontière entre l’improvisation et le respect des compositions pendant les concerts me paraît parfois très floue.

Il y a certaines parties de nos chansons que nous ne pouvons pas changer, des structures qui restent immuables. Mais nous tenons aussi à conserver des moments sur lesquels nous pouvons improviser et nous amuser. Et nous essayons de le faire autant que possible, d’évoluer constamment. La gestation d’une chanson peut être longue et je crois que parfois, lorsque les chansons sont nouvelles, elles ont beau apporter une certaine fraîcheur, elles n’ont pas toujours développé leur potentiel complet au moment de l’enregistrement. Il y a aussi toujours ce problème d’adaptation de certains morceaux à la scène: certains vont rester très proches du disque, d’autres ne fonctionneront pas. Mais certaines chansons ont aussi tendance à se développer par elles-mêmes et je crois que dans ce cas là, le résultat live est souvent meilleur qu’au moment de l’enregistrement. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons décidé de sortir Superheroes, Ghostvillains And Stuff. Nous pensions que c’était le bon moment pour documenter la manière dont certaines chansons avaient évolué.

Certaines chansons ont aussi tendance à se développer par elles-mêmes et je crois que dans ce cas là, le résultat live est souvent meilleur qu’au moment de l’enregistrement.

Votre groupe est passé par beaucoup de styles musicaux différents au fil des décennies. Tu as l’impression que cette éclectisme musical dans votre carrière est surtout visible sur scène? 

Cela dépend vraiment de l’endroit où nous nous trouvons musicalement parlant. En ce moment, je pense que nous avons trouvé un langage d’improvisation qui n’est à la fois pas vraiment du jazz ni de l’indie pop. Nous décortiquons le vocabulaire de nos chansons et essayons de le réorganiser d’une manière qui soit à la fois intéressante pour le public et pour nous.

Aux yeux du public et de beaucoup de critiques, Neon Golden représente sans doute l’étape majeure pour the Notwist. Au vu de la carrière déjà longue du groupe, est-ce que tu ne trouves pas cela réducteur? 

Non, je suis plutôt juste content lorsque les gens s’attachent à une oeuvre que nous avons créée. Et s’il s’agit de Neon Golden plus que nos autres albums, cela ne me dérange pas plus que cela.

Tu n’as donc pas l’impression de devoir jouer des morceaux de Neon Golden parce que c’est ce que ton public attend? 

Après un moment, nous ne pensons plus vraiment en terme d’albums. Pour nous, il s’agit plus d’une grande collection de chansons dans laquelle nous piochons. Nous recherchons les morceaux que nous préférons jouer: « Pilots » et « Neon Golden » sont plaisantes parce qu’elles se transforment constamment. Bien sûr, parfois, à postériori, nous nous rendons compte que notre choix de chansons se porte parfois majoritairement sur tel ou tel album mais la plupart du temps, nous n’y prêtons pas spécialement attention.

Neon Golden a capturé l’air du temps, les développements de la scène de l’époque, cette envie de mélanger des éléments de l’indie-pop avec l’électronique.

Mais avec le recul, comprends-tu pourquoi Neon Golden a tant touché le public?  

Je crois que Neon Golden a capturé l’air du temps, les développements de la scène de l’époque, cette envie de mélanger des éléments de l’indie-pop avec l’électronique. À cette époque, il existait des groupes qui suivaient cette direction et nous étions l’un d’entre eux. Et puis nous venons d’Allemagne avec cette tradition de musique électronique et de krautrock et les auditeurs en Europe et aux États-Unis ont su reconnaître cette filiation. De plus, je pense que beaucoup de chansons dans Neon Golden sont d’une certaine manière très directes, très claires dans ce qu’elles disent. Il est alors plus facile pour les gens de s’y attacher parce qu’elles leur parlent sans prendre de chemin détourné. Tandis que pour certains de nos autres albums, les choses sont sans doutes plus mystérieuses, plus obscures. Mais d’un autre côté, je n’en sais rien (rires).

En parlant de cela, l’un de mes morceaux préférés de the Notwist est « Gravity ». Tu peux m’expliquer pourquoi je suis toujours sur le point de me mettre à pleurer lorsque je l’entends? 

(silence) Je ne sais pas… Toi, tu le sais sûrement… Mais c’est sympa de m’avouer cela. (rires) Je crois qu’en définitive, tu entends toujours quelque chose de toi-même dans une chanson, dans un film, dans l’art en général ou quoique ce soit qui te touche. J’aime beaucoup l’histoire des parents qui donnent un coquillage à leur enfant et lui disent: « Pose-le sur ton oreille et tu entendras la mer ». Et lorsque l’enfant écoute, il croit entendre les vagues alors qu’en fait, ce sont les pulsations du sang dans sa propre oreille. Je crois que c’est la même chose lorsque tu regardes un tableau ou quelque chose qui t’émeut. A la fin, tu vois quelque chose que tu reconnais, quelque chose que tu ne peux pas exprimer avec des mots ou n’importe quel autre langage connu par l’homme. L’art et la musique te permettent d’exprimer une abstraction d’une manière émotionnelle et directe. J’exprime des choses que je connais mais que je ne saurais exprimer ou nommer d’une manière différente. C’est parfois très difficile mais aussi magique de trouver une chanson… Il m’arrive souvent de chanter des choses que je ne comprends pas immédiatement. Et parfois des années plus tard, tandis que je la chante à nouveau, je me rends compte de ce que je voulais exprimer. Je ne viens surtout pas t’expliquer que je suis un grand intellectuel mais plutôt que ces choses-là fonctionnent à l’envers. Les enfants ont une manière très intuitive de parler et d’exprimer leurs envies et je pense que si tu es une personne créative ou veux devenir un artiste, tu dois arriver à conserver cette façon de te connecter aux choses d’une manière très inconsciente, qui n’a pas besoin de s’expliquer par elle-même.

J’aime beaucoup l’histoire des parents qui donnent un coquillage à leur enfant et lui disent: « Pose-le sur ton oreille et tu entendras la mer ». Et lorsque l’enfant écoute, il croit entendre les vagues alors qu’en fait, ce sont les pulsations du sang dans sa propre oreille.

Maintenant que Martin Gretschmann a quitté le groupe, ton frère et toi êtes les derniers membres originaux de the Notwist.

The Notwist ressemble plus à une grande famille qu’à un simple groupe. Les autres membres sont là aussi depuis très longtemps, que ce soit Max qui joue de la deuxième guitare, Andi le batteur, Karl Ivar au vibraphone ou Kikko qui a remplacé Martin. Tu sais, c’était très difficile pour Martin de quitter le groupe, de décider de ne plus en faire partie. Il est professeur et il n’avait plus beaucoup de temps à nous consacrer. Nous avions beaucoup de propositions de concert et souvent, nous ne pouvions pas y répondre favorablement parce que Martin était pris par son job de professeur. S’il est parti, ce n’était pas parce qu’il ne voulait plus jouer avec le groupe mais plutôt une décision qu’il devait prendre, parce qu’il l’avait l’impression d’empêcher le groupe d’avancer. Kikko l’avait déjà remplacé de manière ponctuelle par le passé et cela s’est fait naturellement.

Je trouve votre dernier album studio, Close to the Glass, plutôt déroutant.

Avec Close to the Glass, nous ne voulions pas d’un son unique qui unirait toutes les chansons. Nous avons donc composé des chansons extrêmement différentes entre elles, comme une compilation de différents styles. Certaines sont très électroniques et froides, dures tandis que d’autres sont plus brumeuses ou indie pop. Je pense que chaque titre sur Close to the Glass possède une personnalité distincte.

Comme « Seven Hour Drive » qui est plutôt un morceau shoegaze, non?  

Oui, c’est très My Bloody Valentine… Au moment de Close to the Glass, nous avions l’impression que nous faisions ce travail depuis si longtemps que nous n’avions plus besoin de cacher nos influences ou tout ce que nous avions volé aux autres groupes. Pour nous, cela ne change rien si quelqu’un nous explique que telle chanson ressemble à My Bloody Valentine: nous sommes des grands fans et c’est un groupe important qui nous a énormément influencé. Il est tout à fait okay d’avoir une chanson dans laquelle nous essayons de sonner comme eux et d’autant plus sur un disque où toutes les chansons sont différentes. Il était d’ailleurs plutôt rafraichissant de ne pas essayer de se forcer de sonner tout le temps comme the Notwist, ou pire comme une mauvaise imitation de nous-mêmes mais plutôt comme un autre groupe (rires).

Nous avions l’impression que nous faisions ce travail depuis si longtemps que nous n’avions plus besoin de cacher nos influences ou tout ce que nous avions volé aux autres groupes.

Ma dernière question. Si tu avais la possibilité de revenir trente ans en arrière et de rencontrer les Notwist d’alors, qu’est-ce que tu leur dirais? 

Oh… Je ne sais pas. Peut-être de se méfier de notre second label: ce sont des trous du cul qui nous piqueront tout notre argent. Mais j’estime qu’en définitive, toutes les erreurs ont leur importance et que sans elles, la grande majorité des bonnes choses ne se seraient pas produites. En fait, je suis plutôt heureux de la manière dont notre carrière s’est déroulée. Donc, je ne leur dirai rien d’autre que « continuez à faire comme vous avez fait ».

Un grand merci à l’Épicerie Moderne: Amélie, Fanny et Cédric.

Photos: Orimyo

 

 

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