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Insight

OMD : synthpop et cravate club

En attendant la sortie de son quatorzième album studio, sous le titre (provisoire ?) de Bauhaus Staircase, la formation synthpop anglaise Orchestral Manoeuvres in the Dark (OMD) effectue une tournée européenne et fête les 40 ans de son quatrième opus Dazzle Ships avec une réédition bonifiée de quelques inédits, parmi lesquels on retiendra « Sold Our Souls » et « In Heaven-4-NEU Demo ».

Fondé en septembre 1978 par deux copains d’école de Meols, près de Liverpool, Andy McCluskey (chant, basse, guitare) et Paul Humphreys (chant, claviers), OMD compose des morceaux influencés par la musique électronique allemande : « Entendre « Autobahn » à la radio a été un moment crucial pour moi, et voir Kraftwerk au Liverpool Empire le 11 septembre 1975 a été le premier jour du reste de ma vie. » déclarera McCluskey (James Nice, La Factory. Grandeurs et décadence de Factory Records). OMD suscite alors l’intérêt du label Factory Records. Après avoir joué à l’Eric’s de Liverpool en septembre 1978, OMD figure à l’affiche (conçue par le graphiste Peter Saville et référencée FAC 3 dans le catalogue Factory) du concert du 20 octobre 1978 donné au Russell Club de Manchester organisé par Factory avec Joy Division, Cabaret Voltaire et The Tiller Boys, puis au Leigh RockFestival en août 1979 aux côtés de Joy Division, A Certain Ratio et Teardrop Explodes (concert diffusé depuis 2006 en bootleg par trois labels). Entre temps, OMD enregistre, dans les Cargo Studios de Rochdale, le premier single du groupe, « Electricity », produit par Martin Zero Hannett. Malgré l’enthousiasme de Peter Saville et de Lindsay Reade (compagne d’Anthony Wilson, cofondateur de Factory Records) pour OMD, le groupe ne poursuit pas l’aventure avec Factory, Wilson se montrant plus réservé sur une formation trop pop à son goût et – surtout ! – trop liverpuldienne pour convenir à un label de Manchester. Alors Wilson les incite à se tourner vers une major, à la grande déception d’OMD, qui concevait sa musique comme expérimentale, ce que l’avenir confirmera.

Du reste, la version du single « Electricity » produite par Hannett déplaira à OMD ; il sortira finalement en mai 1979 dans sa version demo sous la référence FAC 6, dotée d’une superbe pochette thermographiée signée Saville (« le premier disque de Factory que j’aie aimé », dira le graphiste, ibid.). Le single sera salué par la critique, excepté dans la revue Sounds, succès couronné par la vente en quelques mois des 5000 exemplaires revêtus de la pochette originale, dont la fabrication mettra par trois fois le feu à la machine d’imprimerie. OMD consolidera sa renommée dès mai 1980, en atteignant la treizième position dans les charts britanniques avec le single « Messages », issu du premier LP éponyme du groupe publié par Dindisc le 22 février 1980. Toujours à cours de temps mais jamais d’idées dispendieuses, Saville conçoit pour l’album une couverture découpée de 100 trous oblongs laissant apparaître la pochette intérieure, créant un contraste de coloris avec un effet high-tech soulignant le caractère novateur de la musique minimaliste d’OMD – effet esthétique réussi mais financièrement ruineux pour le groupe, ce qui ne dissuadera pas OMD de renouveler l’expérience avec la pochette d’Architecture and Morality (un découpage carré permet de modifier le visuel en retournant la pochette intérieure), ni de faire appel au studio de Peter Saville pour plusieurs autres albums.

Voilà qui nous amène du contenant au contenu. OMD est mondialement connu pour une douzaine de morceaux suffisamment accrocheurs pour être parfois utilisés en publicité : « Souvenir » (1981) servira pour une banque française en 1984, tandis qu’« Electricity », après avoir vanté une marque de chaussures anglaises en 2002, joue actuellement sur la fibre nostalgique des cinquantenaires en leur rappelant « à quel point [ils aimaient] les voitures électriques » (allusion à de fameux circuits miniatures de course automobiles, qu’en effet votre serviteur affectionne !…). Mais en y regardant de plus près, les contresens sautent aux yeux. Certes, OMD joue sur le registre futuriste : « Chez Kraftwerk, [l’électronique] est leur éthique. Nous, nous n’essayons pas d’être le futur ou de projeter cette image. » (McCluskey, ibid.). Mais à l’instar de leurs aînés germaniques (« Radioactivity » a été remanié sans ambiguïté : « Chernobyl / Harrisburg / Sellafield / Fukushima / Stop radioactivity »), OMD utilise la technologie à revers. Sans nier le caractère inéluctable de l’avancée techno-scientifique, plusieurs titres expriment de la méfiance face au progressisme et autres bonnes intentions : « Is mother proud of Little Boy today? » interroge « Enola Gay » ; « All we need is to learn to save / And if a man would throw away / It doesn’t change the city cost » nous avertit « Electricity » ; « Improving our abilities for a better way of life […] These are the lies they tell us / But this is the only way » (« Genetic Engineering »). Même dans un love song d’OMD peut percer un questionnement de la société qui se profile (le transhumanisme avec « Kissing the machine » en collaboration avec Karl Bartos, ex-Kraftwerk) ou une critique de la bonne conscience avec laquelle une atrocité peut être commise et préparer à commettre un crime plus terrible encore : « Everything you begged of me / Nothing was ever enough for you » (« Dresden », claire allusion aux bombardements anglo-américains de la ville de Dresde en février 1945 préfigurant Hiroshima et Nagasaki).

On pourrait multiplier les exemples à l’envi, et en conclure qu’OMD est un groupe engagé. Ce serait un peu exagéré, mais sous la surface d’une synthpop que d’aucuns pourraient trouver trop proprette, les textes abordent des sujets fondamentaux. Enfonçons le clou : oui, OMD est impertinent malgré les apparences, comme savent si bien le faire les Anglais, jusque dans la tenue vestimentaire (le dandysme, de Brummell à Bryan Ferry). Anglais dans l’âme, OMD a le goût des belles chemises, on se souviendra surtout de celles assorties de cravates club – impertinentes elles aussi, tantôt à l’anglaise (rayées en descendant de gauche à droite) tantôt à la mode continentale et américaine (striées dans l’autre sens), ce qui contrevient aux règles britanniques, et l’on sait à quel point l’Anglais est attaché à certains codes : provocation ou pro-vocation (appel à la discussion) ? Toute la rhétorique post-punk est posée là.

Musique élégante comme un cabriolet sorti des usines de Coventry, inventive mais sans prétention, voilà pourquoi écouter OMD en 2023. Et c’est ainsi que je porte des cravates club (pardon Vialatte !). A l’anglaise ou à la continentale, indifféremment, cela va de soi(e).

One comment
  1. OMD / Bauhaus Staircase – Dark Globe

    […] Le « manifeste politique » tourne alors au « manifeste esthétique » : en opérant cette simple rotation, OMD nous invite à modifier notre optique, c’est-à-dire notre approche du problème. Dans « Evolution of Species », il est souligné que « l’extinction d’une espèce crée une opportunité pour une autre ». OMD nous annonce que si l’humanité est vouée à disparaître, elle cédera la place à une autre espèce, qui n’est pas nommée. OMD ménage le suspens, mais laisse entendre que viendra le temps d’une autre intelligence sur Terre. Rien n’exclut que cette intelligence restera humaine, mais d’une humanité « augmentée » spirituellement plutôt que matériellement.C’est en privilégiant une vision esthétique du monde, et réconciliée avec son environnement, que l’espèce humaine se succéderait à elle-même, sans nécessairement recourir à d’illusoires artifices (voir notre article en rubrique « Insight » sur les rapports critiques d’OMD avec la technologie : https://www.darkglobe.fr/omd-synthpop-et-cravate-club/). […]

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