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Interview – fanclubwallet

S’enticher de la musique d’Hannah Judge, aka fanclubwallet, ressemblait à une évidence lumineuse; comme si les dés étaient pipés d’avance. Car l’indie pop de la musicienne d’Ottawa, tranquillement infiltrée par des références nineties, ranime doucement une nostalgie musicale imaginée enterrée six pieds sous terre. Les compositions de fanclubwallet, tout à la fois ultra fraiches, accrocheuses et à la saveur douce amère, sont traversées par une délicieuse anxiété adulescente tirant vers l’universel; tendance que l’on retrouve dans les illustrations ou les vidéos de la décidément très talentueuse jeune femme. Propulsée à l’insu de son plein gré sous les spotlights par l’intermédiaire d’une playlist Spotifiy, Hannah Judge oppose à cette (tout à fait relative) exposition une candeur tout à fait désarçonnante et une appétence enthousiaste pour tout ce qui peut lui arriver. Déjà responsable de quelques singles et d’un premier EP (Hurt is Boring) enregistré dans sa chambre d’hôpital, fanclubwallet a sorti son premier album, You Have Got To Be Kidding Me, à la fin du mois de Mai. Une semaine avant son départ pour la tournée de promotion de celui-ci, nous avons pu la rattraper par la manche de sa doudoune canadienne pour lui poser quelques questions….

À quoi ressemble la vie à Ottawa?

La ville est plutôt sympa. J’ai passé ma vie ici mais j’aime beaucoup. Il y a une bonne scène musicale, je ne peux pas me plaindre.

Ta musique ne correspond pas vraiment aux critères radiophoniques actuels. As-tu été musicalement influencée par la discothèque de tes parents?

Non. Mes parents n’ont jamais été de grands fans de musique. Ils n’ont pas une grande collection de disques ou quoique ce soit dans ce style. J’ai surfé sur Internet très jeune et j’ai l’impression que c’est plutôt YouTube qui m’a éduqué musicalement. J’avais pris l’habitude de me laisser porter par les vidéos musicales recommandées par la plateforme. Je me suis rendue compte que j’étais très souvent dans la catégorie indie rock et que j’aimais bien cela.

Est-ce qu’il y a une chanson qui t’a particulièrement marquée durant cette période?

Tu connais ce groupe de rock alternatif appelé The All-American Rejects? À un moment, ils ont un titre suffisamment populaire pour passer à la radio. Et je crois que c’est vraiment ce morceau qui m’a influencé au point de me donner envie de m’intéresser à ce type de musique.

Comment en arrives-tu à écrire ta propre musique?

Lorsque j’étais plus jeune, j’allais dans un lycée artistique où étudiaient aussi des musiciens. À force de les côtoyer, je me suis retrouvée impliquée dans la scène musicale locale. J’essayais d’aller à un maximum de concerts et je sympathisais avec de plus en plus de musiciens que je prenais en photo ou dont je réalisais les vidéos. C’était une super période. J’adorais leur filer un coup de main mais je me suis aussi mise à écrire mes propres chansons et c’était assez libérateur: je créais aussi quelque chose qui m’était propre. Je suis partie étudier l’art à Montréal. J’ai travaillé comme photographe dans une salle de concert là-bas tout en continuant à suivre des cours à la fac. Puis, je me suis rendue compte que je séchais de plus en plus les cours pour aller bosser à la salle de concert jusqu’au jour où j’ai décidé de ne plus retourner à l’université. Le fait d’avoir rencontré tous ces musiciens, de gérants de salles de concert, de m’en être fait des amis, m’aide encore beaucoup à ce jour. Je n’ai pas peur lorsqu’il s’agit de demander de l’aide ou juste un avis, ce qui est juste génial. J’ai beaucoup de reconnaissance envers la scène musicale d’Ottawa et de Montréal.

Ton entourage semble très important pour toi?

Je connais Nathan (bassiste) et Michael (batteur), qui est aussi mon producteur, depuis l’école élémentaire, ce qui me semble incroyable. Quand est arrivé le moment pour moi de réunir un groupe pour les concerts, je les connaissais déjà et les considérais comme d’excellents musiciens. Michael joue dans un autre groupe appelé Chemical Club avec son ami Eric. Je les ai, en quelque sorte, absorbés dans fanclubwallet et nous avons même fait un titre ensemble.

Comment as-tu appris à faire de la musique?

J’ai pris des leçons de guitare au collège. Mes parents ont bien essayé de m’inscrire au foot et à la gymnastique mais je détestais cela. Ils ont ensuite regardé toute la liste des activités disponibles après l’école et j’ai finalement eu droit aux cours de guitare. J’aimais beaucoup cela mais j’ai juste appris pendant un an et demi. Je me suis ensuite retrouvée dans ma chambre à reproduire les chansons que je voulais apprendre à jouer. Je suis restée très timide quand il s’agissait de musique au point de ne pas oser chanter devant qui que ce soit avant mes 18 ans. C’était un secret.

Comment passes-tu de ce hobby secret jusqu’à jouer devant un public?

Mon amie Etta faisait aussi de la musique et nous avons commencé à trainer ensemble. Je me sentais à l’aise avec elle et nous avons composé ensemble de petites chansons. Nous avons décidé de monter un groupe appelé Gullet et nous avons demandé à notre amie Kate de se joindre à nous pour jouer de la batterie. Sauf que Kate ne savait pas jouer de la batterie et que nous n’étions pas de très bonnes guitaristes. Donc, d’une certaine façon, nous avons toutes entamé une phase d’apprentissage. Et je crois que partager cette expérience ensemble nous a donné de l’assurance. C’est plutôt touchant de réécouter des vieux morceaux qui datent d’avant fanclubwallet même si ces chansons peuvent paraître aujourd’hui un peu maladroites. Le groupe a fini par se séparer parce que nous avions des envies différentes. Mais de mon côté, j’avais emmagasiné assez de confiance pour continuer à écrire et je n’ai plus arrêté depuis.

Tu es aussi illustratrice. Quand est-ce que tu as commencé à dessiner?

Je lis des comics depuis que je suis toute jeune. Le nom de fanclubwallet est d’ailleurs lié à la bande dessinée Denis La Menace. Je me suis ensuite mise au dessin entre 10 et 11 ans et lorsque j’ai eu l’âge d’aller au lycée, j’ai choisi une voie artistique. J’y ai étudié les arts visuels et je passais mon temps à dessiner sans la moindre idée que j’allais finir par faire de la musique.

J’ai lu que tu es restée alitée pendant 10 mois à l’hôpital après avoir été diagnostiquée de la maladie de Crohn. Est-ce que, malgré tes soucis de santé, c’était une période créative pour toi?

J’avais vraiment beaucoup de temps libre. Je restais au lit toute la journée sans rien avoir à faire donc j’ai passé la majeure partie de ces 10 mois dans ma chambre d’hôpital à écrire mon premier EP. J’avais juste mon ordinateur portable, mes écouteurs et le petit micro de mon casque audio pour enregistrer. J’envoyais la démo à Michael qui débarquait quelques jours plus tard pour installer un mini studio dans ma chambre. Je n’avais même pas besoin de me lever: il branchait le micro au dessus de mon lit et je pouvais enregistrer sans même bouger le petit doigt.

j’ai passé la majeure partie de ces 10 mois dans ma chambre d’hôpital à écrire mon premier EP. J’avais juste mon ordinateur portable, mes écouteurs et le petit micro de mon casque audio pour enregistrer.

C’est compliqué pour toi d’écrire des chansons ou cela te vient naturellement?

J’ai l’impression que c’est assez facile. Je peux ressentir le besoin urgent d’écrire une chanson tandis que je suis allongée dans mon lit. Je vais attraper ma guitare et travailler sur une série d’accords qui me plaisent tout en écrivant des idées de paroles sur mon téléphone. Mais parfois, tout s’emboite encore plus simplement: les paroles et la musique arrivent en même temps.

Au début, je n’avais pas vraiment d’idées sur comment diffuser ma musique. Je faisais cela avant tout pour m’amuser; que quelqu’un puisse m’écouter était déjà génial. Et puis un jour, en me réveillant, ma chanson « Interstate » avait des tonnes d’écoutes et mon adresse email débordait de messages.

Comment as-tu vécu ton succès soudain sur Spotify?

(elle hésite) … Je crois qu’au final, je suis vraiment chanceuse. Au début, je ne savais pas du tout comment distribuer ma musique. Je faisais cela avant tout pour m’amuser; que quelqu’un puisse m’écouter était déjà génial. Et puis un jour, en me réveillant, ma chanson « Interstate » avait des tonnes d’écoutes et mon adresse email débordait de messages. J’étais totalement paniquée, je me demandais ce qui se passait. Je peux juste imaginer que j’ai atterri sur une playlist populaire sur Spotify et que des gens m’ont entendu de cette manière. Mais c’était avant tout un gros coup de chance.

Je crois que tu réalises toi-même tes vidéos?

Depuis toute jeune, j’ai l’habitude de réaliser des fan music vidéos sur les morceaux d’autres musiciens. J’ai ensuite proposé à mes amis musiciens de m’occuper des leurs. Et quand j’ai commencé mon propre projet musical, je me suis dit que je dirigerai mes propres vidéos et c’est ce que j’ai fait. Je crois que parmi toutes les vidéos de fanclubwallet qui sont sorties, il n’y en a qu’une que je n’ai pas réalisée.

À quoi ressemble un concert de fanclubwallet?

Notre public rassemble des gens de ma tranche d’âge, des indie kids entre 17 et 25 ans et nos concerts ont des airs de comédie maladroite, pas très éloignée d’un dessin animé. Avant le concert, je peux être très angoissée, sous le feu d’un tas de peurs comme oublier les paroles, dire quelque chose de complètement idiot… Lorsque je suis nerveuse, j’ai tendance à dire tout ce qui me sort par la bouche sans réfléchir et le public a l’indulgence de trouver cela drôle. Mais dès que je prononce un mot au micro, je reprends mes esprits et je me dis que tout va bien, que tout le monde est ici pour passer un bon moment et que ça va être très sympa. J’ai aussi cette peluche de Garfield qui m’accompagne partout sur scène. Mais à part adorer Garfield et me porter chance, je ne me souviens plus vraiment des raisons pour laquelle cette peluche me suit partout. C’est juste une tradition depuis mes débuts. Donc, si tu viens nous voir en concert, attends-toi à voir Garfield sur scène, à ce que je raconte n’importe quoi entre les morceaux et à une vraie débauche d’énergie.

Tu as l’impression que ton public s’identifie aux thèmes de tes chansons?

C’est sans doute ce que je trouve le plus touchant. Lire les commentaires sur YouTube ou les messages que je reçois sur Instagram et apprendre qu’une de mes chansons a rendu quelqu’un heureux alors qu’il a vécu une journée horrible ou qu’une personne a l’impression qu’une de mes chansons a été écrite pour elle, c’est un sentiment assez indescriptible. Je ne peux pas demander grand chose de plus gratifiant pour ma musique.

Apprendre qu’une de mes chansons a rendu quelqu’un heureux alors qu’il a vécu une journée horrible ou qu’une personne a l’impression qu’une de mes chansons a été écrite pour elle, c’est un sentiment assez indescriptible. 

Tu te sens proche d’autres musiciens?

L’un de mes groupes préférés est Modest Mouse. J’aimais aussi beaucoup Rilo Kiley même si je pense qu’aucun de ces deux groupes n’a un son vraiment proche du mien. Mais, dans les deux cas, j’apprécie tellement leur manière d’écrire des paroles que je me suis même imaginée illustrer certaines de leurs chansons. Et je pense qu’ils influencent aussi ma manière d’écrire.

fanclubwallet est devenu ton travail à plein temps?

Je réalise des vidéos musicales pour d’autres groupes et j’ai tout un tas de petites activités artistiques comme des commissions pour des illustrations et d’autres choses. Mais, en grande partie, composer et tourner sont devenus mon occupation principale.

Parle-moi de ton premier album You Have Got To Be Kidding Me.

La production est moins lo-fi que ce que j’ai pu faire auparavant même si je ne crois pas que c’est une décision consciente mais plutôt une progression naturelle. Il y a beaucoup plus de claviers et de synthétiseurs sur You Have Got To Be Kidding Me. Pendant que je travaillais sur l’album, j’étais aussi beaucoup moins stressée vis-à-vis de ce que pouvaient penser les gens donc je pense que le résultat est plus proche de la personne que je suis. Il y a des chansons tristes sur cet album alors que les singles qui sont sortis jusqu’à présent sont des morceaux plutôt rythmés. Une sortie physique en vinyl est prévue dans le futur. Mais ça prend un temps fou de produire des vinyls actuellement. Alors, pour le moment, en ce qui concerne les sorties physiques, je me contente des cds. Et lorsque tout le monde m’explique que plus personne n’écoute des cds, je réponds que, moi, j’écoute des cds donc je fais des cds! En fait, notre van de tournée est un modèle assez ancien et possède encore un lecteur CD. Donc, à chaque fois que nous partons, nous embarquons une énorme caisse de cds avec nous.

Pendant que je faisais l’album, j’étais aussi beaucoup moins stressée vis-à-vis de ce que pouvaient penser les gens donc je pense que le résultat est beaucoup plus proche de la personne que je suis.

Parmi les morceaux rythmés que tu évoquais plus haut, il y a « Gr8 Timing » qui est plus pop rock que le reste de tes compositions, presque radio friendly.

Le démo de « Gr8 Timing » ressemble beaucoup au résultat final ce qui est vraiment cool. Je voulais quelque chose de rythmé sur lequel tu pouvais dancer. Je pense que la manière dont un morceau est produit dépend souvent de ce que tu écoutais au moment de l’écriture et à l’époque, j’étais obsédée par les guitares distordues et crunchy de « Infinity Guitars » par Sleigh Bells. Je me souviens expliquer à Michael que je voulais absolument que les guitares de « Gr8 Timing » aient un son similaire.

Qu’est-ce que tu espères pour le futur de fanclubwallet?

J’ai hâte que les gens entendent l’album et j’espère que certains s’y reconnaitront, qu’ils y trouveront ce qu’ils recherchent ou espèrent. Je suis juste heureuse d’avoir la chance de faire ce que je fais actuellement. Si quelqu’un me dit que j’ai un un concert programmé à Ottawa demain, je suis comme une dingue; au moins autant que si tu m’expliquais que je vais aller jouer en Californie. Evidemment, tourner en Europe est un rêve mais je ne crois pas qu’il y ait quoique ce soit de prévu en ce moment. J’espère néanmoins que cela arrivera. Mais tu sais, au final, j’essaie juste de profiter de l’instant présent.

Photos: Ian Filipovic

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