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Live Reports

Godspeed You! Black Emperor / Halle de la Villette (Paris), 14/01/11

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Rarement un concert aura été aussi attendu. L’annonce par un communiqué de presse énigmatique de la reformation de Godspeed You! Black Emperor (je vous laisserai mettre le point d’exclamation où bon vous semble) à l’occasion du festival All Tomorrow’s Parties – dont il avait été invité à concocter la programmation en décembre dernier – a eu l’effet d’une petite bombe médiatique, auprès de nombreux mélomanes et fans dont beaucoup, au vu de la composition du public de vendredi, n’ont probablement découvert la musique du collectif canadien qu’après leur séparation en 2003, et pour qui voir un jour ce groupe emblématique (bien malgré lui) avait fini par devenir un rêve bercé d’illusions. Personne n’y croyait vraiment, et pourtant c’est arrivé.

Les attentes, les espoirs et appréhensions s’exprimaient de bien diverses manières à l’approche du jour J. Certains y voyaient un évènement absolument immanquable, d’autres ont snobé le concert, disant trouver là encore une reformation dictée par un besoin irrépressible et hypocrite d’exposition médiatique (difficile à imaginer lorsqu’on connait un tant soit peu l’éthique et la façon de faire des Canadiens, notamment avec leur label Constellation – mais soit), d’autres, avec humour, nous faisaient part d’une véritable angoisse. De mon coté, je voyais plutôt ça comme des retrouvailles avec un vieil ami un peu ingrat qui n’aurait pas donné de nouvelles depuis huit ans, appréhendant ce moment un peu difficile où on se retrouve nez à nez en ayant peur de ne plus avoir rien à se dire – cette peur qui se dilue en un instant, à la première poignée de main, au premier sourire, ou aux premiers mots échangés.

Il aura pourtant fallu l’attendre, ce moment, pour être totalement rassuré. Laisser passer tranquillement les premiers pas dans la Halle de La Villette (une « mini Halle Tony Garnier » sans gradins, juste une grande fosse dans laquelle s’agglutineront entre 1500 et 2000 personnes, je dirais), se dérouler patiemment la première partie – assurée par un homme seul que j’ai été incapable d’identifier. J’apprendrai plus tard qu’il s’agit de Kevin Doria (membre de Growing) jouant sous le nom de son projet solo, Total Life. Le bonhomme façonne un drone bruitiste auxquels viennent s’adjoindre motifs électroniques rythmiques (beatboxes) et effets de modulation divers. Le résultat est loin d’être inintéressant, mais repose apparemment sur une improvisation pas tout à fait maîtrisée – Doria sera plus d’une fois trahi par ses expressions faciales – et comme on pouvait se le douter, le système sonore a beau être tout à fait à la hauteur – ce type de salle, plutôt froide, n’est pas le terrain de jeu idéal pour les expérimentations du genre. Le soliste quitte tout de même la salle sous les applaudissements mais plus d’un spectateur semble soulagé de voir ce moment arriver. L’impatience de voir GY!BE monter sur scène n’y est pas pour rien non plus, de toute évidence.

La scène est alors déjà totalement installée (les machines de Total Life étaient simplement disposées au milieu des amplis et instruments, pour certains posés à même le sol, voilà qui ne complique pas la logistique) mais il va pourtant s’écouler plus de trente minutes de changement de scène. Il faut dire que Godspeed compte huit musiciens sur scène (à part la violoniste dont j’ai oublié le nom, je crois que la formation est au complet et identique à celle de 2003) et que les images vidéos, assurées par quatre projecteurs à pellicule (à l’ancienne!) nécessitent probablement un fin travail de préparation et de coordination. Ce sera un sans-faute de ce coté là, le son excellent – la batterie peut-être un peu « cartonée » par moments si on veut jouer les rabat-joie mais rien qui n’empêche d’apprécier la musique à sa juste valeur – et les images parfaitement en mesure avec le tempo et les mouvements sonores.

Il aura donc fallu l’attendre, ce moment là. Laisser passer « Hope Drone » en intro, longue et tendue, pendant laquelle les musiciens montent sur scène les uns après les autres, s’accordent et construisent ensemble, brique par brique, un mur de son mouvant et écrasant, oppressant parfois, pour finalement nous libérer avec les premières notes de Lift Your Skinny Fists Like Antennas To Heaven (« Gathering Storm »). Là c’est une impression de légèreté et de force qui balaye tous les doutes, provoquant çà et là quelques cris d’enthousiasme: la musique de Godspeed est à ce point forte et intemporelle qu’elle ne souffre pas de comparaisons, qu’elle ne s’encombre pas de considérations futiles. Elle existe, elle transporte, point. Le groupe est réduit à son apparence la plus simple, comme il l’était à son habitude, en demi cercle – et il se tiendra au silence pendant ces deux heures et quart que dureront le concert, Efrim et Moya se contentant au maximum d’un hochement de tête timide en guise de remerciement entre  les morceaux – et encore, pas tous. On entendra plus tard le public reprocher ce manque de courtoisie – reproche légitime, mais pour moi pas justifié, le groupe ayant toujours, de son existence, réduit toute forme d’expression autre que musicale (ou visuelle, par ses projections) à son strict minimum pour ne jamais tracer la moindre ligne en dehors du cadre émotionnel qu’il installe et construit autour de lui (et de nous) – et en ce sens on ne peut, il me semble, que l’encourager.

Les moments forts vont et viennent, les mouvements s’orchestrent avec un savoir-faire brillant et au fil des thèmes qui nous ont marqués au fer rouge lors de longues et répétées écoutes, on comprend encore une fois pourquoi Godspeed a eu un impact aussi important sur le paysage musical des années 2000 – du moins pour tous ceux qui sont là ce soir. Après avoir mené, non sans quelques longueurs, mais sans aucune faute de goût son set vers une fin apocalyptique (« Rockets Fall on Rocket Falls », puis un fantastique « BBF III » en guise de dessert) le groupe quitte la scène sans offrir de rappel,  Sophie Trudeau et Thierry Amar esquissant un simple signe de la main, les autres s’éclipsant discrètement sans faire de vague. Pas de paillettes ni d’artifices, et nous de rester abasourdis, en cherchant en vain à mettre un mot sur ce qui nous a plu, ce qui nous a déçu… Les morceaux qu’on voulait et qu’on n’aura pas eu… Mais la vérité c’est qu’on est juste heureux d’avoir revu ce groupe, de s’être à nouveau laissé ensorceler par lui, d’avoir constaté qu’il sait encore faire merveilleusement bien ce qu’il a toujours fait, et le plus important, que sa musique n’a absolument rien perdu de son incroyable substance, de sa beauté, de sa force, de sa raison. Et puis, enfin, que de notre coté – nous n’avons rien perdu de notre foi en elle.

Hail, Godspeed You! Black Emperor… Nous voilà rechargés pour huit ans.

1 | Hope Drone
2 | Gathering Storm
3 | Monheim
4 | Albanian
5 | Chart #3
6 | World Police & Friendly Fire
7 | Dead Metheny
8 | Rockets Fall on Rocket Falls
9 | Blaise Bailey Finnegan III

A voir: les photos de Robert Gil.

4 comments
  1. Lionel

    Petite précision, la vidéo n’est pas de moi ;-) Trouvée sur Youtube (merci à son généreux posteur!)

  2. Tangee

    Merci!
    Merci de mettre les mots sur ces choses incroyables dont je n’arrive pas à parler.

    Pour moi, ce concert était sans doute un des concerts les plus forts que j’ai pu voir…
    Et merci aussi pour la vidéo même si elle n’est pas de toi ;)

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