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Live Reports

Tindersticks / Paloma (Nîmes), 13/10/2022

Voici deux ans nous avions quitté Tindersticks sur la scène de la SMAC Paloma, à la veille du coup d’arrêt de nos habitudes sociales porté par la crise sanitaire du Covid 19. À l’époque, venait de paraître le superbe No Treasure but Hope, album aussi envoûtant que mélodieux, à l’exemple d’un de ses titres phares « Pinky in the daylight », valse délicate et amoureuse. Stuart Staples avait laissé la Creuse pour s’installer sur la plus lumineuse île d’Ithaque, terre promise du courageux Ulysse, où le héros d’Homère rejoignait, après bien des vicissitudes, sa fidèle Pénélope. A l’instar du titre de ce nouvel album, l’atmosphère aurait dû être porteuse d’espérance… Il n’en fût pas exactement ainsi, et chacun se replia dans son îlot.

Retrouver Stuart Staples avec ses musiciens en 2022, dans ces lieux mêmes où nous les avions laissés, a ainsi ce jeudi 13 octobre un parfum un peu particulier. En l’occurrence, c’est d’abord celui de la pluie d’automne, qui se met soudainement à tomber sur nos épaules de spectateurs de la première file d’attente dépourvus de toute protection imperméable. Cette sorte de passage initiatique qui amuse à vingt ans, n’avait rien d’obligatoire pour un following de connaisseurs déjà habitué aux scènes pop-rock en regard de sa moyenne d’âge: la cinquantaine au bas mot. Autant le dire, les Tindersticks de 2022, formés dans les années 1990, n’attirent pas (à première vue) un public jeune et nous avons vieilli ensemble. À l’heure où sort Past Imperfect, double album qui compile la carrière du groupe de Nottingham, Tindersticks n’apparaît peut-être plus assez festif ou tonifiant, que sais- je, pour qui attend de la pop music rythmes nerveux et séquences de riffs teigneux? Comme chez les Américains de Lampchop, – dans une moindre mesure -, les tempos lents ou mediums dominent aujourd’hui les compositions. Les mélodies s’insinuent dans les structures et les séquences et le chant de Staples s’égrène volontiers sur un mode impressionniste – au demeurant très présent – , plus que sur celui d’un expressionnisme vindicatif.  C’est le cas tout au long de Distractions, dernier album en date paru en 2021, qui combine électronique, minimalisme et longues pièces musicales mélancoliques aux allures de bande son cinématographiques (cf les collaborations du groupe avec la réalisatrice Claire Denis). Pour être tout à fait honnête, je comprends l’impatient qui laisserait tomber. A titre personnel j’aime Tindersticks, évidemment, et je me sens à ma place ce soir. Place qui, une fois entré, se trouvera presque en face du micro et des guitares de Staples, au premier rang de La Grande Salle aménagée pour l’occasion avec sièges et gradins. Le spectacle pouvait commencer.

Sur scène, disposés en demi-cercle, les musiciens sont cinq ou bien six lorsqu’un guitariste additionnel rejoint la formation de base pour certains titres. Aux claviers et à la guitare, on reconnait David Boutler et Neil Fraser, membres fondateurs. Staples, vêtu d’une veste de peintre boutonnée, porte sur la tête son galurin à bords souples. La moustache est épaisse, tombante à la façon de Franck Zappa. Le chanteur qui se déplace lentement, parle peu – il confie toutefois son plaisir de retrouver la salle de Paloma -, mais ne présentera pas les musiciens, très absorbé par ses interprétations, souvent chantées les yeux fermés avec maniérisme. La voix est unique, prenante ; elle ne va ni vers l’excès ni vers l’inutile, tout comme les orchestrations choisies. On songe alors à ce qu’a pu donner, en terme d’émotion esthétique, le concert solo de Staples – chant et piano- à la salle Pleyel! « Pinky on the Daylight », « The Amputees », « See My Girl », » For The Beauty » (dernier titre avant le rappel du groupe), sont des temps forts d’une prestation toute en nuances qui oscille entre soul et pop alternative. David Boutler utilise un métallophone qui ajoute des notes aiguës et fragiles à ses claviers. La Lespaul de Fraser joue dans ce même registre, qui complète de motifs les rythmiques souples et syncopées de Staples. La magie opère. Mention spéciale à un batteur-percussionniste qui me fera penser à l’excellent et regretté Tony Allen (Fela, The Good The Bad and The Queen), par un jeu qui relève davantage du jazz que d’un beat rock habituel.

Habituel est d’ailleurs le mot qui m’amène vers ma conclusion. Mais en prenant son contraire. C’est à dire en rajoutant un préfixe à l’adjectif: un concert de Tindersticks est ainsi un moment artistique inhabituel. Peu commun, hors des sentiers battus pop-rock qui, quelquefois, se ressemblent beaucoup les uns et les autres. La musique proposée par Stuart Staples est indéniablement à part. Celle de la dernière décennie ne se rapprochant pas facilement de celle d’une autre formation. Hautement évocatrice elle suggère plus qu’elle ne dit. Elle poursuit un chemin sensible qui évolue depuis les débuts du groupe – ainsi que l’illustre parfaitement Past Imperfect. D’un format pop qui demeure néanmoins présent, elle glisse vers une sublimation musicale et stylistique. Une affaire de grand style et d’art.

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