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ConcertsLive Reports

This Is Not A Love Song Festival 2018

Parcours d’orientation.

TINALS est ce petit festival de Rock indépendant et alternatif nîmois qui est indéniablement en train de faire la nique aux plus grands et pourrait bien prendre le pas sur eux ou leur montrer un bout du chemin à suivre. Sur trois journées, la programmation 2018 est aussi riche qu’éclectique. Avec des têtes d’affiche comme Beck, Sparks, The Jesus & Mary Chain (nous y viendrons), Phœnix, Father John Misty,Ty Segall (Samedi 2 Juin), suivis par Deerhunter, Cigarettes After Sex, Dead Cross et The Breeders (Dimanche 3 Juin). Sans compter, par ailleurs, des formations moins célèbres ou émergentes qui, à des niveaux variés, sont autant de jalons de la scène actuelle sinon de véritables découvertes. Le public est gâté. Au milieu de ce foisonnement il faut cependant s’orienter un peu et tenter quelques choix d’auditeur. Chacun se débrouille comme il veut, bien sûr. Mais le risque (relatif) peut-être de s’égarer dans cette offre – revers de Tinals -, et de ne plus savoir alors ce qu’on y écoute. Pris dans ce qui pourrait se transformer en kermesse sonore (qui accueillit tout de même 16000 visiteurs), on n’entendrait qu’un vacarme indistinct. Curieux éclairé ou hasardeux dégagé de toute priorité, on fait néanmoins son marché. Je le suppose.

Magie.

En matière artistique, un choix peut sembler plus subjectif qu’objectivement construit. Sur l’affiche de cette première soirée de TINALS, deux incontournables s’imposaient pourtant à nous. Liés à l’histoire et à la magie que savent créer certains artistes (non artisans), dont on eut le bonheur de saisir l’importance et la singularité dès les premières écoutes que nous leur portâmes. De même qu’on comprit qu’ils étaient de ceux qui nous marqueraient longtemps, sentiment que les années ne contredirent pas.

Peter Perrett était le premier. L’ex leader des Only Ones (1976/1982), presque disparu ensuite pour devenir une des figures les plus erratiques de la scène britannique, n’était réapparu qu’épisodiquement depuis le début des eighties et plutôt mal en point. D’abord grâce à un premier album solo confidentiel, au milieu des années 90, puis lors d’une tournée de reformation des Only Ones (2007/2010). On aurait pu penser aujourd’hui l’affaire définitivement classée. Sauf que Perrett a surpris son monde avec le superbe How The West Was Won publié pendant l’été 2017. Epaulé par ses deux fils – dont Jamie Perrett, magnifique guitariste – revenus de l’expérience Doherty / BabyShambles, le sexagénaire à la voix à nouveau intacte et à l’inspiration retrouvée, nous avait séduit par des compos lumineuses aux échos Lou Reedien, brillantes d’intelligence et de second degré. Il restait à découvrir ce que cela offrirait en live? Sur scène l’homme est calme et investi, derrière des Wayfarer noires, comme Dylan dans les sixties, son modèle de jeunesse. Le corps revenu de loin est un peu courbé, vêtu d’un cuir rouge qui aurait plu à Lou Reed, autre modèle. Affable entre les titres, le londonien chante de sa voix nasale caractéristique et assure des guitares rythmiques, toutes en clarté et en harmonies, dont les constructions d’accords font pâlir d’envie. Le groupe a des raffinements bienvenus. On les doit à une violoniste-claviériste (membre de Strange Fruit, projet solo de Jamie et Peter Perrett junior) ainsi qu’à une percussionniste-choriste qui renforce les rythmiques d’un batteur déjà très efficace (de Strange Fruit lui aussi). Il prend de l’altitude avec le brio de la guitare solo de Jamie et les titres joués peuvent alors vous donner le frisson – ainsi « Take Me Home », « Something In my Brain » ou « Hard To Say No ». L’ensemble tient d’un classicisme post-punk sophistiqué, aux indiscutables qualités musicales, qui était déjà la marque de Perrett avec les Only Ones.

« Mon père s’est remis au travail après 2014″, me confie Jamie retrouvé au carré VIP. « Nous sommes naturellement allés vers lui, c’est un plaisir. Nous tournons depuis la sortie de l’album. Mais nous avions commencé avant. Demain nous jouons à Barcelone Primavera ». Quand on l’interroge, en cours de discussion, sur un ou deux riffs de Perrett, Jamie reconnaît volontiers que « Oui, il y a bien un clin d’œil au Sweet Jane de Lou Reed sur How the West was won » (chanson éponyme au titre du LP – NDLA). En doutait-on vraiment? Quant au répertoire des Only Ones – dont une partie est interprétée pendant le set – il déclare que « Another Girl Another Planet » est devenu un hit intemporel, mais émet des réserves sur la production de « Woke up Sticky » (1995) qu’il ne juge pas à la hauteur des chansons. Si on regrette personnellement de ne pas avoir entendu « The Big Sleep » ce soir, il acquiesce sur la valeur du titre et répond qu’ils le jouent parfois, ce qui fût le cas à Paris. Magie.

Distractions.

TINALS se tourne t-il vers un public plus large, moins indie-rock? J’en doute sur le fond, mais la programmation en milieu de soirée de Sparks et Beck pourrait le laisser penser. Dans la grande salle de la SMAC Paloma, les frères Mael, tout de rose vêtus, jouent encore à ce duo irrésistible en termes d’humour, qui sut secouer les dance floors glam-rock puis disco des années 70 et 80. Ron, derrière son clavier – qu’on entend peu-, ne bouge pas un poil de moustache, tandis que Russell en fait beaucoup et virevolte en histrion animateur de soirée. Le groupe derrière est plus que solide et mélange une pop-rock qu’on trouve un peu d’opérette et dans laquelle on reconnaît des tubes anciens tel « This Town Ain’t Big Enough for Both of Us (1974) ou récents comme « Missionary Position », extrait du dernier album. Pas des mauvais morceaux à franchement parler. Nous en sommes loin. Néanmoins on reste un peu pantois. La salle, par contre, est bondée (ou presque) et les Sparks emportent joyeusement l’affaire.

En extérieur sur la grande scène Flamingo, on retrouve Beck à la tête d’une formation imposante de huit musiciens. Devant un décor à étage, éclairé de projections démonstratives, le chanteur habillé de noir et coiffé d’un large chapeau du même ton, paraît une sorte de Zorro du show business. Mais on ne sait trop quelle cause il défend? Avec les citations musicales de « I Miss You » on pense à Jagger devenu sa propre caricature. Et si le groupe attaque l’introduction de Remain In Light des Talking Heads, autre citation (pourquoi?), on ne pense pas une seule seconde à l’incisif David Byrne de 1980. Hélas. « Devil’s Haircut » ouvre le show et quand bien même veut-on faire un effort pour y croire, on s’ennuie. Avec une grande difficulté à comprendre gratuité des effets et grandiloquence du spectacle. Colors avait déçu. Beck ,en live, ne convainc pas.

Magie (2).

Le deuxième centre d’intérêt principal de la soirée était sa tête d’affiche. Soit un astre noir, alimentant phantasmes et légende justifiée, qui monopolisa largement le stand merchandising de ce premier jour. Programmés au cœur de la nuit, les Jesus & Mary Chain de Glasgow, vétérans de la new-wave noisy et pop – non, ce n’est pas antinomique! – étaient attendus. On suppose qu’ils s’en doutaient bien. Ceci malgré leur détachement et flegme habituels – affiché dès leur entrée sur scène-, attitude longtemps prônée sinon revendiquée par Jim Reid, champion du genre, lequel resta des saisons entières au top 5 des gars antipathiques. Sauf que Jim, aujourd’hui quinquagénaire avancé ( 57 ans), se montre presque aimable, à défaut de franchement souriant et, bien que peu causant, sait remercier très poliment et plusieurs fois son public. Ce qui ne l’empêchera pas de stopper un titre commencé, après avoir signifié qu’une guitare était mal accordée. On ne se refait pas complètement.

Le duo des frères Reid, Jim et William, on l’avait retrouvé avec plaisir il y a un an. Au printemps 2017, pour la sortie de Damage and Joy, venu dix neuf ans après Munki qu’on pensait, jusqu’à cette date, être l’ultime LP des écossais. Point de vue qui fût aussi celui du groupe, si on en croit les interviews publiées. En live la formation des cinq musiciens quasi immobiles assure, sans fioritures et tout en intensité, un set tiré de leur huit albums studio. On y reconnaît les perles « Some Candy Talking », « April Skies », « Just Like Honey » (avec une invitée discrète, présentée tout aussi discrètement sous le doux prénom de Bernadette – choriste de circonstance? – et qui assurera sa tâche avant de glisser vers l’ombre dont elle était sortie). Ces titres de la période  »Dark Lands » parmi les plus connus, sont aussi ceux qui signent le style J&MC et on les écoute avec bonheur et révérence. Références majeures, ils ont influencé The Stone Roses, My Bloody Valentine, The Raveonettes ou encore Black Rebel Mororcycle Club. Après de telles réussites, il pouvait être difficile de se renouveler et d’inventer encore. J&MC l’ont pourtant fait sur des albums comme Stoned and Dethroned ou Munki, dont ils joueront (très fort) « Cracking Up » et le bipolaire « I Love Rock and Roll ». L’esthétique des frères Reid est quelque part dans une filiation post Velvet Underground. Celle de l’obscurité autour de mélodies ciselées. On y trouve une charge émotive contenue, maîtrisée, dans la saturation du son. Le concert donné tard (de minuit trente à une heure et demie du matin) l’a parfaitement exprimé. Volume sonore poussé haut, tout comme les fréquences basses et médiums – on pourrait se poser la question du sens d’un tel mixage – qui écrasèrent parfois les deux guitares qu’on aurait aimées plus saillantes; comme sur ces extraits du dernier album, « Amputation » et « War on Peace » (donnés à la limite du supportable), qu’on dût entendre bien loin sur les collines nîmoises.

Quoiqu’il en soit Jesus qui reprit du service en 2007 après sa longue séparation de dix années, connaît ses évangiles sur le bout des doigts. Assurés et dans le contrôle de leur performance, J&MC restent dans cette magie noire qu’ils déclinent dans une zone qu’ils ont eux-mêmes définie, mélangeant pop, influences industrielles et intensité première. Le charme sombre fonctionne. On en sort groggy.

Découvertes.

TINALS, ce sont aussi trois scènes plus petites sur lesquelles on découvre des groupes émergents ou locaux. Dans cette catégorie je retiendrai les anglais de la nouvelle scène de Brixton, quartet rassemblé sous le nom de Warmduscher – un chauffe eau? Une chaudière? Le groupe a quelque chose de pittoresque et s’inscrit dans la mouvance de The Fat White Family ou des remarqués (et jeunes) Shame – dont nous avons chroniqué plus tôt le premier album. Warmduscher c’est un chanteur harangueur à la façon de Ian Dury ou de Mark E. Smith, un guitariste au look de Mick Jones jeune et très décoiffé, ainsi qu’un bassiste remarquable qui a probablement beaucoup écouté Jah Wobble (PIL) ou Basement Five.

Je rajoute une mention spéciale au batteur du groupe et nous voilà entre Specials, Blockhead, The Fall et PIL première époque. Du post punk arty, inspiré et vindicatif. L’attraction nouveauté du jour fût par ailleurs DYGL, sorte de Libertines nippons et juvéniles. J’avoue qu’ils me laissèrent de marbre et que je leur ai préféré, dans un tout autre registre, le trio régional et folk de Mummy’s Gone, dont j’ignorais tout. Le genre revient à la mode semble t-il et je ne m’en plaindrai pas, en amateur de Martin Carthy ou Nick Drake. Chansons mélancoliques, bien interprétées (avec violon) qui demandent cependant encore un peu d’émotion pour qu’on y croie complètement. Ok, je suis vache. Ok. En vrac Flat Worms, Les Rustyn’s, Moaning et Insecure Men restaient encore à voir et entendre. Ce que je n’ai pas fait. Mais c’était déjà beaucoup.

Le festival TINALS en est à sa sixième édition.

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