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Insight

Raw Power, la force brute du rock

Troisième et dernier album d’Iggy Pop & The Stooges, Raw Power paraît en 1973 sur le label CBS. Il est d’abord produit par Iggy Pop lui-même, puis remixé par Bowie avant sa sortie.
Il vient après Funhouse sorti en 70 et The Stooges, album initial du groupe de Detroit , paru en 69 sur le label Elektra – celui des Doors–  jeté tel un pavé dans la mare.

Chez les Stooges, en 1972, peut-être à cause de l’insuccès, les relations ne sont pas au beau fixe. Les frères Ron et Scott Asheton ( basse et batterie) ont quitté le groupe avant l’enregistrement de ce troisième opus et Iggy  est en duo avec le guitariste James Williamson, suggeré par David Bowie qui s’intéresse de près au leader des Stooges. La configuration à deux est tout à fait insuffisante pour envisager l’enregistrement d’un nouveau projet. Des auditions ne donnent rien et « l’Iguane » – surnom d’Iggy Pop  attribué quand il était batteur dans ses toutes premières formations – rappelle  les deux frères Asheton pour lui prêter main forte. Le bassiste / guitariste et le batteur acceptent finalement – sans doute n’ont ils  pas d’autres projets viables- et depuis les Etats Unis  rejoignent le chanteur à Londres . C’est là que les prochaines sessions vont se tenir  dans les studios londonien de CBS.

Pop, entouré des trois musiciens, est alors dans une situation qui convient à un nouveau projet qu’il souhaite le plus radical possible. L’enregistrement a lieu du 10 septembre au 3 octobre 1972, huit titres étant mis sur bande pour un total d’un peu plus de trente quatre minutes.  Les Stooges ne feront ni dans les fioritures ni  dans  les sequences additionnelles d’arrangements . Les titres vont droit au but , loin d’un compromis avec le politiquement ou musicalement correct. Dans son propos, l’album en cours est du côté sauvage plus que de celui de la civilisation castratrice des instincts. Iggy Pop est un fan de Morrisson qui fût en son temps, nous le savons, un prince de la provocation et de l’excès. Cette tendance se retrouve dans ses textes comme dans ses postures lorsqu’il est sur scène. Dans l’ intention  de secouer les auditeurs, le mixage réalisé par Iggy est ainsi ultra violent . Beaucoup trop pour CBS qui  exige l’intervention de David Bowie – lequel est alors une sorte de protecteur d’Iggy. Cette révision  que le label pense indispensable, ne peut avoir lieu ni à londres ni immédiatement, puisque Bowie est en tournée à l’automne 72 .  C’est à Los Angeles, debut 73, qu’il fera une relecture de Raw Power que lui-même estime peu audible en l’état. Ses mixages sont retenus et le disque est prêt. Les frères Asheton détesteront son travail et ils quitteront à nouveau le groupe quelques mois plus tard.

The Stooges, Londres 72. Photo Mick Rock.

Le troisième lp des Stooges sort, de fait, plus tard que prévu. Il n’a rien perdu de ses intentions sous l’action de Bowie et Iggy  a validé le second mixage. Le disque reste intense,  révolutionnaire. Plus que jamais les Stooges envoient du bois, jouent un proto punk rugueux  qui servira beaucoup aux musiciens de 1976 – américains ou anglais- qui vont se mêler à la nouvelle vague du punk rock.

« Search and Destroy », « Raw Power », « Penetration », entre autres, sont des chansons de provocation, très agressives dans le verbe comme dans la forme.  Iggy, en 1973, tient beaucoup à ces aspects qui lui vont d’ailleurs comme un gant lorsqu’il se produit en live, légèrement clodiquant, les muscles tendus, agitant frénétiquement ses bras comme un boxeur. Les Stooges se sont efforcés de faire sonner le disque de la manière la plus  brutale et rugueuse possible. Si le mixage final de Bowie en atténue les aspérités et l’intensité première, il aura l’avantage d’en rendre possible  l’écoute pour un public plus élargi . L’accueil du disque  ne sera pas pour autant un succès et les avis restent mitigés. Il  y a chez Iggy Pop et les Stooges, une volonté de radicalité absolue qui n’est pas encore aussi bien acceptée qu’elle le sera vingt ans plus tard, à la reformation du groupe qui  change alors son niveau d’audience.  Mais il est vrai que la carrière solo d’Iggy Pop était passée par là !

Au début des seventies le groupe est  la figure de proue d’une tendance où on retrouve MC5, New York Dolls notamment , tous actifs dans le même sens  de la subversion. On note que tous sont américains et basés sur la Côte Est. En Angleterre rien de tel  ou rien d’aussi outré. Les groupes les plus durs de l’underground musical sont plutôt orientés vers un reggae musclé , tels les Basement 5 (1978) qui connaissent leur heure de gloire à la fin de la décennie. On trouve néanmoins, à peu près au même moment, The Pink Fairies ( issus du mouvement psychédélique), The Deviants ou les irlandais de Them ( formés bien plus tôt, en 1965) qui eux aussi ont une approche brute des compositions, mais ne recherchent pas une violence musicale élevée au rang de forme artistique. Les teigneux Doctor Feelgood quant à eux, bien qu’adeptes d’un son débarrassé du superflu, n’ont pas à leurs débuts en 1973/ 74 le côté outrageux des Stooges.

Clairement, la pop music formatée n ‘est pas l’objet des musiciens de Detroit. Les thèmes convenus ne les intéressent guère et les histoires d’amour chantées sont triviales si on se réfère au célèbre « I wanna be your dog ». Point commun entre les formations américaines citées , aucune  n’a le désir d’entrer dans le show business par la porte principale.Tous sont anti système et en cela ont une parentée avec le Velvet Underground, pionnier d’un proto punk sonique au mitan des sixties, avec des titres tels « Sister Ray » ou « White Light/White Heat ».

Iggy Pop , pour revenir à lui, a des idées bien arrêtées sur ce qu’il veut ou ne veut pas. Et ce qu’ il veut c’est jouer un rock n roll sans maniérisme. Tout va dans ce sens. Pop est dans la lignée de Morrison – un de ses héros-, des rockeurs comme Gene Vincent parmi les plus âpres , ainsi que des groupes garage tels les Kingsmen ou The Sonics. Il radicalise ses moyens et mise sur le son. Ajoute du hard rock à son proto punk, rejette tous les effets qui ne vont pas dans ce sens .

Quel enseignement tirer d’un travail comme celui ci  ? A contrario du progressif ou de la pop, on ne cherche ni à plaire ni à fédérer, ni à développer in extenso les structures de base du rock ou du blues. C’est certain. Ideologiquement, il y a une volonté de choc de bonnes mœurs  jugées hypocrites, dans une société nord américaine fragmentée. Cette société qui ne paraît pas si idéale aux musiciens rebelles : « N’ essayez pas de me dire ce que je dois faire« , chante Iggy dans « Raw Power ».
Mais Il se peut que ce soit aussi un jeu ? Le fait d’un tempérament plus que d’une prise de conscience revendicative d’autres modes de vie? La plupart des textes de l’album tournent autour de la relation à autrui. Conflictuelle, brutale ou sensuelle et ambiguë.
Un titre tel Raw power est intéressant par sa symbolique.  La force brute, le pouvoir sauvage,  traduirais je rapidement.  Les Stooges ne peuvent  être domptés. Ils se veulent  incarnation d’une sauvagerie, d’un état premier. Leur vision du rock est dépouillée , à nue, à l’instar d’un front man plus souvent torse nu qu’habillé sur scène.  Ils sont le rock n roll en lui-même.  La musique des Stooges est celle de la rébellion , animée par les forces vitales de la jeunesse de ses musiciens de 1969 à 1973. Elle est colérique sans cause précise. C’est, en tous cas, une question. Existentielle et artistique.


Le punk, trois ans après Raw Power, saisit la perche tendue. Quant à Iggy Pop lui-même, il va suivre Bowie à Berlin toute la fin de la décennie . Sa carrière solo débute avec des albums  parfois co écrits et produits avec la star anglaise . The Idiot et Lust for live, en 1977, inspireront également la mouvance punk puis new wave, tout autant que Raw Power perçu comme un album culte pour une génération émergente de la seconde moitié des seventies. Ceci avant que ces disques ne deviennent des classiques d’une  vision du rock particulière, et « L’Iguane » de Detroit une star du rock.

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