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Robert Forster / The Candle and the Flame

Durant les années 1980, The Go-Betweens ciselèrent une série d’albums qui alliaient élégance et références littéraires ou cinématographiques, à des mélodies pop immédiatement accrocheuses. Réécouter aujourd’hui « Was There Anything I Could Do », « Quiet Heart » ou l’entrainant « Streets of Your Town » qui donnait envie de visiter Brisbane à la suite des trois garçons et des deux filles du groupe, reste un plaisir qui nous ramène presque quarante ans en arrière, mais souligne toujours la qualité de songwriting d’un groupe culte dont le répertoire n’a pas pris de ride. A la tête de la formation australienne, signée par Rough Trade, se trouvait le duo Forster/McLennan, dans lequel la critique branchée voulut reconnaître des Lennon&McCartney new wave. Faut-il aller jusque là ? Je ne l’affirmerai pas, mais ces messagers furent néanmoins parmi les plus influents songwriters de la décennie, australienne du moins. Grant McLennan, alter ego de Forster, nous quitta prématurément en 2006, et Robert Forster se retrouva seul pour porter la flamme d’une musique convoquant à la fois Dylan, The Byrds et James Joyce, Jangle Pop dégagée de l’inutile et si agréablement cultivée. Un rêve d’esthète .

En 2019 Inferno, huitième album solo du longiligne australien, pointait déjà certains traits et caractères qu’on retrouve dans The Candle and The Flame, paru chez Tapete Records le 3 février dernier. Pour faire court, sans être réducteur, je dirais que ce sont ceux de la maturité. Ces signes qui attestent de la pleine maitrise de son art par un homme au mitan de la soixantaine, abordant avec tenue un nouveau temps constitutif du troisième acte d’une vie humaine. L’entreprise pouvait se révéler risquée. Mais Forster mobilise ici ressources et qualités nouvelles. Fidèle à lui même, il ne se limite pourtant pas à la réitération d’un passé, quand bien même fut-il remarquable. Le challenge est relevé et l’ex Go-Between ne paraît guère atteint de jeunisme. Il est où il en est, se souvient des années agréables (« Tender Years »), narrées avec un indéniable sens de l’humour, tout en acceptant, par ailleurs, de faire face à son présent. Ainsi le très punchy « She’s a Fighter » qui introduit le disque, évoque t-il en peu de phrases, l’épreuve traversée par sa compagne, la violoniste Karin Baümler, en lutte contre un cancer. Nullement abattu par l’âpreté du destin et les vicissitudes de la vie, Forster chante « vous êtes loin d’avoir fini, et vous pouvez guérir » dans « It’s Only Poison ». Le titre suggère qu’il demeure nécessaire d’entretenir un esprit résilient et fort, quels que soient les événements et les épreuves rencontrées. On acquiesce à ces phrases déterminées, écrites par un homme calme qui se positionne loin des poncifs d’un folklore rock sans intérêt pour lui. Le contraire aurait d’ailleurs été étonnant, si on se réfère au style dont The Go- Betweens firent preuve. Ainsi « I don’t do drugs, I do time » propose t-il une philosophie de vie qu’il est intéressant d’écouter : « Je ne prends pas de drogues, je prends du temps. Fais le s’arrêter et rembobinons, pour corriger mes erreurs, se souvenir de mes amis (….) Regardons devant, quel virage arrive. Ce qu’il faut éviter et ce qu’il faut mélanger« .

A la découverte des neufs titres de The Candle and The Flame, enregistrés durant la crise du Covid – inattendue transition dont quelques leçons restent encore à tirer -, on se rend compte combien ils sont en adéquation avec le profil de l’ex Go-Between. Ce qui s’en dégage est l’impression d’une rare cohérence entre sujet et propos tenu. Ceci vaut pour le fond. Musicalement, à l’aise dans le registre Folk-Pop, Robert Forster, s’il connait les chemins formels de l’écriture musicale, sait aussi comment sublimer une chanson. Le violon de Karin Baümler emporte « Roads » un peu plus loin, comme les guitares de Louis Forster lancent des saillies qui surpassent le propre jeu de Forster guitariste – l’enregistrement du disque fut, semble t-il, une petite réunion de famille, puisqu’on y entend aussi Loretta, fille du couple Forster- Baümler, à la guitare basse…

« When I Was A Young Man » qui termine l’album, est un regard rétrospectif que l’auteur-compositeur porte sur lui-même, comme sur son activité artistique et la position de rock star. «  Quand j’avais vingt et un ans, j’ai écrit des chansons que je n’ai pas chantées/ J’ai écrit plus de chansons et j’ai entendu la pluie » « Quand j’étais un jeune homme que je ne savais pas, les gens m’ont dit, « Va mec, vas-y. »  » chante t-il, désignant ces rêves d’adolescent qu’il n’a jamais laissés. Quant à rock star, il l’a été, dans une certaine mesure. « Ce travail vous occupera 24h sur 24 » déclare t-il en interview. En a t-il encore envie? La réponse est ambigüe. La musique ne l’est pas.

En 2023, l’homme et l’artiste Robert Forster ne sont ni dans la quête de succès, ni dans un rêve pop où s’immerger. Si Forster s’assure que la chandelle reste allumée et que la flamme brille toujours, c’est pour de très bonnes raisons. De l’ordre de celles qui peuvent conclure la pièce d’une vie, si on se demande un jour « Qu’est-ce qu’une vie réussie? » quand approchent les scènes de résolution . Que la lumière soit.

( Crédit photo: Stephen Boot, Uncut)

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