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Insight

Jobriath : le rêve glam du troisième sexe

David Bowie et son alter ego des années 1970, Ziggy Stardust, en auront fait tourner des têtes ! Musicalement, bien sûr, avec ce rock dur teinté d’émotivité adolescente et piqué à T-Rex, que l’on appelle désormais glam, mais également socialement.

Sa déclaration « Je suis gay et je l’ai toujours été », en janvier 1972 dans le Melody Maker, a allumé un feu que se sont empressés d’attiser tous les acteurs de ce qu’on a appelé plus tard « la contre-culture », et qui était à l’époque regroupée dans quelques quartiers sordides de New York ou de Londres.

Au premier rang de ceux-ci, Bruce Wayne Campbell, un petit gars de Pennsylvanie, autant dire l’Amérique profonde. Peu considéré par sa famille le jeune homme ne vit son homosexualité qu’en se prostituant sous l’écrasant soleil californien, terre de son exil.

Il tente l’aventure musicale dans son bled de naissance, King Of Prussia. Rien que le nom… Il forme un trio folk, mais sans succès. Direction le grand Ouest donc, où il arrive à intégrer la troupe de la comédie musicale « Hair ». Il tient le rôle d’un personnage aux attitudes ouvertement gays mais se fait rapidement virer pour avoir pris trop de place sur scène.

Malheureusement, la police militaire lui tombe dessus au même moment. Quelques mois plus tôt, Bruce a déserté. Se faisant appeler Jobriath Salisbury, il arrive à brouiller les pistes un temps. Mais son passé le rattrape et il est interné dans un hôpital psychiatrique militaire après avoir craqué moralement.

Il prend cet enfermement comme une chance de se recentrer sur sa musique. Il enregistre quelques démos qui atterrissent sur les bureaux des producteurs du moment. Clive Davis, de Columbia, en reçoit une et la laisse trainer dédaigneusement dans les mains d’un de ses amis, Jerry Brandt.

Brandt a été le pygmalion de Sam Cooke et Chubby Checker. Il sait donc reconnaître les talents. Il voit en Jobriath, non seulement un musicien talentueux mais surtout un objet marketing intéressant en ces temps où la musique et l’homosexualité sont étroitement liés. Merci Ziggy ! Peut-être sa poule aux œufs d’or ? Quand les deux hommes se rencontrent à Los Angeles, c’est le coup de foudre. Jobriath, tout de blanc vêtu, apparaît comme un ange gay à Brandt qui l’emmène avec lui à New York.

Un contrat record de 500 000 dollars est signé avec Elektra et Brandt ne lésine pas sur la promotion. Des affiches géantes sur Time Square, des publicités dans tous les magazines à la mode et des interviews grandiloquentes deviennent le quotidien de Jobriath. Brandt voit les choses en grand, il prévoie même une tournée mondiale et une mise en scène qui va choquer : « Jobriath sera déguisé en King Kong et balayé par les projecteurs pendant qu’il s’accrochera au sommet d’un mini-Empire State Building. Puis, il sera arrosé par des jets venant d’un pénis géant. Jets qui le transformeront en Marlène Dietrich. » décrit-il.

La tournée n’aura pas lieu mais un premier album, éponyme, sort bien en juin 1973, un an pile après le « Rise and Fall of Ziggy Stradut and the Spiders from Mars » de David Bowie. Musicalement, c’est aussi grossier que les idées de mise en scène. Des textes lascifs et équivoques (« Take Me I’m Yours », « Movie Queen » ou « Morning Starship ») qui jouent sur l’image d’un gay extraterrestre, des orchestrations pompeuses, voulues par l’artiste et mises en vie par Eddie Kramer (Jimi Hendrix, Kiss) et des grosses guitares bien saturées jouées, en partie, par Peter Frampton.

La critique n’est pas dithyrambique mais pas néfaste non plus. De son côté, Brandt poursuit dans sa mégalomanie et annonce que Jobriath va être le premier rockeur à marcher sur la lune. Ce dernier se défini dans les médias comme « the true fairy of rock’n’roll », qu’on pourrait traduit par « la vraie tapette du rock’n’roll ». Sans équivoque sur les intentions.

Mais la hype ne dure qu’un moment. Même Bowie l’a compris, lui qui suicide son double androgyne sur scène un soir de concert à l’Hammersmith en juillet 1973, un mois après la sortie de l’album de Jobriath. Le timing, mais surtout le message et l’image reflétés, ne sont plus les bons. Un deuxième album voit le jour mais Elektra n’y croit pas vraiment. Aucune promotion n’est faite et la tournée qui suit se termine sans le financement de la maison de disque.

Jobriath, lucide, annonce son retrait du monde de la musique. Il va tenter une carrière dans le cinéma. Malheureusement pour lui, il ne va vivre que des désillusions, le forçant à revenir à ses premières amours et à ses premières dérives. Il se crée un personnage de chanteur de cabaret sous le pseudonyme de Cole Berlin et se livre une nouvelle fois à la prostitution pour payer son triplex en forme de pyramide sur les toits du fameux Chelsea Hotel, repère des artistes maudits et drogués. Sa consommation abusive de substances interdites le met sur la paille et abîme sa santé. Au début des années 1980, il apprend qu’il a contracté le virus du Sida. A cette époque, c’est la mort assurée. Elle survient le 3 août 1983, dans sa chambre du Chelsea, alors qu’il se produisait encore dans un cabaret quelques jours plus tôt.

Marc Almond, ex-chanteur de Soft Cell et admirateur de la première heure de Jobriath, a décrit parfaitement dans les colonnes de The Independant la trajectoire de cet artiste détonnant, mis en avant comme un étendard gay à une époque où le mutisme sur le sujet était de mise : « Pour moi, par-dessus tout, il fut un héros sexuel : la première pop star gay […] Le succès et la chute de Ziggy Stardust chantés par David Bowie, il les a vécus en vrai. De par la dérision et la marginalisation auxquelles il fait face, Jobriath a touché la vie de chacun de nous. Il a touché la mienne. »

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