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ChroniquesInsight

Is there Rock on Mars? Y a-t-il du rock à Marseille?

Au milieu des années 90 le journaliste et auteur marseillais François Thomazeau – bassiste de Special Service (1980-1982) – publiait La Faute à Dégun, roman OVNI sur fond de scène rock hantée. Au centre de ce sombre marasme qui nous baladait des salles de concert du quartier de La Plaine jusqu’aux terrasses de Notre Dame de La Garde, errait la figure fantomatique d’un improbable héros : Frankie Dégun. En langue locale dégun signifie personne et ce Frankie Personne, sorte de Morrison marseillais et écorché, plus mort que vif, ne survivrait pas à cette histoire de jalousies et de rivalités. Ici, le drame se repaissait sous le rire, les mauvaises bières et les riffs épais. A la fin, c’est lui qui l’emportait. Enfin, ça peut arriver qu’il l’emporte mais l’inverse est possible aussi, je ne prétends pas le contraire. A Marseille tout est possible. Ou presque.

Comme un volcan.

 Louis XIV se méfiait. Ce précurseur de la centralisation fit ainsi pointer les canons du Château d’If, bâti sur son îlot pelé et venté de la rade, non pas vers le large mais vers les marseillais eux-mêmes, sujets inquiétants et trop turbulents à son goût. L’histoire ne lui donna pas complètement tort et  il n’aurait guère été surpris lorsqu’en 1961 le tout premier titre  sur trois accords jailli depuis Phocée, s’intitula « Comme un volcan ». Quelque chose devait exploser! Ce prémisse des tubes rock-yéyé est un opus exubérant et allumé, œuvre de Rocky Volcano, lequel plagiait avec l’accent les furies d’Elvis ou d’Eddie Cochran. Volcano (né en 1936 à Marseille et non en 1940 à San Francisco comme on le fit croire dans sa fausse bio) est le premier porteur du syndrome typique de la scène rock marseillaise: il passera très largement à côté de la carrière qu’il aurait pu avoir. En 1960, il n’est pourtant pas novice dans un monde musical en germes. Il a toujours voulu chanter et s’est initié sur les mêmes bancs qu’un dénommé Yves Montand, avant de cachetonner un peu partout de Dakar à Milan. De retour à Marseille dans son costume neuf de rocker, on le voit se produire au cinéma Chave, salle où on entend toutes les formations locales. Avant de ne plus le voir du tout. Parce que Volcano s’éteint très vite, remercié par Philips au profit d’ un grand blond aux yeux très bleus qu’on vient de baptiser Johnny Hallyday. Vedette sauvage à l’instar d’un Vince Taylor, Volcano n’aura pourtant pas ménagé sa peine, lui qui déchira sa chemise à chaque concert d’une année de tournées dans l’hexagone. Sauf qu’étonnamment (ou pas) l’homme ne passionne plus le public (marseillais y compris) et ne se produit même plus dans sa ville qui l’oublie complètement. Philips rompt le contrat prévu pour trois ans et « Rocky » termine sa carrière en Espagne dès la fin 1962, avec quelques 45 tours chantés en castillan – ce qui ne le dérangera guère. Punk dans l’âme, il déclare à Paris Match: «Les Chaussettes Noires, ce sont des danseuses et Richard Anthony intéresse les mous». Exemplaire.

Naissance d’une scène.

Le monde entier se retrouve sur la Canebière, disait-on. Sa jeunesse du début des années 60 écoute cette nouvelle musique venue d’outre Atlantique, relayée ici par l’antenne très populaire de Radio Monte Carlo. Ce qu’elle entend l’enthousiasme.

Paris possède ses lieux, clubs, labels qui  accompagnent (ou fabriquent)  une scène distincte de la tradition Rive Gauche. Un vivier dont plusieurs noms deviendront célèbres et feront carrière. Qu’en est-il autour du Vieux-Port ? Dès 1960, les aspirants musiciens se retrouvent dans un territoire coincé entre les cinémas du centre, Le Chave et le Rex, rue de Rome, qui servent de salles de concerts. Ainsi que dans deux bars, Le Central, rue du Théâtre français (angle de la Canebière et du théâtre du Gymnase) et Le Disque Bleu, avenue Pelatan. Ces deux établissements sont les lieux de rendez-vous où se croisent rockers et musiciens de bal. L’AGM est un club étudiant, discothèque aménagée pour les jam sessions. On y écoute les nouveautés, on danse, on s’essaie sur les instruments disponibles. Les disques – souvent commandés et qu’il faut savoir attendre – s’achètent chez Discal, rue Pavillon, ou chez Lemaire, rue de la République. Leur rareté fait qu’on se les prête. Dans le 1er arrondissement, Gaffarel est le grand magasin pour le matériel. On s’y équipe quand arrivent les premières Stratocaster ou Fender Précision, après avoir joué sur les Framus allemandes moins performantes.

Au milieu de la décennie, de nouveaux lieux voient le jour au fur et à mesure qu’une scène s’organise. Les plâtres sont essuyés par des formations yéyé ni meilleures ni pires que celles de Paris. «Ces groupes chantent en français et s’essaient à l’anglais. Ils suivent la vague portée par Johnny, les Chaussettes Noires, les Chats Sauvages, Danny Boy et les Pénitents» ( Robert Rossi, Histoire du Rock à Marseille ). L’originalité n’est pas ce qu’on recherche et c’est l’appel d’un rythme nouveau qui motive les formations aux membres interchangeables. Les Dynamycks (1960-1963) sont les plus repérables. Leur répertoire est fait de reprises. Le ton reste très juvénile et ne changera pas. Marseille n’est pas tout à fait Paris.

Trois ans plus tard, la scène a pourtant mûri. L’Arsenal des Galères, qui ouvre ses portes en 1966, est l’endroit branché. The 5 Gentlemen (1963-1967) qui gagnent leurs galons chez Barclay, en font leur résidence. Devenu mythique, le groupe a fait figure de leader d’un mouvement inspiré par le style anglais des mid sixties. Les « 5 » composent et leurs titres chantent l’air du temps. « Dis-nous Dylan » et « Si tu reviens chez moi » (Riviera, 1966) sont de petits succès qui auraient pu ouvrir l’horizon du quintet. En rupture de contrat – parce qu’il ne rapporte pas assez -, le groupe disparaît à l’été 68. Une partie choisit alors de faire du bal dans une tournée des clubs de la Côte d’Azur. On peut y voir une forme de renoncement sous le soleil. L’acceptation implicite d’un sort où la réussite ne semble pas durable? Résignation d’autant plus désolante que les corso-marseillais étaient du niveau d’un Ronnie Bird, au style très proche, mais qui, en parisien, continua plus longtemps sa carrière chez Decca puis Mercury.

En 1966, la salle Vallier ouvre ses portes dans le quartier moins central des Cinq Avenues. Elle devient un incontournable des concerts d’envergure qui passent par Marseille. Les Stones s’y produisent. Les Why Not jouent en première partie des deux sets. Les musiciens sont fascinés par leurs idoles. Adeptes de British Rock, Why Not ont leur public qui les suit. Comme au Gymnase où ils jouent avec Antoine et les Problèmes, star du label Vogue. Avec un vrai son et un style maîtrisé, ils montent à la capitale pour gagner un tremplin du Golf Drouot en Octobre 1969. Pour autant ce succès n’assure pas un avenir aux musiciens qui bénéficient d’articles élogieux dans Rock & Folk. Le contrat avec les disques Pathé n’aboutit pas et Why Not jette l’éponge.

Ces situations peu compréhensibles marquent (et clôturent) l’histoire de la scène marseillaise des années 60. Il en sera de même la décennie suivante. Craint-on toujours la ville? Ses artistes ne sont pas les priorités des labels parisiens et la société de management locale ORDA (Office de Réalisation et de Diffusion Artistique) ne s’investira jamais en tant que maison de disques. L’heure n’est pas encore à la décentralisation en ce domaine.

Psychédélisme, progressif virtuose, alternatif et déferlante Hard : les seventies marseillaises .

Dans les années 70, le rock mute encore et beaucoup. A Marseille, les musiciens accueillent toutes les tendances. Parmi les formations aux durées de vie variables (de une à six années), aucune ne réussit à percer au delà des limites d’un périmètre réduit ou d’un seuil de notoriété. Il faut cependant considérer que la France des années 70 n’a pas de véritable public rock. Nous ne sommes pas l’Angleterre et il n’existe pas de salles spécialisées ni de réseaux (les MJC prendront bientôt le relais). La variété domine et Danièle Gilbert reste à l’antenne tous les midis.

Dans les seventies, les guitar heroes ont frappé les imaginations. Le modèle du Jimi Hendrix Experience impressionne, comme celui de Cream avec Clapton. Marseille compte alors plusieurs groupes réunis sous la forme de trios blues électrique. Experience (1968-1971) ne cache pas son influence hendrixienne. L’oiseau Nelson (1970-1975) suit la même voie tout en s’inspirant de Zappa et Soft Machine. Caronna Machination (1974-1980) du nom de son guitariste fondateur, se produit partout en France et collabore avec Didier Lockwood. Le public change et on joue désormais dans les facultés, à Luminy, ainsi que dans les espaces culturels de la région comme le tout récent Théâtre de l’Olivier à Istres. La musique rock, plébiscitée par le milieu étudiant, s’immisce dans les programmations dites sérieuses.

C’est aussi l’époque où un nouveau matériel arrive sur le marché. On lorgne sans pouvoir toujours se les offrir, les collections de guitares importées chez Scotto Musique et Gaffarel ou Concone. Les magasins sont devenus des lieux de rencontre pour rockers désargentés. Mais la profusion d’équipements inspire. Les manières de jouer se modifient, comme se développe la virtuosité des plus doués. Alain Caronna se rappelle: «Tout le monde se tirait la bourre, tout le monde se critiquait, il fallait-être costaud. On appelait ça des taillades. Mais tout ça te faisait progresser» (Caronna Machination, p120, Histoire du Rock à Marseille, Robert Rossi). Caronna Machination sera repéré par Best (rival de Rock&Folk). Les marseillais jouent au Golf Drouot, en quête du Graal? Ils en reviendront. Au dessus de l’hôtel Bristol, sur la Canebière, Caronna organise le Délirium Circus, référence directe au Rock’n’Roll Circus. La vie musicale est intense, calquée sur les festivals et concerts légendaires.

Barricade (1969-1974) est une des formations les plus étonnantes de cette décennie du Rock On Mars. Menée par François Billard, saxophoniste, elle propose une musique alternative entre Magma et John Mayall, Pink Fairies ou Hawkwind. Anti-conformiste, Billard se moque du système et croit en une autre voie. Né en 1948, il commence très jeune (1964-65) à se produire dans des clubs marseillais. On l’entend au Soupirail, en 1968, où dans un style protest singer, il s’accompagne à la guitare et à l’harmonica. Barricade est formé un an plus tard, après que Billard ait parcouru l’Europe où il joue avec Mayall, Zappa, Soft Machine et découvre Ten Years After, Pink Floyd et Yes. Engagée, revendicative, l’expérience de Barricade tranche. Le groupe devient le protégé du magazine Actuel, vecteur de culture underground, auquel il paraît le Captain Beefheart européen. Ses membres vivent en communauté et sont régulièrement entourés de ce qu’on nomme alors «les zonards». Actuel écrit en Juin 1972: «Barricade représente un autre pôle: celui des freaks et des marginaux[…]Ils sont underground à la puissance 10, puisqu’ils sont provinciaux – Il aura fallu presque deux ans pour mettre quelques visages derrière ce nom évocateur[…]. Ça mettra le temps qu’il faudra mais on entendra reparler d’eux».

Sauf que Barricade se saborde en 1974, à la veille de signer un premier contrat et transforme ses productions en autodafé. Au début des années 2000, la réédition Cd de Le Rire des Camisoles (2005, Futura Red) permettra de ré-entendre les frasques sonores de ce groupe porteur d’utopies et artistiquement hors du commun.

Dans la deuxième moitié des années 70, on assiste dans tout l’Hexagone à l’explosion d’un genre qui domine cette période. Le Hard Rock passionne une génération de musiciens. Si depuis Paris on sacre par la voie des ondes la lourdeur de Trust, Marseille, qui pourtant s’éreinte, produit des groupes sans réelle diffusion nationale. Très conformes aux codes du genre, ils ne proposent rien qui fasse date. Tous dureront jusqu’au milieu des années 80 – échéance en cohérence avec l’effondrement de la domination hard. Parmi les dizaines de formations, Silver Skull, (1976-1984), est un quatuor qui réunit des fans de Led Zep et de Black Sabbath. Ses musiciens ont tous des day jobs qu’ils ne pourront jamais quitter. En 1981, le groupe qui s’est peu éloigné de sa ville, enregistre un 45 tours pour RGR -Records. Les musiciens s’en déclarent déçus. Ils décident de cesser toute activité et ne se reformeront jamais.

A Marseille, les bars rock ont changé d’adresses et ceux qui réunissent les amateurs du style Hard sont Le Gari, La Taverne ou Les Templiers. C’est là que se rencontrent et se rassemblent les membres de Lawlessness. De plus grande envergure que Silver Kult, ils signent un contrat de trois ans avec RCA. Un 45 tours est produit en 1982, suivi d’un album, On the Run, (1983). Les influences du Rock sudiste (ZZ Top) se font sentir et Lawlessness, stratégiquement, embauche une chanteuse. Son 45 tours est choisi pour la bande son du film Invitation au voyage avec l’acteur Laurent Malet. L’album est enregistré au studio Davout, Porte de Montreuil, ce qui peut paraître comme un pas vers la professionnalisation. Mais la tournée qui suit est interrompue faute de production et de soutien. En 1984, l’aventure stoppe.

À Marseille le genre hard est effacé par les tendances suivantes. Cependant dans quelques cas précis il prend une forme singulière, imaginée par de fortes personnalités issues de ce style musical.

Quartiers Nord.

Fondé en Novembre 1977 par Robert Rossi, Quartiers Nord pourrait bien être ainsi le seul et unique groupe rock spécifiquement marseillais. Né des précédentes expériences de ses musiciens grandis dans les cités des Arnavaux, Quartiers Nord – toujours en activité- mêle hard et une tendance locale déjantée et forte en gueule. Dans ce mélange de genres, on perçoit l’apport de deux formations pittoresques. Celui d’Albert et sa fanfare poliorcétique ( 1971-1972)  – LP  La malédiction des rockers ( Riviera, 1972) – dont émergea un certain Jo Corbeau. Puis celui de John Eddy Milton et les Parcmètres (1975-1981) devenus Les Serpillières Venimeuses (1984-1985). Ces loufoques qu’on pourrait comparer à Au bonheur des dames, eurent l’idée de mêler Rock, parler local et aventures spécifiquement marseillaises. Les délires et la satire sociale de ces moqueurs très second degré, inspirèrent certainement les hard rockers de Quartiers Nord. La touche marseillaise avait donné de la voix et les garçons des Arnavaux voulurent à leur tour signaler d’où ils venaient et qui ils étaient. Un journaliste du Provençal écrit au début des années 90: «Des phénomènes comme le groupe Quartiers Nord, le théâtre (Espace Odéon) n’a pas dû en voir souvent. Les musiciens marseillais ont enflammé la Canebière. Leur secret? Un petit tiers de rock, un bon tiers d’accent, un gros tiers de charisme et un grand tiers de folie imparable.» Article cité par Rossi lui-même. CQFD.

Quartiers Nord a publié 16 albums dont le tout premier, en 1980, fût édité par un label vauclusien de musique traditionnelle provençale. Les plus remarquables sont Fous mais pas fadas (1991), A l’Est de l’Estaque (1997), 2001 L’Odyssée de l’Estaque (2000), Fainéant&Gourmand (2014) – titre d’un poème du Félibre marseillais Clovis Hugues (1851-1907). Robert Rossi, leader du groupe, est également auteur de polars.

Post-Punk et New -Wave. Les années 80 et 90.

 De début 80 à fin 90, les groupes essentiels de la scène marseillaise sont  Leda Atomica (1979-1995), Warrior Kids (formé en 1982) et Martin-Dupont (1982-1987). Les premiers jouent un post-punk synthétique et alternatif. Ils créeront le label éponyme LAM. Warrior Kids est d’abord un trio Post-Punk et Oï ! influencé par Sex Pistols, Damned ou The Clash. A ses débuts, le trio fédère un public Skin – mouvement alors à la mode – dont il ne partage pas les valeurs. Sa musique est également orientée vers reggae et ska, Stiff Little Fingers ayant laissé des traces dans l’esprit des musiciens. Plus sophistiqués, les Martin-Dupont jouent une new-wave où dominent les claviers (dont le Yamaha DX7, nouveauté technique du début 80). Autour d’Alain Seghir ,on remarque la présence de trois instrumentistes féminines. Typiquement new wave, Martin-Dupont a ouvert pour The Lotus Eaters, Siouxie and the Banshees et Lounge Lizards. Signés chez Minimal Wave,  ses titres ont été repris jusque récemment par Madlib et Tricky qui samplent  »Just Because ». En 2014, c’est le rapper Théophilus London qui reprend  » Take a look ». Ils ont publié quatre albums de 1984 à 1987 chez Facteur d’Ambiance. Deux rééditions sont diffusées par Minimal Wave, dont un coffret quatre CD en 2009.

Pour faire bonne mesure, il faut rajouter Wild Child (1975-1985) et Sepher (1978-1995) à ce triumvirat. Entre MC5 et Stooges, Wild Child sort trois LP chez New Rose. Dans Rock&Folk, Philippe Manoeuvre classe Speed Life O’Speed (1982) parmi les disques essentiels du rock français. Sepher est proto-punk. «Les Stooges de Marseille» dixit (encore) Manoeuvre – preuve que Paris n’est pas sourd. Le groupe bénéficie de plusieurs passages télévisés. Il sort 3 albums.

Un Entretien à Endoume.

Après plus de vingt ans d’une scène vivace, on pourrait s’étonner qu’aussi peu de groupes originaires de Marseille aient réussi à se faire entendre hors de leurs terres? Pour parler de ces deux décennies un de ses acteurs directs, Serge Scotto, musicien avant qu’il ne devienne romancier et scénariste de BD,  me confie son point de vue sur une scène dans laquelle il fût très impliqué.

«Les années 90, ça a été un vivier, il y avait plus de 200 groupes de rock à Marseille, c’était hyper créatif. Mais l’ensemble souffrait d’une mésestime du public local, qui a paradoxalement toujours été très snob vis-à-vis de ses propres groupes. Alors qu’il bandait sur tout ce qui venait d’ailleurs, de Toulouse, de Rennes ou de Bordeaux. C’était au final un milieu assez fermé où les groupes amis faisaient souvent tout le public des concerts, et les groupes se satisfaisaient malheureusement de cette gloire de quartier et de ses enthousiasmes amicaux.»

Quand on le questionne sur ces gloires si relatives qui semblent récurrentes ici, Scotto paraît un peu désabusé:

« Tu n’es reconnu à Marseille que lorsque tu as conquis Paris. Alors là d’un coup tu te dois de devenir l’ambassadeur de ta ville, soudain très fière de toi. Alors que tout aura été savamment organisé sur place pour qu’en amont tu y galères le plus possible. Il y avait beaucoup de jalousie, de mesquinerie et la bonne volonté se noyait avec le talent dans le pastis, surtout que les moyens étaient limités: peu d’aides, peu de salles, longtemps hermétiques au rock, qui a été à la mode à Marseille de 1990 à 1991, le temps que le rap l’emporte sur tout le reste, avec une débauche institutionnelle frénétique pour le supporter. Une fois que t’avais eu quelques articles dans la presse locale et dans TAK-TIK, le journal culturel presque alternatif (car il a été rapidement dans les petits papiers sinon dans les mains de l’adjoint à la culture et des institutions qui contribuaient à son financement), c’était fini. »

Je m’étonne qu’une si grande ville et ses médias n’aient pas davantage accompagné l’ébullition décrite. Scotto précise :

 « TAK-TIK a contribué à l’essor de la scène rock. Mais après un passage à FR3 et un sur M6 Marseille, c’était fini. Tu croupissais dans ton local et de concert pourri en concert naze: il n’y avait pas le Web pour se distinguer, les maquettes coûtaient cher et produire un CD dans les 80 – 90 était souvent un rêve inaccessible. »

Je pose une question directe : Serge, tu étais impliqué comme musicien avec ton propre groupe et en tant qu’organisateur de concerts. Comment vivais-tu cet engagement?

«Nous les Steaks, on faisait partie des rares groupes qui voulions que ça bouge. A part jouer (nous avons aussi tourné en Italie), j’ai produit plus de 200 concerts. Essentiellement du rock et du punk, de 1987 à 92. Toute la scène alternative nationale est passée pour la première fois à Marseille par mon entremise : Gogol 1er, Les Thugs, Parabellum, Les Shifters, La Souris Déglinguée, Pigalle, Garçons Bouchers, etc. Il y avait nous, pour les français et Roxane Productions pour le rock anglais, deux copains. En gros c’est tout ce qu’il y avait à l’époque.»

Je continue: Est ce que tu veux dire qu’il n’existait pas de structure professionnelle capable d’organiser tout ça, avec de vrais moyens ?

Scotto acquiesce: «Dans cette ville le rock n’intéressait pas encore les institutions, on faisait tout à la démerde, souvent sans la moindre autorisation et c’était juste un coup à perdre du fric, en plus, car même si le public venait, il se serait senti déshonoré de payer et tout le monde avait une raison de rentrer gratoche, et de piller le bar comme des gabians !» ( rires – les  »gabians » sont le nom  donné aux mouettes.) «T’étais aidé par personne, finalement, ni par les institutions, mais ça je m’en fous, j’estime qu’on doit se passer d’eux. Tu peux pas lever le poing d’une main en criant « je suis un rebelle » et tendre l’autre main pour prendre les sous, si t’es un rocker… Si t’es un rappeur, tu peux ha ha !! Et donc on n’était pas aidés non plus par notre public de « potes » qui n’étaient qu’un ramassis de gratteurs.»

Le « ramassis de gratteurs » se reconnaîtra ou non, et je précise qu’il n’est sans doute pas l’apanage de Marseille seulement.

«On a eu un « Monsieur Rock », tout de même, sur le modèle de Lyon. Un escroc sympathique nommé par la mairie qui n’a jamais servi à rien d’autre qu’à remplir ses poches.»

Scotto sourit: «Malgré tout, il y avait une belle communauté rock, il y a eu quelques initiatives de diverses parts assez intéressantes, mais rien n’a jamais rien donné dans cette ville et le rock non plus. C’est un développement un peu subjectif, mais pour étayer ce que tu peux découvrir en prospectant pour Is There Rock on Mars, c’est pas inutile de comprendre tout ça. Pour deux décennies, en tous cas, les choses étaient ainsi. J’en suis témoin .»

Après l’aventure des Steaks , duo ou trio Punk dont il était batteur, Serge Scotto a formé Les Grands Couturiers davantage imprégnés de musicalité. Les Steaks ont sorti un 45 tours en 1992 chez Leda Atomica Musiques. Les Grands Couturiers un album sur le même label en 1995, intitulé Messieurs d’âme.

Deuxième millénaire. Is there Rock on Mars ?

État des lieux.

Marseille aujourd’hui est–elle toujours frappée par cette malédiction des rockers chantée en 1971 par Albert et sa fanfare poliorcétique? Qu’en est-il de ses salles et lieux? Je rencontre Axel (alias Looping Murdock) des Loving Dead, trio post-punk actif depuis une petite dizaine d’années et il m’en dresse un état:

«Pour les grandes salles tu as Le Dôme, Le Silo, l’Espace Julien (d’une plus petite jauge). Le Moulin où il y a très peu de concerts, repris par une nouvelle équipe. Les Docks des Suds font des trucs costauds, comme la Friche Belle de Mai et Le Cabaret Aléatoire qui en fait peu, mais parfois assez gros. L’Affranchie programme du Rap/RnB. Les salles pour le rock indé, c’est Le Poste à Galène, mais la prog vient de changer brusquement. Un changement  »d’équipe d’artistique » qui pense sans doute à autre chose… Du coup Le Molotov a récupéré la majorité de la prog du Poste à Galène. Mais le lieu est plus petit et moins chaleureux – esprit de clan. La Machine à Coudre reste mythique, et c’est l’endroit le plus ancien. Comme La Maison Hantée où il y a peu de concerts mais qui est le très haut lieu du rock à Marseille. En beaucoup plus petit, tu connais Lollipop Music Store. Ils font des show-cases le vendredi soir uniquement, et c’est un des meilleurs disquaires. La Salle Gueule, c’est tenu par le même mec que le Molotov. Donc même ambiance mais encore plus petit, dans une cave. Je dirais encore L’Embobineuse et Le Jam (anciennement le Lounge devenu club de jazz). Par contre il y en a plein qui ont disparu. Je me souviens du Dan Racing (c’est là que beaucoup de choses ont commencé pour les jeunes groupes). Le patron, Dan, faisait jouer tout le monde sans demander de démo. Le Lounge a fermé d’un coup d’un seul, à cause de l’insistance de la Préfecture et des contrôles de police. Trop d’activités sûrement ? Le Muzikomania (idem que pour le Lounge, le patron a repris le Jas Rod). Le Paradox c’est fini aussi et des tonnes d’autres, mais j’ai la mémoire qui flanche et je suis encore trop jeune pour tous les connaître! Par contre, via le net tu as deux pages FB qui sont super utiles. C’est « Le vortex / agenda concerts souterrains Marseille » et « Marseille alive » qui donnent une programmation quotidienne ou hebdomadaire très complète!»

Label ?

À la fin des années 80 jusqu’au début des années 2000, le label Disagree Records s’installait à Marseille. Fruit du travail passionné de Stéph Momo-Disagree, né dans la ville. Spécialisé dans la scène Punk/Oi & HxC, le label a signé et diffusé avec enthousiasme des dizaines de groupes. Locaux ou non. Un relais après les efforts de Leda Atomica Musique. Sur le FB du label, Momo-Disagree est pourtant amer et, quand on le contacte, il ne tient plus vraiment à parler de cette expérience. Voici ce qu’il publie quand il décrit la fin récente du label à l’issue de ce qui devait être une fête pour ses 25 ans d’activité. Extraits: «Quand tu organises une date « spéciale » pour fêter l’événement, tu t’attends à un w.e festif avec tes potes, le public de la scène dans laquelle tu traînes depuis tes 14 ans. Tu espères voir des jeunes et des moins jeunes, bref tu t’attends à voir du monde. Et bien à Marseille, ma ville, là où je suis né et grandi, là où j’ai commencé à traîner dans les concerts, les bars, il faut croire que cela ne se passe pas comme ailleurs […] Vingt cinq ans d’orgas pour en arriver là, dans ma ville, dans ma scène!!! Un vrai constat d’échec… Je ne dirai rien sur ce public que je pensais voir à ces deux concerts, ni tous ces groupes marseillais ou régionaux qui venaient pleurer ou qui viennent pleurer pour faire une 1ère partie, mais que l’on ne voit jamais aux concerts des autres. Non pas la peine, ils ne le méritent pas puis je n’ai pas envie de polémiquer […] Nous avons la scène que nous méritons. C’est-à-dire pas grand-chose […] Heureusement que de temps en temps des groupes, des labels ou des organisations de concerts sortent du lot. Mais à quel prix ? […]

Stéph aka Momo Disagree. « Nul n’est prophète en son pays » .

Voilà qui en dit long et rejoint l’entretien précédent. Marseille malédiction? Le catalogue Disagree demeure. Il est au delà de l’amertume de cet échec.

Groupes ?

Internet a facilité la vie des groupes. Les musiciens marseillais en bénéficient, comme ailleurs. Les relations se font plus vite – si elles ne durent plus longtemps – et les lieux se contactent plus facilement. Mais à quoi ressemble la scène marseillaise actuelle? Stylistiquement éclatée, il n’est pas acquis qu’on s’y fréquente mieux.

Xavier Mts de Picnic Republic apporte quelques éléments :

«La scène Rock Marseillaise est un tout petit microcosme associatif qui rassemble une trentaine de groupes et quelques centaines de passionnés: tout le monde se connaît, les musiciens viennent s’écouter, sortent voir les mêmes concerts et collaborent musicalement dans une ambiance « village » […] On ne peut pas parler de la scène locale sans évoquer les associations qui l’animent comme Phocea Rock qui organise chaque année sa rue du Rock ou Aix-en-Provock, toute nouvelle association aixoise qui après avoir organisé une dizaine de concerts en un an sur Aix (lieu réputé moribond pour la scène Rock) vient d’organiser son tout premier festival rock aixois autour d’une quinzaine de groupes locaux et nationaux. En ce moment, la scène indie-pop varoise semble très dynamique autour du label Toolong records et d’artistes comme LuneApache ou Twin Apple.»

Il faudrait donc compter sur les ressources et initiatives des villes voisines? Qu’en penser pour la deuxième ville de France qui, si on a bien lu, n’a finalement qu’une trentaine de groupes en lisse? Un déclin? Citons parmi eux Doc Vinegar, Pleasures et Hey Ginger! ( tous copains) dans un même registre néo pop. On retient aussi Splash Macadam, aux influences psyché et Oh Tiger Mountain! peut-être les plus professionnels, au leader (Mathieu Poulain) à l’obsession Lee Hazlewoodienne envahissante. La formation à géométrie variable a sorti chez Emergence, Altered Man (2017), son troisième LP.

Interview, Looping Murdock, The Loving Dead ( Marseille, Mai 2018)

Dark Globe : Depuis quelques années tu es le leader des Loving Dead. Est-ce qu’il y a des groupes locaux qui t’ont donné envie de former un groupe post punk ?

Looping Murdock: Loving Dead existe depuis six ans, construit sur les cendres d’un groupe punk/hard-rock qui s’appelait Stuff. J’étais guitariste et co-auteur/compositeur et on s’était lancé en 2004. Quand le chanteur de Stuff est parti, j’ai pris sa place et on a décidé de changer de nom. Notre musique a pris un côté plus cold wave qui correspondait à ma voix et à nos envies. Pas forcément par influence de groupes locaux parce que des formations qui mélangent le punk des Ramones et la cold de Joy Division, on en connaît pas beaucoup ici. Ça nous a permis d’être originaux.

DG : Est-il facile aujourd’hui de trouver des locaux de répétition, des studios qui accompagnent ton genre musical ?

LM: A Marseille oui, même s’ils sont plus ou moins bien tenus. Tu as plusieurs possibilités, soit de louer des locaux au mois, à l’année où tu entreposes ton matos, soit de profiter de locaux équipés que tu peux louer à l’heure. On a repris notre liberté il n’y a pas très longtemps. On a eu une très mauvaise dernière expérience de partage de local, du coup on s’est affranchis de tout ça.

DG: Comment fonctionne la relation aux salles locales pour une formation comme Loving Dead ?

LM: Pour une grande ville comme Marseille, il y a peu d’endroits où tu peux jouer. Mais il y a quand même de plus en plus d’initiatives sympas, notamment grâce à  Phocea Rock qui organise pas mal de choses et notamment « Rue du Rock », le plus gros festoch au sens large depuis quelques années. Il essayent de faire jouer un maximum de groupes différents pour avoir la programmation la plus éclectique et complète possible. En ce qui concerne les salles, c’est peut être un peu plus dur de se rencarder si tu ne fais pas partie de leur entourage. C’est rare que les programmateurs viennent te chercher. Il faut souvent faire le forcing pour essayer d’accrocher une date. C’est  dommage, t’as l’impression que c’est un peu toujours les même groupes, qui sont potes entre eux, qui tournent et font les premières parties. Alors qu’il y a tellement de groupes différents disponibles !

DG: Est-ce que tu as des endroits que tu préfères, pour jouer ou écouter de la musique en ce moment ?

LM: Pour moi, la scène mythique c’est la Maison Hantée. J’y ai joué une fois et c’est une grande fierté ! Je traîne souvent là bas et il y a toujours une bonne ambiance. Yann, le proprio est une institution et il est respecté. Après on adore aussi jouer à Lollipop. Ils font la promotion de tous les groupes du coin sans distinction et puis jouer au milieu de vinyles, c’est pas mal. On a été fiers de jouer au Poste à Galène aussi, qui a accueilli beaucoup de grands groupes. C’était une étape incontournable à l’époque.

DG: Quelles sont les relations entre les groupes ? Vous vous fréquentez ou est-ce une ignorance réciproque ?

LM: J’ai souvent été déçu par ceux qui ne cherchent que leur propre intérêt. Attention, nous aussi on cherche à se faire connaître et à sortir du lot, mais si tout le monde fait ça dans son coin, je suis pas convaincu qu’au final ça soit bénéfique. A chaque fois qu’on monte une affiche, on trouve un groupe qui correspond à notre univers et qui veut bien jouer avec nous. On se moque de savoir qui ils sont et d’où ils viennent. Certains jouent le jeu et font de même, beaucoup d’autres ne le font pas. Tu apprends vite à les oublier. Nous, on est assez solitaires et on s’est toujours débrouillés par nous mêmes, c’est un peu cette histoire de clan dont je parlais. Sauf que nous, on en a jamais vraiment fait partie. Mais globalement, les groupes ne s’entraident pas et marchent chacun de leur côté, ce qui est dommage à mon sens.

DG: As tu l’impression que le public marseillais est intéressé par la scène rock locale? Est-ce que tu crois qu’il existe dans cette ville un accueil pour le rock ou bien qu’elle s’en fiche, comme le dit Serge Scotto?

LM: Les marseillais ne sont pas curieux. On s’en est rendu compte en allant jouer à l’extérieur. Sans même aller très loin, à Montpellier, tu remplis toujours les bars, même si tu es inconnu là bas. A Marseille, t’as même parfois du mal à faire venir tes propres potes! Je sais pas à quoi c’est dû… La peur d’être enfermé dans une salle? De perdre 5 euros pour aller voir un groupe qui au final ne t’a pas convaincu? Je dis pas d’aller voir des concerts tous les week-ends, c’est impossible de tenir le rythme. Mais dans une ville comme Marseille, avec un nombre d’habitants assez élevé, c’est étonnant si peu de monde dans les salles. Je me souviens d’être allé voir Paul McCartney au Stade Vélodrome et bien même là, le stade n’était qu’à moitié rempli. Alors même si un Beatles n’arrive pas à faire bouger Marseille…Tu veux faire comment toi ? Après tu peux voir le verre à moitié plein où à moitié vide. Si tu es musiciens dans un petit patelin, ça doit être encore plus dur. À Marseille il reste des opportunités, même si c’est vrai que ça pourrait être mieux.

DG: Si demain ( ou après-demain), tu t’arrêtes: as-tu des regrets? La malédiction de Marseille, tu y crois? Celle du rocker maudit depuis Rocky Volcano?

LM: I’ll never give up ! Tu sais, j’ai toujours fait les choses par moi-même et pour moi-même. Quand tu écris une chanson, tu le fais parce que tu ressens le besoin d’exprimer quelque chose. Si ça plaît, tant mieux, mais si ça ne plaît pas, tu le fais quand même parce que c’est nécessaire. Bien sûr que j’aimerais jouer devant 10 000 personnes tous les week-ends, mais je trouve aussi la reconnaissance devant le seul mec qui vient me voir et qui viendra me dire après le concert que ça lui a plu. Alors non, je n’aurai pas de regrets parce que j’ai réalisé beaucoup de mes rêves de gosses, écrire des chansons, les enregistrer en studio, les jouer sur scène. J’aurai des trucs à raconter quand je serai vieux.

DG: Tu n’es pas encore vieux ! Une dernière chose : Is There Rock On Mars?

LM: (Rires) D’après-toi ?

Nîmes-Marseille-Nîmes. Mai/Juillet 2018.

Merci à Serge Scotto, Axel Bremond, Picnic Republic, ainsi qu’à DarkGlobe.fr

2 comments
  1. Jean-Jacques Cornellier, bibliothècaire

    Bonjour,
    La bibliothèque de l’Alcazar organise une exposition sur le rock à Marseille des années 60 à 80, du 8 octobre au 31 décembre 2022, dont le commissaire est Robert ROSSI.
    Très intéressé par votre article, nous permettez- vous d’en utiliser une partie sous forme de cartel pour illustrer une carte des lieux du rock?
    En vous remerciant par avance

    Tel: 06 64 22 92 31

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