Loading...
Insight

Deep Purple, le feu au lac

Tous les apprentis guitaristes se sont, un jour ou l’autre, exercés sur le célèbre riff  de « Smoke on The Water », introduction de quatre notes capable de coller la chair de poule à nimporte qui, quand bien même serait – il ( ou elle) totalement ignorant des plaisirs secrets du rock and roll. Si on se penche sur l’histoire du genre musical depuis ses débuts, on se rend très vite compte que des comme ça, aussi efficace, il n’en existe pas beaucoup. Des aussi célèbres, pas trop non plus. Je cherche. Qu’est- ce que je trouve ? « Hell’s Bells » d’AC/DC, « Satisfaction » des Stones, « Roadhouse Blues » de The Doors . The Stooges avec le riff de « I wanna be Your Dog » pourraient prétendre à un petit trophée – mais c’est moins historique, plus confidentiel – , tout comme la basse de New Order qui lance « Ceremony ». Allez, ne chipotons pas.  « Smoke » envoie l’ intro d’enfer. Le motif est simple, terriblement accrocheur et il sonne.  Les notes bien senties, appuyées par l’overdrive épais utilisé sur sa Stratocaster par le guitariste Ritchie Blackmore, enlèvent l’affaire illico. Blackmore est celui qui a composé l’essentiel de la chanson, à la fin de l’année 1971. Peu modeste il n’hésitait pas, dans certaines déclarations,  à comparer son intro de hard rock à celle de la 5ème symphonie de Beethoven. Ben voyons! Mais  pourquoi pas après tout? Car en terme de célébrité les deux motifs se retrouvent  probablement à égalité .

Recto de Shades of Deep Purple avec tracks list ( reprises)

Mais qui étaient Deep Purple que les fans de rock des années 1970 ont tous connu,  mais que ceux d’aujourd’hui ne situent peut-être pas aussi bien ? Le groupe s’est formé en Angleterre en 1968, dans le comté du Hertfordshire, limitrophe du nord de Londres. Il est mené par deux personnalités essentielles Ian Gillan au chant et Ritchie Blackmore à la guitare. Pour faire bonne mesure , il faut rajouter à ce duo du devant de scène, le clavier John Lord  dont les arrangements d’orgue Hammond ont largement contribué au son du groupe. Ainsi que le batteur Ian Paice , toujours actif au sein d’un Deep Purple dont les membres ont beaucoup changé, il est vrai, puisqu’ils n’ont plus rien à voir avec ceux du groupe d ‘origine. Ils savent néanmoins encore faire tourner un répertoire, plus de cinquante ans après sa création. Enfin le bassiste Roger Glover ne comptait pas pour des prunes ! Je ne saurais l’oublier. Bref, chez Deep Purple tout le monde était au top, à un moment donné. L’apanage des grands.

Stockholm 1970

En 1971, soit deux ans avant « Smoke on the Water » single extrait en1973 du très célèbre album Machine Head, le groupe avec Black Sabbath et Led Zeppelin sont  les formations les plus connues d’une  période qui voit apparaître un nouveau style qu’on nomme Hard Rock. Objectivement, tous trois en sont  les pionniers.

Hush , premier hit en 1969.

Dans une première période d’activité la formation reste encore sous l ‘influence du rock psychédélique, d’Hendrix et des fondamentaux donnés par la musique blues. En 1968, ce sont Blackmore et Lord qui initient les débuts d’un groupe qui  prend la forme d’un quintet, configuration qu’il conservera toujours. Un certain Rod Evans est alors au chant – il ne reste qu’un an- mais c’est lui qui amène le batteur Ian Paice. Après une tournée en Europe du Nord,  Evans est remplacé en 1969 par Ian Gillan. Il arrive accompagné du bassiste Roger Glover qui devient très vite un membre incontournable.  La période créative la plus faste du combo anglais peut  commencer. Les cinq  enregistrent en quelques années des albums majeurs, qui se vendent énormément dans les années 70, puis début 80, période où le genre hard concurrence largement les accords incertains de la new wave débutante. Deep Purple compose les disques essentiels que sont, je cite, In Rock , Fire ball, Machine Head – trilogie de 1970 à 1972- ainsi que le double live Made in Japan (1972) qui inclut l’interprétation magistrale du hit single  » Child in Time »

Au début des années 70, Deep Purple est à son sommet. Chaque sortie  se classe systématiquement dans les premières places des charts internationaux. Il n’est pas un adolescent qui ne possède alors l’un ou l’autre de ces trente trois tours dans sa  discothèque vinyle naissante. Si Shades of Deep Purple, premier album du quintet , enregistré en deux jours courant 1969,  comporte un certain nombre de reprises et réussit  à se hisser dans les charts avec le single « Hush », le groupe va bien vite abandonner les covers. Il décide d’écrire son propre répertoire et c’est celui ci qui le rend célèbre.  Blackmore est de plus en plus confiant en lui-même, développant les bases de son jeu, originellement inspiré du blues américain puis du blues britannique des années1960. Il change sa Gibson SG pour une Fender Stratocaster qui devient son instrument de prédilection. Aux claviers, John Lord  pose clairement son empreinte sur des compositions réalisées en commun.  Il leur apporte une dimension classique caractéristique du son des hard rockers nord londoniens.
Fin 1969 les anglais tournent aux USA en première partie de Cream, puis se lancent dans une tournée anglaise avec succès. En 1970 le groupe est prêt pour prendre son plein essor, seulement deux années après ses débuts.

C’est à cette période précise que les Deep Purple écrivent In Rock. Le lp est enregistré très vite, après avoir été repété dans le petit local où s’entasse le matériel et de gros amplis. In Rock ne lésine pas sur l’image,  puisqu’il montre les visages des musiciens sculptés sur les roches du mont Rushmore , remplaçant ceux des historiques présidents  des Etats Unis. L’album compte au moins deux hits « Child in Time » et « Speed King ».  Deep Purple y pose véritablement les bases du hard, s’éloignant des influences psychédéliques et prog qui teintaient ses productions de la fin des années 1960. A partir de là , ce seront des dizaines de formations qui vont  suivre un mouvement musical dominant sur les six ou sept premières années de la décennie 1970. Le hard ( et le rock prog) sont les styles principaux du moment jusqu’à l’explosion de la déferlante punk. Deep Purple, en tête des grands groupes seventies, a ceci de particulier qu’il influence aussi bien  Rod Stewart avec The Faces ( qui ne sont pourtant pas des débutants mais s’accrochent au train du hard), qu’un Tony Ahston ( claviériste, chanteur et compositeur de Blackburn qui collabore avec John Lord en 1971). Ou plus tard  encore, le guitariste Joe Satriani, vedette dans les années 1990, qui a beaucoup écouté Blackmore.

Toutefois, le monde musical  n’est pas unanime autour des productions du groupe. Certains jugent mal ce mélange de rock et de classique qui le caractérise. John Peel, en particulier, refuse de les diffuser dans sa célèbre émission. Pour lui la musique rock n’a nul besoin de « concertos » qui pastichent plutôt mal les formes de la musique classique ( référence à « Concerto for group and orchestra » de John Lord). Selon lui, on s’égare…Les musiciens ne lui en tiendront pas rigueur, certains membres n’étant par ailleurs pas convaincus du projet. Le véto de l’homme de radio ne gênera en aucune façon  la carrière d’une formation de plus en plus populaire.

Mais revenons à la trilogie d’albums composée entre 1970 et 1973 et au plus célèbre d’entre eux, Machine Head. Ce dernier est enregistré en Suisse à Montreux, sur le studio mobile des Rolling Stones lesquels quittaient tout juste leur  exil fiscal de la villa Nellcote de Villefranche sur Mer. Deep Purple pensent s’installer dans le Casino de la ville, au bord du lac. Un cadre idéal, loin de l’agitation londonienne. Eux aussi ont laissé l’Angleterre pour des raisons fiscales. Le lieu est idyliique, spacieux et confortable. Avant cette installation sur les bords du lac Leman, le quintet a sorti  Fireball sur le label Harvest ( où l’on retrouve Pink Floyd) en 1971. L’album s’est classé 41 ème des charts britanniques. Il offre le hit  « Strange Kind of woman » , l’ensemble des titres étant signés collectivement. 
Pour Machine Head le groupe crée Purple son propre label, décision qui lui ouvre de nouvelles possibilités et lui laisse les coudées franches . Notamment l’opportunité d’être leurs propres producteurs. Gillan trouvait ainsi que sa voix ne sonnait pas aussi bien qu’elle le devait. Il fera en sorte d’en améliorer l’enregistrement. Paice veut prendre en main le son de sa batterie et peut désormais s’y atteler à son idée. Blackmore, de son côté, a des velléités de carrière solo…Machine Head est une charnière, un challenge artistique tout autant qu’un épisode particulier pour le collectif.

 Deep Purple enregistrent à Montreux

Le groupe qui arrive à Montreux début décembre y donne d’abord un concert. Dans ce contexte les musiciens sont en relation avec ceux du Pink Floyd, les hard rockers de Black Sabbath ainsi qu’avec le génial  Frank Zappa. Une fois terminés les divertissements afférents au Casino , le bâtiment au bord du lac est retenu pour devenir un luxueux studio . L’endroit se vide et les Deep Purple pensent s’y installer autour de la mi-décembre 1971. Cette  période restera celle d’enregistrement de l’album , après les nombreuses dates d’une éreintante tournée.  Les musiciens sont prêts. Mais tout ne sera pas si simple. Malheureusement, rien ne va comme prévu.  Lors du concert de Zappa un incendie accidentel se déclare, dû aux imprudences coupables d’un spectateur. Les lieux incendiés  sont totalement inutilisables. Consternation. Deep Purple se replie, après quelques péripéties, dans un hotel des bords du lac à Territet, banlieue chic de la ville suisse. Il a d’abord tenté  d’enregistrer dans le pavillon annexe du Casino mais l’endroit s’avère inadapté.  C’est donc dans un hôtel vide que le prochain disque va être enregistré, en une vingtaine  de jours.

L’ incendie qui interrompit le concert de Zappa,  inspirera en fin des sessions de Machine Head le texte de « Smoke on The Water « . Au sens propre et sans métaphore. Gillan donne une description réaliste , presque journalistique des faits. Il sera pourtant mal interprété dans un premier temps…Nous verrons pourquoi et comment.  Mais dans l’hôtel où se tiennent finalement les séances d’enregistrement, on calfeutre portes et fenêtres avec des matelas.  On dépose le matériel sur d’épais tapis , enregistrant les instruments aussi bien dans les couloirs – la batterie de Paice notamment – que dans les grandes salles désertes. Tout doit être soigneusement préparé. Le studio mobile est stationné dehors – comme pour Exile on Main Street des Stones. Le résultat est bon, malgré ces conditions très inhabituelles. Le groupe  rodé par sa tournée automnale, boucle huit titres avec une maestria qui correspond à son niveau de maîtrise stylistique. Il en tirera les hits « Highway Star », « Space Trucking » et le célèbre « Smoke on the Water » dont le riff devient un classique du rock. Blackmore est au mieux. En ce début d’une autre décennie, il parait  le guitariste le plus doué de sa génération avec Jimmy Page, son seul véritable rival. Il songe d’ailleurs à mener une carrière solo – ce qu’il fera avec Rainbow en 1976. Gillan est tenté lui aussi par un projet de ce type, mais reste jusqu’en mi -1973, assurant la tournée promo.

Ritchie Blackmore

Pour en revenir à « Smoke On The Water », ce sera  un tube planétaire. La chanson est un témoignage rock, racontant l’incendie qui se propagea lors du concert de Franck Zappa. Le riff initial est joué dès les premiers  tests de son,  lorsqu’on s’ installe provisoirement au pavillon du Casino où Deep Purple ne reste pas, en raison d’un voisinage qui trouve tout cela bien trop bruyant. Le titre de la chanson aurait été trouvé par Roger Glover, se réveillant un matin en prononçant ces mots: «Smoke on the Water». Le bassiste rapporte une vision de la fumée noire au dessus du lac Léman, qu’il gardait en tête depuis l’incendie. Ian Gillan écrit aussitôt les paroles, avant de quitter le premier lieu d’enregistrement.  Certains se méprennent et voient une allusion aux drogues, ce qui n’est pas le cas. On pense abandonner le projet. « Smoke on the Water » manque de tomber à l’eau !

L’incendie du Casino

Mais Martin Birch, ingénieur du son , signale au bout des sessions de Machine Head qu’il manque sept minutes pour conclure l’album qui au total devait en compter un peu plus d’une trentaine. On reprend alors le riff de Blackmore et le chant de Gillan. Le titre se développe . « Smoke on the Water »  est intégré à Machine Head. A la suite  du riff de quelques notes chaque instrument entre tour à tour, le charleston de Paice accompagnant la progression du riff, puis la caisse claire avant que Gillan n’entame le premier couplet. Sur l’album la chanson dure un peu plus de cinq minutes. Elle est reformatée à 3.50′ pour la version single un an plus tard. Ce qui n’était qu’une jam à ses débuts, doit au hasard d’être devenu l’énorme succès que nous connaissons. Le hasard peut parfois bien faire les choses.

L’album sort au printemps 1972, le 2 mars exactement. Le choix du premier  hit mis en avant est la chanson « Never before ». Elle ne remporte pas un grand succès. Le classement dans les charts est honorable mais relativement modeste pour un groupe comme Deep Purple. Un an plus tard , Warner reprend les droits de l’album et booste sérieusement sa promotion. « Smoke »est choisi comme nouveau single ce qui change tout.

Après cet épisode plus rien n’est comme avant . A partir de la tournée du printemps 1972 , le titre débute systématiquement chaque concert. Il est une signature, un ralliement.  Des dizaines de groupes de tous styles le reprendront, tel Carlos Santana – parmi les plus célèbres-, Black Sabbath ou le groupe de métal Six Feet Under . J’ai oublié les noms de tous les autres. Mais je suis sûr que l’un de vos favoris s’y trouve.

La nature compte quatre éléments fondamentaux.  Ce que firent les cinq Deep Purple de deux d’entre eux s’est changé en  élément fondamental du rock de tous les temps, sinon intemporel. « Smoke on the water/ a fire in the sky« …

3 comments
  1. Paul

    Je crois que Blackmore utilisait a ses débuts une Gibson 335 et non une SG . C’est avec elle qu’il fit le solo de child in time. Et n’oublions pas les deux albums avec Coverdale et Glen hugues , notamment le fameux Burn , , et stormbrighter, c’est après que le grand Ritchie ira former Raimbow avec le tout aussi grand Dio au chant

  2. Bouet-Damiani

    Oui. Une Gibson ES 335. En effet. Merci de cette précision. On la voit d’ailleurs sur la vidéo. Néanmoins il est tout à fait probable que Blackmore ait utilisé une SG avt de passer aux Fender. Et bien sûr Burn ( pochette aux bougies !) est très intéressant. L’article veut toutefois zoomer une période très précise et fondamentale de DP et non pas decrire toute une carrière. D’où ce choix et le Focus sur Machine Head. Bonne lecture de notre magazine. Partagez ! Et faites connaître. Amicalement.

  3. Paul

    Merci pour votre réponse et bravo pour vos articles très intéressants et très renseignés

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.