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Interview – The Sleeping Years

130311aAu beau milieu de cet océan de nostalgie qui supporte notre affection musicale, il y a les Catchers, ce groupe irlandais apparu au milieu des années 90. Leur premier album, Mute, parfumé de délicates mélodies pop et d’une poésie dramatique et cryptique avait su nous bouleverser délicatement l’âme et se faire l’écho à la fois mélancolique et lumineux de nos vingt ans. Le groupe se séparera après un deuxième album intitulé Stooping The Fit et son leader, Dale Grundle, disparaîtra plusieurs années loin de la musique ou peut-être, plutôt, de la scène médiatique. Il remettra le couvert en 2007 sous le pseudonyme, cette fois-ci, de The Sleeping Years, alternant courtes périodes d’activités (3 Eps, un album intitulé We’re Becoming Islands One By One, quelques concerts) et d’autres, bien plus longues, de silence.

De passage en Janvier dernier sur la capitale pour un concert acoustique de The Sleeping Years en première partie des franco-australiens de Heligoland, dans la belle galerie d’art du 19ème, l’Index, c’est avec une certaine émotion et une grande nostalgie, celle de nos vingt ans à jamais disparus, que l’on rencontre Dale Grundle. L’homme a, tout comme nous, pris quelques années dans le visage mais rayonne d’une vraie humilité. L’interview se déroule dans la salle de bains et le lapin de la galerie, enfermé dans un carton au pied de notre chaise, ne bouge pas une oreille.


Ton second projet, The Sleeping Years existe désormais depuis bien plus longtemps que ton groupe précédent, les Catchers. Tu n’en as pas marre que l’on continue à te poser des questions sur les Catchers?

Dale Grundle : (rires) Pour moi, les Catchers ont une existence bien plus longue que The Sleeping Years. Nous jouions ensemble depuis l’école, bien avant la sortie de notre premier disque. Mais pour répondre à ta question, non, cela ne m’ennuie pas du tout. Je suis très fier des Catchers et de notre musique. Il y a quelques temps avec Alice (Lemon, co-vocaliste des Catchers, NDLA), nous avons fait un set en tant que Catchers pour l’organisation 7ème Ciel, sur la terrasse d’un immeuble parisien devant une trentaine de personnes. C’est toujours agréable de rencontrer les fans des Catchers et de discuter avec eux mais il existe aussi un nouveau public pour The Sleeping Years ce qui est vraiment agréable pour moi. Les gens de trente cinq ans et plus me connaissent depuis les Catchers tandis que les plus jeunes connaissent uniquement The Sleeping Years. Il y a deux jours, j’étais en train d’assister à un concert à Paris et une jeune femme s’est approchée de moi pour me demander si j’étais le type de The Sleeping Years avant de m’expliquer qu’elle aimait ma musique et qu’elle l’avait découverte grâce au site web du 7ème Ciel. Et je ne crois pas qu’elle avait déjà entendu parler des Catchers.

Est-ce que tu joues des chansons des Catchers pendant les concerts de The Sleeping Years ?

Cela m’arrive parfois mais pas très souvent (il chantera « Half Awake » de Stooping The Fit le soir même, NDLA). Lorsque j’ai commencé The Sleeping Years, je refusais de le faire parce que je voulais établir une ligne de démarcation claire entre les deux groupes mais désormais j’aime bien en jouer certaines. Bien sûr, il y a des morceaux dont je suis très fier, d’autres qu’il n’est pas question de reprendre et certains que je préférerais ne jamais entendre à nouveau. Mais au final, tout cela fait partie de mon histoire.

« Nous étions assez naïfs et honnêtes : nous ne mettions pas le pied dans l’entrebâillement de la porte dans l’espoir de trouver le succès à tout prix. »

Si je te dis que Mute, le premier album des Catchers est la bande-son de mes vingt ans. Est-ce que tu peux m’expliquer pourquoi?

Je préférerais que ce soit toi qui me l’expliques! Mais c’est étrange, il semble que ce disque a marqué pas mal de monde et particulièrement en France, ce qui est à la fois très surprenant et émouvant. Je peux juste me risquer à penser que nous ne sonnions pas comme les groupes brit pop de l’époque. Le Melody Maker, le NME et d’autres journalistes, qui avaient apprécié nos deux singles et Mute, mettaient l’accent dans leurs articles sur cette particularité de notre musique. Je crois aussi que nous étions assez naïfs et honnêtes : nous ne mettions pas le pied dans l’entrebâillement de la porte dans l’espoir de trouver le succès à tout prix. Du point de vue des paroles des chansons, je trouve cela aussi très intéressant et touchant que les français aient apprécié mes textes car je sais que le sens des mots est très important chez vous.

La pochette de Mute est très belle avec cette photographie sépia d’un homme nu assis au milieu des roseaux, le visage caché par un miroir.

J’imagine que le thème de la photographie vient des paroles de notre chanson « Cotton Dress » (« My feet are in the water, waiting for the the time to come, the mirror in the corner does its best to make me numb« , NDLA) mais tu devrais poser la question au photographe. Certaines personnes ont cru que c’était moi qui m’était dévêtu et assis près de la rivière mais désolé de décevoir, ce n’est pas le cas. Je crois me souvenir que c’était le voisin du photographe qui a d’ailleurs sûrement chopé un bon gros rhume à cette occasion (rires).

Vous étiez avec d’autres groupes devenus célèbres comme The Divine Comedy et The Frank and Walters sur le label Setanta Records. Est-ce qu’il existait une vraie complicité entre vous?

Je connaissais certains des musiciens des groupes mais pas les chanteurs. Le premier concert français que nous avons fait en France était une soirée Setanta Records. Nous étions en train d’enregistrer l’album en Normandie et nous avons tout laissé tomber pour foncer sur Paris où le label organisait deux soirées successives de concerts au Passage du Nord Ouest (une salle de concert parisienne qui n’existe plus désormais, NDLA). Lorsque nous sommes arrivés sur scène, il y a eu cette incroyable réaction d’enthousiasme de la foule et nous ne comprenions pas pourquoi. Nous avons appris ensuite que « Cotton Dress » était diffusé en boucle sur France Inter. Dès notre premier concert, nous avons donc ressenti une véritable connexion avec la France. D’ailleurs nous aimions bien traîner avec le public après les concerts, nous faire inviter dans les appartements pour nous saouler et nous marrer (rires).

130311bL’unique fois où j’ai vu les Catchers en concert, c’était à Lyon, en première partie de Pulp. Cela devait être une période excitante pour vous.

Nous faisions la première partie de pas mal de groupes très connus à l’époque. Je crois même que l’on nous a proposé Suede mais que nous avions refusé. Pour ce qui est de Pulp, nous avons tourné avec eux à l’époque de His ‘n’ Hers. Ils étaient sur le point de devenir énormes. Nous étions très timides mais les gars de Pulp nous ont tout de suite mis à l’aise. Ils étaient très terre à terre et approchables. A la fin de la tournée, nous leur avons offert une bouteille de champagne pour les remercier d’avoir été aussi sympas avec nous. Mais oui, cette période était très excitante : nous avions beaucoup de succès en France et sur certains concerts, nous vendions plus de tee-shirts que Pulp. Dans tous les endroits où nous jouions, c’était hallucinant de voir les réactions hystériques du public. Alice était un bon intermédiaire avec la foule. A l’époque, elle vivait pour chanter et danser et pour elle c’était l’occasion de partager ce plaisir de manière très naturelle avec un grand nombre de personnes. Elle représentait ce bonheur sur scène tandis que le reste du groupe se concentrait et bossait!

« Nous n’étions plus des provinciaux, des gens d’une petite bourgade perdue dans la campagne où la vie était ennuyeuse à en pleurer. »

Le second album des Catchers, Stooping The Fit est musicalement bien plus éclectique que le premier. Par exemple, “Ribbons” est un morceau quasiment électronique alors que vous le jouiez de manière classique durant les concerts. Est-ce que c’est une direction dans laquelle vous aviez l’intention de vous diriger si le groupe ne s’était pas séparé?

La grande différence entre Mute et Stooping, c’est que Mute parle de nous en train de grandir en Irlande: nos maisons se ressemblaient toutes, avec ce chemin qui passait entre les rochers pour finir sur la mer. Nous nous réveillions tous les jours et passions notre journée à écrire de la musique, en entendant toujours la mer dans notre dos. Concernant Stooping… Après les tournées pour Mute, plusieurs mois se sont écoulés : nous sommes allés aux Etats-Unis et avons passé du temps à New-York. Après être revenus, nous sommes vus proposer un certain nombre de producteurs pour le second album. A l’origine, nous aurions du enregistrer avec Dave Fridmann, le bassiste de Mercury Rev à Buffalo mais cela n’a pas pu se faire. A la place, nous avons eu Robert Kirby, l’arrangeur des cordes et cuivres de Nick Drake tandis que le gars qui nous a produit était un ingénieur du son qui travaillait avec les artistes de Mute Records. J’imagine que cette influence électronique dont tu me parlais venait de lui. Nous avons changé de bassiste et choisi quelqu’un qui venait de groupes reggae et qui s’est amusé à mettre des lignes de basse dub sur certaines compos, et rajouté un nouveau guitariste qui a amené son propre style. Par rapport à nos débuts, la dynamique du groupe avait donc changé mais nous aussi. Nous avions vécu à New-York et à Londres et nous n’étions plus les mêmes personnes: des provinciaux, des habitants d’une petite bourgade perdue dans la campagne où la vie était ennuyeuse à en pleurer. Nous avons toujours essayé de refléter notre vie dans notre musique. Et c’est ce que je continue à faire aujourd’hui.

Est-ce que tu éprouves de la nostalgie pour cette époque?

Tu sais, nous avons grandi dans un petit village et faire partie d’un groupe nous donnait la possibilité, pour la première fois de notre vie, de voyager. Nous n’étions jamais allés aux États-Unis auparavant. Et tout à coup, on nous envoyait six semaines entre New York et Los Angeles. C’était une expérience incroyable pour nous. Bien sûr, il y a eu des moments très difficiles mais nous avions la chance de partager nos chansons, de rencontrer des gens du monde entier et de parler musique avec eux. Je ne connais rien de mieux.

J’ai lu dans une interview que la séparation des Catchers a pris beaucoup de temps. Est-ce que c’est la raison pour laquelle cela t’a pris des années pour refaire de la musique?

C’est vrai que cela nous a pris du temps pour nous séparer. Nous sommes passés de cinq membres dans le groupe à quatre puis trois et deux. Alice et moi avons terminé avec une série de concerts en acoustique en première partie de The Wonder Stuff. Après avoir assisté à cette longue fin du groupe, je crois que j’avais mentalement vraiment besoin de faire une longue pause pour pouvoir à nouveau proposer de nouvelles chansons. Je ne savais pas non plus si Alice allait être impliquée dans ce nouveau projet mais je voulais laisser la porte ouverte à toutes les opportunités. Finalement, elle a décidé de faire autre chose.

Est-ce que tu as pensé à conserver le nom Catchers pour ta carrière musicale?

J’ai fait quelques concerts sous le nom de Catchers au tout début en solo ou avec d’autres musiciens que ceux du groupe original. Mais nous ne jouions pas les chansons des Catchers. Après un moment, cela m’a semblé un peu plus sain de faire une cassure nette. Parce que même si j’écrivais les chansons pour les Catchers, le line-up du groupe était tellement particulier avec deux chanteurs. Nous avions l’habitude d’incorporer la voix d’Alice et la mienne dans les compositions et avec une seule, cela n’était plus le même groupe ni le même esprit.

« J’ai fait la plupart des choses que je désirais faire. Je n’ai pas besoin de jouer tout le temps ou de sortir un disque par an. Je suis désormais un peu plus vieux, j’espère un peu plus sage, et juste content de faire ce que je fais. »

Comparé aux deux albums des Catchers, celui de The Sleeping Years We’re Becoming Islands One By One n’a pas vraiment de chansons directement catchy comme « Cotton Dress » ou « Half Awake »…

Ce n’était pas un choix délibéré. Au moment de l’écriture, je me sentais juste libre dans mes compositions et j’avais envie d’expérimenter. Je me suis dit que j’allais faire ce que je voulais et que si personne n’achetait ma musique, ce ne serait pas si grave. Les trois Eps qui ont précédé l’album étaient enregistrés chez moi et les pochettes réalisées à la main. Pour la distribution de l’album, j’ai ensuite signé avec un label français puis un anglais mais pendant que je l’écrivais, je n’étais contractuellement lié à personne et donc sans aucune pression. D’un autre côté, je n’ai jamais ressenti le besoin d’écrire un morceau pour les hit-parades ou de jouer dans d’immenses salles. J’ai fait la plupart des choses que je désirais faire. Je n’ai pas besoin de jouer tout le temps ou de sortir un disque par an. Je suis désormais un peu plus vieux, j’espère un peu plus sage, et juste content de faire ce que je fais.

130311cTu expliquais dans une interview que le nom The Sleeping Years représentait cette période entre la fin des Catchers et le début de ce nouveau projet. Or, depuis la sortie de ton album, cela faisait un bon moment que je n’entendais plus parler de toi. Est-ce que les dernières années ont été de nouvelles Sleeping Years? Est-ce que tu as besoin de régulièrement recharger tes batteries?

Je ne sais pas s’il s’agit de recharger mes batteries ou du besoin d’avoir quelque chose qui m’excite et l’envie de le partager. Ceci étant dit, je ressens toujours de manière aussi intense qu’à mes débuts ce plaisir d’écrire des chansons et de les jouer devant un public. Cela reste une partie très importante de ma vie et je considère cette possibilité comme un grand privilège. Bien sûr, comparé au moment où j’ai démarré, les contraintes économique sont bien plus fortes : non seulement d’un point de vue global pour l’industrie mais tout autant au niveau de The Sleeping Years. Lorsque j’ai commencé les Catchers, nous fonctionnions comme une unité très forte : nous avions grandi ensemble, nous nous faisions confiance et travaillions très bien ensemble. Si demain je désirais jouer avec un groupe, cela me demanderait de rassembler des musiciens et répéter pendant un temps assez long. Il n’y a plus autant d’argent dans le milieu et il est devenu difficile de payer des musiciens pour les concerts. En terme de line-up pour The Sleeping Years, selon les circonstances, j’ai essayé différentes combinaisons jusqu’au solo. Parce qu’il me faut constamment jongler avec des contraintes économiques qui impactent à la fois les déplacements, le line-up de The Sleeping Years jusqu’au choix des chansons pour les concerts : certains morceaux fonctionnent en solo mais d’autres nécessitent plus d’instruments. J’ai fait des concerts à Londres avec des amis musiciens parce que nous vivons tous là-bas et que donc nous n’avons pas besoin de financement pour nous déplacer. Mais je continue à jouer en Europe de temps en temps : à Vienne, souvent  à Bruxelles, j’ai même fait une tournée en Italie. Encore une fois, je ne ressens aucune pression à ce niveau là. Je ne me considère pas à une étape de ma vie où je recherche la célébrité et d’ailleurs cela n’a jamais été le cas.

Mute aura vingt ans l’an prochain. Est-ce que l’on peut imaginer une réunion des Catchers à cette occasion?

Si nous devions organiser un tel événement, la première difficulté consisterait à faire se déplacer Peter, notre batteur, qui vit désormais en Australie. Étant donné que le billet d’avion coûte autour de 1500 Euros, tu as vraiment intérêt à vendre un paquet de tickets (rires). Alice et moi avons beaucoup apprécié de jouer et chanter à nouveau ensemble lors du concert organisé par le Septième Ciel. Mais elle est aussi passée à autre chose. Elle travaille encore dans l’industrie musicale mais pour des artistes au lieu d’être elle-même une artiste. Peter joue avec des groupes en Australie mais de manière encore moins sérieuse que moi. Donc je suis vraiment le seul à continuer à jouer de la musique à mon humble niveau… Peut-être que si quelqu’un prend le téléphone et nous propose quelque chose, pourquoi pas? Mais je n’y crois pas trop. A un moment, nous avions même envisagé de faire un nouvel album. On verra bien ce qui arrivera mais pour l’instant, je ne veux rien te promettre.

Crédits photo: Orimyo (DR)

Un très grand merci aux propriétaires de L’Index pour leur accueil, leurs cacahuètes, leur vin, leurs chips et leur gentillesse. L’Index, 42 rue Lepic, Paris XIXè

3 comments
  1. Tant-Bourrin

    Merci mille fois pour cette magnifique interview. Dale Grundle est quelqu’un de rare et précieux, et cela m’a fait sacrément plaisir de trouver ici de ses nouvelles…

  2. lyle

    Très belle interview. Mute reste un de mes trois disques préférés. Et ce concert à l’Index fut vraiment magique.

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