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Harold Martinez / The Grim Reaper

Il y a un an, nous avions rencontré Harold Martinez. Dans un long entretien introspectif, l’homme nous avait alors confié les éléments d’une histoire empreinte d’émotions intenses qu’on sentait capables encore de submerger l’auteur compositeur nîmois. Ce sont elles qui agitaient une âme douloureuse et complexe, dont on entendait la voix, parfois déchirante, à l’écoute des deux albums réalisés avec le batteur Fabien Tolosa. On s’était dit que pertes et deuils non faits, par leur acharnement, risquaient de prendre le pas sur la musique elle-même du groupe, voire de l’arrêter, ce qui arriva un temps.

Aujourd’hui, avec The Grim Reaper, si nous ne sommes pas dans l’entière résilience, un cap semble toutefois dépassé. Clôturant, selon les propres mots du chanteur, la trilogie entamée avec Birdmum et Dead Man, l’album – malgré sa longue série de chants aux titres d’un registre lexical  hanté – se veut une issue, sinon une véritable résolution. On y trouve pourtant des terres plantées d’épouvantails parcourues d’outlaws et on assiste à de sinistres obsèques, alors que le souffle du vent vient encore chanter la mort. Mais dans la désolation de ce paysage, contre toute attente, on découvre un combat, aussi. «Burn War Party» et son riff rageur qui ouvrent l’album, exprimeraient ainsi la volonté d’en réchapper enfin. L’ambiance de The Grim Reaper est bien celle d’un western métaphorique (encore); soit la sublimation d’une lutte. Une avancée contre des forces  étranges et impalpables – le magique paraissant ici s’immiscer dans certains morceaux. Si l’on gagne contre l’adversité ou le sort, c’est en poor lonesome cowboy, sans doute ; soit dans la posture mythique du héros, en Sisyphe qu’il faut imaginer heureux. Voilà pour tout romantisme existentiel et métaphysique de saloon.

Au delà de toute narration – il y en a beaucoup -, cette victoire désirée est évidemment celle de la musique d’Harold Martinez. Musicalement, l’album marque un nouveau pas dans l’univers du duo et ses sonorités caractéristiques. Le secours attendu se trouve là, comme la véritable clef de la problématique chantée. Harold Martinez l’a cherchée et il s’est emparé de ce qui lui a été nécessaire, en musicien. Les guitares se sont faites plus mélodiques, plus variées, avec des propositions d’enluminures sur leur rugosité initiale – l’intro et l’outro de «All Soul Days». Le chant, la voix ne sont plus une seule et sombre complainte, parfois tremblante, laquelle aurait pu se faire piège. Une liberté nouvelle s’entend et la musique gagne sur l’obscur. À l’écoute de «Six Feet Under», on songerait presque à la légèreté d’un Andrew Bird, et la surprise est de taille. Monde en elles-mêmes, les batteries et percussions de Fabien Tolosa paraissent plus ouvertes et éclairent avec justesse les riffs du guitariste, comme les shamaniques montées en intensité du chanteur («Scarecrow Land»). Les séquences  électros – ajoutées par le batteur  multi- instrumentiste -, sont pertinentes et font sens. Elles permettent une fluidité d’écoute plus souple et jouent de variations subtiles, ondulant sur la linéarité structurelle qui porte les onze titres. C’est ici que réside la réussite de l’album. En écartant tout pathos, in fine accessoire, on trouve la brillance, dans une mise en son réussie qui permet l’échappée.

Avec The Grim Reaper, le duo Martinez-Tolosa signe un grand album. Dépassant ses bases, Harold Martinez peut, s’il le veut, poursuivre à présent un nouveau chemin. Entre racines blues, country- folk et electro bien utilisée, nous tenons un objet musical singulier. La profondeur de l’âme n’est pas oubliée, mais elle rejoint la clarté nécessaire à une respiration devenue vitale et salvatrice pour le projet des deux nîmois.

Photo Harold Martinez: Rémy André

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