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Disques

Kreidler / Twists (A Visitor Arrives)

Kreidler, groupe de krautrock à ne pas confondre avec le constructeur de motos stuttgartois aux 72 victoires en grand prix, a été fondé en 1994 à Düsseldorf ; toutefois, le nom du groupe proviendrait d’un T-shirt de cette marque, que portait l’un des fondateurs de Kreidler, Andreas Reihse, à l’époque où sa précédente formation Deux Baleines blanches se cherchait un nouveau nom. Loin de se contenter d’imiter le grand-frère Kraftwerk, Kreidler utilise tant l’électronique que les instruments analogiques. A son actif : 14 albums studio et 11 EPs sortis entre 1994 et 2019, auxquels s’ajoutent 2 disques en public (sans compter un concert en bonus de l’album ABC publié en 2014) et 5 participations à des bandes originales de films, de 2005 à 2020.
Méconnu en France, où ses passages sont rares (dernière dates : Lille en 2004, Paris en 2020), Kreidler nous offre depuis le 12 janvier 2024 une occasion de rattrapage avec son quinzième album studio Twists (A Visitor Arrives). Les morceaux sont essentiellement instrumentaux, et les rares paroles tiennent davantage du récitatif que du chant ; c’est que dans leurs débuts, Andreas Reihse et son comparse Stefan Schneider organisaient des concerts militants avec lectures de textes engagés, et Kreidler en a conservé un penchant pour la déclamation poétique.
L’entrée en matière, avec « Polaris », nous plonge dans un univers sonore qui évoque celui d’un sous-marin en plongée sous la banquise, dont les échos radar cherchent désespérément une sortie à l’air libre, entre les crissements de menaçantes plaques de glace, de mystérieux chants d’animaux marins et le bruit des machines dont le tempo finit par s’accorder aux cognements de nos coeurs inquiets.
Changement de décor avec le titre suivant, « Tanger Telex ». Les arabesques d’un saxophone plaintif, soulignées par une rythmique groovy, nous transportent de l’Arctique à un autre genre de désert où l’âme, à nouveau, se perd dans un labyrinthe de sinuosités dunaires.
Re-plongée avec le troisième titre justement intitulé « Diver », mais dans un registre différent du morceau d’ouverture, entre Kraftwerk et Aphex Twin. Cette fois, on glisse et on se laisse engourdir, non plus par un froid polaire, mais par la douce tiédeur d’un univers plus accueillant, allégé de sonorités claires comme l’eau d’un aquarium tropical. Mais la composition finit comme en point de suspensions, plane alors le doute : noyade ou bien a-t-on enfin sorti la tête de l’eau ?
Dans un registre différent, le morceau suivant, « Loisaida Sisters » accueille un invité : Khan of Finland, pour un titre dont le rythme, les scansions et les paroles (« I’m lost, baby I’m lost/Post war, post punk and double crossed ») n’auraient pas dépareillé à l’apogée du Madchester.
S’ensuit un retour électro avec « Arithmétique », froid comme une formule mathématique enserrant le réel, telle la banquise du premier morceau, et qui débouche sur la question posée dans le titre suivant, intitulé « Hands » : face à notre angoisse devant l’aburde, que peuvent pour nous ces mains évoquées par la voix sans affect de la compositrice géorgienne Natalie Beridze ? Nous protéger ou nous condamner ? Car ces mains – ou les intentions qui les animent – peuvent passer subitement du chaud au froid, en de vertigineux écarts semblables aux variations de température des plus chauds déserts. Alors à quoi, à qui faire confiance « dans cette mascarade de merde cosmique moléculaire » (« in molecular cosmic shit-charade ») ?
Une solution s’offre à nous : danser le monde, comme nous y invite le kraftwerkien « Hopscotch ». Trémoussement certes robotique, guidé par une ligne de basse et une rythmique implacable et entêtante, mais danse tout de même – car une espérance, sinon une promesse de vie, persiste même sous le poil synthétique des moutons électriques, comme dirait le « Blade Runner » Rick Deckard.


L’avant-dernier morceau, dont le rythme évoque celui d’une marche et/ou d’un gravissement (non sans difficultés soulignées par les percussions : trébuchements, intempéries, éclats de foudre…) nous propose-t-il, par-delà les difficultés, un recours, voire un refuge ? Dans le titre de « Mount Mason », faut-il voir cette minuscule réserve naturelle australienne de 2 km2 posée comme un confetti sur un continent ? A moins qu’il ne s’agisse du pic montagneux canadien du même nom – même dans ce cas, cela reste une aiguille dans une botte de foin… Quoi qu’il en soit, l’espoir est ténu, mais non éteint, pour peu que l’on consente à l’effort de ce cheminement (ou élévation).
« Kandili », titre final aux accents plus serpentins ponctués de balancements quasi tribaux, met un point d’orgue à ce propos, en renvoyant soit à la chaîne des monts Kandili en Grèce, figurant de salvatrices « hauteurs » spirituelles, soit au terme « kandili » signifiant en turc « chandelles », en symbolique lueur d’espoir. D’ailleurs, le finale du morceau est assez éclatant, lumineux, à la manière de l’excellentissime « Festival » de Sigur Rós.
Twists (A Visitor Arrives), sous une pochette qui ne laisse rien présager du contenu, est un album équilibré, avec ce qu’il faut de ruptures et de variations pour ne pas lasser l’auditeur avant le terme de son voyage.

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