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Disques

Ricky Eat Acid / Three Love Songs

Ricky Eat AcidIl y a un peu plus d’un an, nous avions retrouvé Ricky Eat Acid, aka Sam Ray, jeune musicien du Maryland, en pleine remontée toxique en compagnie de son pote Arrange pour un EP crépusculaire intitulé Sketches. Les quatre titres de cette collaboration avançaient lentement mais inexorablement vers une dépression mélodique et enivrante comme un poison amer. En comparaison, Three Love Songs, l’album solo de Ricky Eat Acid et (déjà) sorti début Janvier sur le label Orchid Tapes, s’aventure sur des sentiers encore moins balisés en retenant longuement sa respiration, se privant d’oxygène pour conserver autant que peu un état hypnagogique, préférant les éclairages brumeux aux trop lumineux et brûlants rayons de soleil, la fugacité floue et parfois mystique des sens à l’évidence crue et concrète du réel.

Le titre de l’album, Three Love Songs, est peut-être une première clé pour appréhender cette musique électronique, énigmatique car intuitive et sensorielle, volontiers qualifiée d’ambient, souvent peu vertébrée avec ses instrumentaux évanescents, facilement assoupis, ses titres de chansons à rallonge d’une poésie imagée. Il faudra donc considérer le nom Three Love Songs non pas comme une simple énumération (il y a douze pistes sur l’album) mais comme une évolution musicale en trois mouvements autant stylistiques que symboliques, dans lesquels la contamination permanente et mutuelle du sacré (la musique décline à intervalles réguliers des figures religieuses évidentes que ce soit en forme d’arrangements vocaux, d’ambiances sonores sur « I Can Hear The Heart Breaking As One », de références à Dieu et de jeux constants sur le visible et l’invisible dans les titres, d’extraits de prêches noyés puis soulevés dans le mix du souffle sonore sur « In Rural Virginia; Watching Glowing Lights Crawl From The Dark Corners Of The Room ») travaille le profane. Ce dernier est ici matérialisé par la matière synthétique des compositions. Cet assemblage dessine un environnement complexe et songeur, poussant les portes grandes ouvertes pour l’interprétation, semblant traduire, lire allégoriquement et musicalement le concept d’existence.

Dans cette perspective, la création est d’abord ordonnée par une voix masculine, solennelle aux résonances à nouveau et évidemment biblique tant par son phrasé littéraire et définitif que le titre évocateur de ce premier morceau (« There Is Only You In The Light & Nothing Else »). Le chaos s’incarne alors dans deux motifs récurrents durant toute la première partie du disque : des séries disparates de notes de musique comme autant de micro-organismes à l’existence éphémère s’agitant sous un microscope et un souffle de bruit carnassier. Ce temps s’achèvera avec les prêches d’un pasteur pour amener à la rupture enfin mélodique du tranquille « Inside Your House; It Will Swallow Us Too ». Une étape en guise de marche-pied pour traverser une atmosphère calmement chillwave (« It Will Draw Me Over To It Like It Always Does ») jusqu’à arriver au paroxystique et inattendu dance flooresque « In My Dreams We’re Almost Touching » en tourbillons hypnotiques et construit, ironique dans cette logique de l’évolution, sur le sample d’une reprise du « Take Care » de Drake. Après ce point d’orgue commencera donc une douce déliquescence parfois schizophrénique entre frissonnements dansants et romantisme mélancolique (« Outside Your House; The Lights Went Out & There Was Nothing ») jusqu’à l’élégiaque et pourtant optimiste et salvateur « I Can Hear The Heart Breaking As One » avec sa simple et émouvante mélodie au piano. Enfin, « Starting Over », le bien nommé, conclue le disque en reprenant cette dispersion des notes de musique, annonçant un retour vers le début de l’album, réinstallant ce thème de la désorganisation comme la matière centrale et primaire du mystère.

Malgré tout ces éléments religieux et quasiment mystiques, Three Love Songs conserve un esprit presque rural, profondément intime et à l’échelle humaine, évitant sans difficulté le grandiloquent ou le caricatural. Les délicates traces de merveilleux dans les compositions n’y existent que comme indices du quotidien fantastique et de l’immuable présence de l’indescriptible dans l’énigme de la machinerie humaine.

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