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Insight

Movement, ou la résilience de New Order.

Le 13 novembre 1981 sortait Movement, premier album studio de New Order. En changeant de nom, les ex Joy Division, après la disparition de Ian Curtis le 18 mai 1980, avaient pris la décision de poursuivre leur chemin musical ainsi qu’il avait été décidé aux premiers jours de leur rencontre. Si l’un des quatre Joy Division venait à manquer, le groupe continuerait mais sous un autre nom… Voilà ce que s’étaient dit Curtis, Hook, Morris et Sumner quatre ans plus tôt, lorsqu’ils commencèrent à se produire sur les scènes de la région de Manchester, accrochés au train de l’aventure punk rock.

Si certaines choses se disent, leur mise en place n’est pas pour autant aisée. Passer de Joy Division à New Order est un casse-tête. A la fin du printemps 1980, le no name band tente d’expérimenter le format trio, chacun prenant le chant à tour de rôle. L’expérience est sans conviction. Les trois garçons font alors appel à Gillian Gilbert, petite amie de Stephen Morris, guitariste aussi débutante qu’absolument unschooled. Mais n’est-ce pas exactement ce qu’il fallait pour continuer? Trouver un remplaçant à Ian Curtis? Allons donc… Verriez vous The Doors sans Jim Morrison ? Joy Division n’avait pas été un groupe comme les autres, fonctionnant dans un carré dans lequel on n’entrait pas si facilement. Ici, personne n’était interchangeable. Ce qu’on appelle une alchimie, une forme de magie peut-être. Le temps est passé, mais si le fan en moi y pense aujourd’hui, ne pourrais je avancer qu’il en est de même pour New Order post Peter Hook? Je conserverai mon avis là-dessus…

Quoi qu’il en soit, Gillian rejoint le trio et tout fonctionne immédiatement mieux. A vingt cinq ans à peine, les musiciens de New Order ont de l’énergie quand bien même sont-ils toujours abasourdis par la perte de leur leader et front man. Pour eux il n’est cependant pas question de retourner vers une vie terne, d’employé lambda dans les faubourgs gris de Salford. Joy Division entrouvrit une porte. Elle leur claqua au visage. Il se pourrait pourtant qu’elle soit la porte enchantée, s’ils arrivent à la pousser une seconde fois et pleinement.

De fin avril à début mai 1981, le nouveau groupe est en studio. Chez Factory records, sous la direction du fantasque Anthony Wilson, managé par Robert Gretton qui s’occupa des intérêts de Joy Division, New Order compose un nouveau répertoire. Une petite dizaine de titres en tout et pour tout. Deux pièces inédites sont néanmoins déjà parues sur un single qui va devenir hautement symbolique. Le son de cette première production post Joy Division est ample, pas absolument éloigné de celui de Closer enregistré à Londres en mars 1980, mais un changement est perceptible qui ne demande qu’à se développer. Il s’agit de « Ceremony/ In a Lonely Place », magnifique introduction/préambule de New Order ou point final de Joy Division. Puisque, en effet, les deux titres furent écrits et composés quelques semaines seulement avant le tragique 18 mai 1980. Pour ce single qui est un premier pas d’un autre départ, Martin Hannett est resté à la production. Le producteur de Joy Division réussit à sublimer les deux ultimes chansons écrites par Curtis, désormais chantées par Bernard Sumner et Peter Hook qui prennent le relai. Mais si « Ceremony » est sans doute l’hymne incontournable de New Order, il reste empreint d’une noirceur dont le groupe va peu à peu s’émanciper. Ses guitares carillonnent et la basse lance à l’octave un riff en mode majeur. Joy Division se faisait il moins lugubre au début du printemps 1980? Une autre voie était elle en développement? Nous ne le saurons jamais, ainsi que le confiait Peter Hook dans une interview de la même époque, donnée à une station radio : « Si Ian Curtis était là, nous aurions peut-être développé une autre voie. Mais je ne sais pas… »

Pendant la quinzaine de jours passés au Strawberry Studios de Stockport, Gilbert, Hook, Morris et Sumner mettent donc sur bande les titres qu’ils ont pu expérimenter depuis l’été 1980. Dont en premier lieu « Dreams Never End » – qui va ouvrir très dynamiquement l’album -, toutes guitares en avant, chanté par Peter Hook, puis « Truth » qui, par contre, ressemble davantage aux compositions de Closer. Les préoccupations liées au passé récent demeurent. « The Him » et « ICB » acronyme de Ian Curtis buried ( Ian Curtis est enterré) évoquent plus ou moins directement la mémoire et le destin tragique du chanteur qui choisit de prendre sa propre vie. A défaut de savoir comment faire avec… L’utilisation des synthétiseurs, apparus dans le second album de Joy Division ou sur les singles « Atmosphere » et « Love Will Tear Us Apart », est poussée plus loin. C’est un changement notable. Si les claviers de « Doubts Even Here » ressemblent à ceux de « In A Lonely Place » – superbement enrichis des backing vocals de Gillian Gilbert mêlés à la basse de Peter Hook -, d’autres apportent à la fois lignes souterraines et envolées plus lyriques, ainsi pour « Senses ». C’est également le cas pour « Denial » dont le gimmick de synthétiseur est une tournerie entêtante. Ils seront d’autre part exploités dans une veine différente, initiatrice des productions à venir, sur une longue pièce musicale comme « Everything ‘s Gone Green », chute de l’album, qui paraîtra en single un peu plus tard. Les guitares de Bernard Sumner, aidé de Gillian Gilbert, prennent un connotation presque funky, ce qui est une totale nouveauté. En regard de celles de Joy Division souvent beaucoup plus lourdes, la nouvelle approche paraît presque symptomatique.

La sortie de Movement est un pas en avant, un mouvement de résilience. C’est ainsi qu’il faut voir cet album parfois mal compris. Ce qui devait être fait a été fait. Qu’importe finalement si, à l’automne 1981, le disque est plus ou moins bien perçu par les fans de Joy Division qui vont soit se détourner du nouveau groupe, soit y adhérer en entrant dans tout autre chose au fil des albums. Ce seront la Nouvelle Zélande et l’Australie qui réserveront le meilleur accueil au disque, bien classé dans les charts du moment. L’Angleterre boude un peu. En France, si mes souvenirs sont bons, quasiment personne ne connait New Order et la presse ne s’y intéresse que peu. Emerveillé j’achèterai le disque dès sa sortie, après avoir acquis le maxi « Ceremony ». Quelqu’un avait bien dû m’en parler? Mais qui? Financièrement ce n’est pas encore que les musiciens peuvent quitter leurs logements à loyers modérés. Deux ans après, Bernard Sumner en ricanait amèrement dans une interview que je lisais dans un inter city anglais… Mais la phase de transition Movement est utile, bénéfique. Elle permet notamment aux quatre New Order de comprendre ce qu’ils doivent faire. C’est à dire prendre en mains non seulement leur destin, mais aussi leur son. L’album signe la séparation définitive d’avec Martin Hannett. Pour Power, Corruption & Lies, deux ans plus tard, le groupe est aux commandes. Ce second album studio est, quant à lui, très vite plébiscité par la critique musicale. Nous sommes passés à autre chose, très clairement. Le vocabulaire du groupe résilient est posé. En mars 1983 sort le deux titres « Blue Monday/ The Beach », quelques semaines avant le deuxième album. Le single, dont la pochette hors de prix imite une disquette informatique, devient le 45t le plus vendu au monde, joué dans toutes les discothèques de la planète, bien qu’il ne rapporte alors pas un sou aux musiciens. Les choses changeront par la suite, mais au fond pas si vite que cela, le groupe devant financer ou compenser les erreurs de gestion de son label…

Revenus de Joy Division, les New Order ont changé à jamais le visage de la musique, réussissant l’exploit d’avoir créé deux groupes aussi uniques qu’ essentiels. Leur influence demeure une leçon de vie comme une des aventures musicales les plus captivantes de la fin du XXème siècle.

photos: N.O par Michaël Shamberg et Gillian Gilbert par Lisia Haunt
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