Dark Globe , dites-vous ? – d’autres reflets du diamant .
« Won’t you miss me? Wouldn’t you miss me at all? » Syd Barrett – « Dark Globe »
The Last Minute Put Together Boogie Band – 27/1/72
« Nous sommes allés autour de sa maison et… Syd est venu à la porte, et Jenny lui a dit: « Jack et Twink ont pensé que ce serait bien de former un groupe, juste vous trois ? ». Alors, il a répondu: « Oui, d’accord, entrez! » Et c’est tout. Nous avons commencé à répéter dans la cave de sa maison. C’est comme ça que ça a démarré. Nous faisions tout le répertoire de Syd : des vieux titres comme « Lucifer Sam ». Nous avons joué à peu près une demi-douzaine de concerts. Je pense que c’était un set bien serré. Nous avons perdu quelques dates à l’extérieur parce que nous n’avions pas de road manager, nous avions juste des amis qui nous aidaient. On a joué dans Cambridge sans sortir de la ville. Des endroits comme les Coffee-bars – et nous avons aussi donné un concert en plein air, Place du Marché, c’était le concert le plus mémorable, très bon, génial. On en a fait quelques uns au Dandelion, qui était un endroit branché. Je crois que nous y avons joué deux fois et les deux concerts étaient bons ». John Alder (alias Twink), batteur de son état (genre Rock psychedélique/progressive) ex Prettys Things, Ex Pink Fairies, ex Last Minute Put Together Boogie Band devenu brièvement The Stars (Jack Monk, Twink et Syd Barrett)
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Nous sommes en Janvier et Février de 1972. A Cambridge donc. Ville universitaire de grande renommée, avec son centre ville historique remarquable et ses banlieues tranquilles au sud abritant une classe moyenne anglaise plutôt aisée. Une ville cool des seventies, de taille humaine qui n’a rien à voir avec les métropoles dures et grises que sont alors, entre autres, Liverpool, Manchester ou Birmingham pour rester dans les mid-lands. Cambridge possède un environnement très rural encore, verdoyant et « au milieu coule une rivière ». Une carte postale de l’Angleterre ?
A cette période Roger Keith Barrett, dit Syd, est en rupture de Pink Floyd depuis quatre années. Un an et demi plus tôt, il a enregistré (péniblement) deux albums solos (aidé par ses ex compagnons), LP qui deviendront cultes et inspireront plusieurs générations de musiciens, de Robin Hitchcock à Graham Coxon pour les plus connus. Mais ça, Barrett l’ignore.
A seulement vingt six ans, Roger Keith ne sait plus très bien où il en est, ni ce qu’il veut, allant et venant entre Londres et Cambridge où il réside chez sa mère, dans la cave de la maison familiale de Hills Road. L’usage abusif du LSD et d’ autres produits plus sévères encore, doublé d’une dépression carabinée mal maitrisée, le laissent en proie à une confusion qui n’a rien, mais alors rien, de romantique. Bref Syd ne choisit pas. Il subit.
L’enregistrement du 27 Janvier 72, au Corn-Exchange de Cambridge, longtemps bloqué par EMI mais qui a refait surface pour être réalisé par le label Easy action (Mai 2014), est donc un des rares témoignages audio de cette période de la vie de Barrett. Il s’est fait, autant le dire, par pur hasard. Ce jour-là, l’ex leader-fondateur du Pink Floyd rejoint sur scène les musiciens confirmés, figures de l’époque, que sont Jack Monk, John Alder et Fred Frith. Il participe à une jam (pour trois titres) musicalement située entre boogie et rock psychédélique. A mille lieues de ce qu’est en train de devenir la musique du Pink Floyd (Atom Heart Mother). L’homme est alors barbu et porte des cheveux longs qu’il ne peigne guère. Il n’a visuellement plus grand chose en commun avec le dandy juvénile de 1967 du génial The Piper at the Gates of Dawn.Il n’en demeure pas moins encore capable de génie ou de fulgurances. Sous forme d’éclairs seulement.
C’est suite à cette rencontre et à cette session live du 27 Janvier que les STARS vont donc se former, qu’ils répéteront (insuffisamment) le répertoire de Syd dans la cave de sa mère où il a élu domicile.
STARS à Cambridge.
Des STARS, je ne crois pas qu’il existe un véritable enregistrement en écoute quelque part et si c’était le cas la chose serait un pur ovni musical, sans doute brut et rugueux. Un faux a circulé, immédiatement reconnu comme tel par les experts: une imitation du jeu de Barrett, avec des efforts pour qu’il paraisse encore plus décousu qu’il ne le fut vraiment alors. Quoiqu’il en soit l’oeuvre du reclus de St Margaret Square paraît de fait inachevée, des manques énormes répondent à l’attente. Ceci expliquant cela.
Toujours est-il que les STARS ont vécu. Même brièvement. Que le groupe a travaillé en trio le répertoire Barrettien du Floyd, ainsi que des titres tirés des albums Barrett et The Madcap laughs. Ce que les concerts proposèrent est mitigé selon les avis des témoins. Selon qu’on soit fan ou auditeur ordinaire, l’appréciation fluctue. De façon générale, on sait que les musiciens manquèrent d’un véritable temps de répétition, et sauvèrent – ou pas – les sets par leur habilité et intuitions. Ceci ne fait pas pour autant office de structure, Barrett en manquant de plus en plus sur un plan personnel et psychique. Comment aurait-il vraiment pu conduire un groupe ? Les étoiles se sont transformées en étincelles ou en lucioles, derniers éclats du diamant noir. Celui de Wish You Were Here ou bien un autre ? « Vegetable man, how are you » ?
Fin Février 72, le 24 exactement, le MC5 viendra jouer à Cambridge. Le Corn Exchange, situé en centre ville, bâtisse imposante dans une rue étroite proche des vénérables universités, accueille le concert. Les STARS de Barrett sont à l’affiche. Quelques concerts se sont déjà succédés. Le groupe joue « Lucifer Sam », » See Emily Play » période Floyd, « Octopus », « Baby Lemonade » ou « Wavin My Arms in the Air » des deux albums solos. Si quelques moments de ces premiers concerts donnés dans des pubs locaux ou des coffee shops de communautés hippies ont pu être de petites réussites à leur échelle, le set du Corn Exchange est une véritable catastrophe. Barrett est totalement à côté des titres, quelquefois désaccordé, sa voix est peu audible et il semble oublier ses propres paroles avant de se lancer dans des solos désordonnés que ses comparses, même expérimentés, ont le plus grand mal à soutenir. Pour clôturer le tout l’ampli basse de Monk rendra l’âme.
Le bassiste témoigne : « Je me souviens avoir regardé Syd et avoir pensé : « Tu ne veux pas être ici, n’est-ce pas ? » . Il était dans une sorte de tension contraire. Le micro était là et lui à côté, qui gesticulait en chantant comme pour s’en écarter. Et tout le monde savait que la roue s’arrêtait de tourner. Vous étiez en train d’assister à la rupture d’une personne en pleine performance. Quelques concerts sont bons, quelques uns sont mauvais. Quelques uns réellement mauvais mais là c’était probablement le pire. » On reste sans voix devant un tel constat.
Le 26 Février The STARS joueront ensemble au même endroit et ce pour la dernière fois. Il n’est pas prévu d’éditer une quelconque bande audio. Si tout a été , dit-on enregistré, tout est perdu. De même que les photos de Barrett avec The STARS à Cambridge. Quelqu’un les a fichées à la poubelle en débarrassant l’appartement de leur possesseur. C’est peut-être mieux ainsi.
The Last Minute Put Together Band « Six Hours Technicolour Dream » CD 2014, Easy Action (paru en Mai 2014, import). Pour fans, donc, ou antiquaires amateurs de curiosités à l’heure où sort en Novembre, un nouveau Pink Floyd. Vigoureux ? (Et il n’y a pas de face cachée de la lune, en vérité tout est noir? Dark Globe ?)
Syd Barrett avec Pink Floyd : The Piper at the Gates of Dawn – 1967 ( compositeur de tous les titres), A Saucerful of Secrets =1968 (« Jugband Blues » – auteur compositeur/ « A Saucerful of Secrets » – instrumental/ « Vegetable Man » -auteur compositeur)
En solo « The Madcap Laughs » et « Barrett » 1970
Egalement éditées « The Peel Sessions » et « The Radio One Sessions » (période solo 70/71)
Actuellement Cambridge honore par ailleurs le souvenir de Syd Barrett, par une exposition fin Octobre, de plusieurs de ses oeuvres peintes, dont certaines n’ont jamais été montrées.
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Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.