Loading...
ChroniquesInterviews

Interview – Drab Majesty


Drab Majesty
émerge à Los Angeles en 2012 comme le projet solo de Deb Demure, personnage imaginaire intrigant, alter ego méconnaissable androgyne et fardé d’Andrew Clinco – que nous avions déjà aperçu à la batterie au sein de Marriages (aux cotés d’Emma Ruth Rundle et de Greg Burns, membres à plein temps de l’écurie Red Sparowes). Rejoint en 2015 par Mona D. (alias Alex Nicolaou), second membre désormais permanent, le californien livre au travers de son personnage des tubes synth-pop incontournables où s’entremêlent influences visuelles et sonores multiples (glam / goth rock, pop eighties, dark wave). On visualise assez facilement certaines des références du duo – imaginez le chant de Tears For Fears, les ambiances sonores de Kraftwerk, et les guitares de The Jesus & Mary Chain – mais l’univers qu’il propose est délibérément unique. On a essayé de s’en rapprocher au plus près après un excellent récent concert au Sonic, dont la fréquentation fut pourtant un peu décevante.

Dark Globe : Première question pour Deb /Andrew, comment doit-on t’appeler ?

Deb Demure : Tu peux m’appeler Deb.

Si je ne me trompe pas, Drab Majesty a démarré comme projet « solo ». Comment est-il devenu un duo et qu’est ce que cela a changé pour toi ?

Deb D. : Le projet a commencé comme un moyen pour moi de m’éloigner du rôle de batteur, que j’occupais au sein de plusieurs groupes, et d’exploiter des idées d’harmonies sur lesquelles je travaillais. Je me suis toujours senti guitariste au fond : mon père est guitariste, j’ai grandi au milieu des guitares. Depuis que je joue de la batterie en groupe, j’ai toujours été envieux des guitaristes : c’est d’eux qu’émane l’harmonie. J’ai toujours eu le désir de sortir de derrière les fûts, de pouvoir jouer davantage dans l’émotion – car la batterie ne joue pas tellement sur l’émotion, mais plutôt sur les fondations, la structure. J’ai donc commencé Drab Majesty pour asseoir mon autonomie en tant qu’artiste solo, sans me douter qu’autant de musiciens seraient un jour intéressés pour me rejoindre. Cela a duré trois ans. Je savais qu’à terme le projet s’expandrait ; mais j’ai conclu avec moi-même qu’après cent concerts, je verrai la meilleure façon de faire évoluer le truc. Mona était DJ à LA, et organisait aussi des concerts dans un petit bar. Il a entendu parler de Drab Majesty et m’a calé une date avec Geneva Jacuzzi. Après cette soirée, on a développé un lien très fort, on a beaucoup échangé sur nos influences : le finger picking, la façon de jouer de la guitare, notre amour pour Felt et d’autres groupes. J’ai vite réalisé qu’il était fan du projet et qu’il le comprenait mieux que quiconque que j’avais rencontré jusqu’alors. Je n’ai pas eu à faire d’audition, je lui ai simplement demandé s’il voulait partir en tournée en Europe avec moi, et il n’y a eu aucune hésitation de sa part. Il s’est approprié les parties de synthé de façon spontanée, bien au-delà de ce que j’espérais.

On a pu voir cette complicité sur scène ce soir, vos parties se complètent remarquablement.

Oui, je suis très à l’aise avec ce format. Et puis ce type est comme mon frère de l’espace (« Space brother« , ndla), mon meilleur ami. On s’éclate vraiment ensemble.

Mona / Alex, est ce que ça n’a pas été difficile d’intégrer l’univers si particulier de Deb ?

Mona D. : Je viens aussi du théatre, j’ai passé ma vie à jongler entre théatre et musique. Je crois que j’ai toujours été fasciné par Drab Majesty parce que j’admire sa façon de créer de nouvelles esthétiques, de pouvoir sortir de nous-même. Drab Majesty pourrait paraître ridicule, complètement absurde ! Mais pour diverses raisons, l’esthétique, la musique, la performance, tout cela fonctionne. Une forme de magie, de coincidence provoquée. En tant que fan du projet depuis le début et en ayant pris du temps pour y réfléchir en détail, je peux dire que chaque concert est véritablement un performance, c’est comme se glisser dans une autre identité. Et c’est vraiment fun ! C’est fun de ne pas être ce guitariste en sueur, enchaînant les riffs, ou s’imaginant les filles avec qui il va coucher. C’est bon de se sentir complètement étranger à tout ça. Se mettre intégralement au service de l’esthétique, du projet.

Avec Drab Majesty, le but n’est pas forcément de paraître original, ou prétentieux, mais d’incarner au mieux la musique. (…) L’esthétique, la musique, la performance, tout cela fonctionne. C’est une forme de magie, de coincidence provoquée.

J’allais justement vous demander la part d’importance du déguisement, du travestissement sur scène.

Deb D. : Une question intéressante est de se demander si cela change l’expérience pour vous, en tant que public.

Oui, je crois. Il y a un coté désinhibant, incontestablement.

C’est très important pour nous. Esthétiquement il faut qu’il y ait un challenge, même s’il est tout petit. Les artistes ont plein d’astuces pour façonner leur message, le changer en cette « autre » chose. C’est ce qui m’intéresse, le coté « autre ».

Mona D. : On a tous les deux des goûts très éclectiques. On aime beaucoup de styles de musiques différents, mais on recherche vraiment une approche unique avec Drab Majesty. Le but n’est pas forcément de paraître original, ou prétentieux, mais d’incarner au mieux la musique. Ce n’est pas notre vie, c’est comme la Comedia Del’Arte : tu mets un masque, tu fais le spectacle, puis tu l’enlèves et tu redeviens quelqu’un d’autre.

Deb, tu as partiellement répondu mais je me demandais si tu étais plutôt guitariste avec un background de batteur ou si c’était l’inverse ? J’écoutais Marriages bien avant de découvrir Drab Majesty, et je n’avais aucune idée que le batteur de Marriages et Deb Demure étaient une seule et même personne.

En fait si cela t’arrange, je peux revenir sur ce point (rires). Comme je te l’ai dit, mon père est guitariste et j’ai d’abord commencé à jouer avec ses instruments, de la main gauche, alors qu’il est droitier. C’était bizarre comme approche, mais j’ai fini par me procurer une guitare pour gaucher. A onze ans, je suis allé dans un de ces camps d’été où l’on apprend la musique, et en voyant les batteurs faire leur truc, je me suis dit, « Wow… C’est trop cool ! ». C’était puissant, agressif, ça convenait tout à fait à ce en quoi l’adolescent que j’étais rêvait de s’investir. J’ai suivi des cours, j’ai même joué de la caisse claire dans une fanfare à la fac… Et la guitare que j’avais eue pour mes sept ans a fini dans un placard, pour n’en sortir qu’en 2011 lorsque j’ai démarré Drab Majesty. A peu près treize ans plus tard. En fait, c’est surtout quand j’ai commencé à jouer avec Emma (Ruth Rundle, ndla) dans Marriages, et dans son autre projet The Nocturnes, et que j’ai observé son style de jeu – auquel je dois beaucoup – que j’ai eu envie de jouer de la guitare.

Emma est une guitariste incroyable.

Elle est extraordinaire, oui ! Et je lui dois tout, quant aux arpèges, au fingerpicking. Jouer dans Marriages et The Nocturnes m’a rendu nostalgique… J’avais ces idées dans ma têtes, jouer avec ces super musiciens m’a juste mis le pied à l’étrier.

Le son est fait de fréquences, les fréquences évoquent une imagerie ; il y a une connexion forte entre les sons, les images, les couleurs.

C’est très courant de voir des musiciens participer à plusieurs projets, mais Marriages et Drab Majesty évoluent vraiment dans des styles et des formats radicalement différents, ce qui est plus rare…

C’est simplement que la musique n’a pas la même connotation visuelle. Le son est fait de fréquences, les fréquences évoquent une imagerie ; il y a une connexion forte entre les sons, les images, les couleurs. Marriages ne pourrait pas exister avec l’esthétique de Drab Majesty et réciproquement. Comme je le disais, cela ne dépend pas de qui nous sommes, mais de l’identité artistique des projets. Marriages dégage une atmosphère plutôt noire, austère, baignée de lumière blanche, de pleine conscience… (montrant son déguisement et celui de son compagnon de scène, ndla :) Voilà ce qui correspond à Drab Majesty. Et c’est juste le début. Tout peut encore changer ! C’est un projet très sérieux dans lequel on s’investit totalement.

Est-ce difficile pour vous de développer ce son et cette esthétique à Los Angeles ? Parce que d’un point de vue Européen, vous semblez parfois tellement loin de l’imaginaire collectif qui se rapporte à cette ville…

Mona D : Excellente question ! Nous avons tous les deux grandi à L.A., et nous avons tous les deux une vision assez précise de ce que cette ville peut représenter. La vérité sur L.A., c’est qu’elle n’est EN RIEN comme tu as pu le voir ou l’entendre. C’est une cité métissée, étrange et byzantine, qui traverse une véritable révolution musicale. Il y a un nombre incroyable de cultures qui y émergent simultanément. C’est probablement une des meilleures villes au monde pour les groupes live aujourd’hui. Toutes les idées sont permises, tu peux t’en rendre compte n’importe quel soir de la semaine, et c’est le consensus populaire qui décide lesquelles fleurissent et lesquelles chutent. L.A. est aussi un endroit habité par la pénombre. Beaucoup y viennent avec les ambitions et les rêves qu’ils y projettent, et sont vite rattrapés par la réalité. Ils imaginent des plages, des collines parsemées de superbes maisons, des jacuzzis, des palmiers, des superbes femmes. La réalité de L.A., c’est un amas de rêves brisés, une vaste désolation des aspirations et de l’ambition de ceux qui sont venus s’y échouer.

La réalité de L.A., c’est un amas de rêves brisés, une vaste désolation des aspirations et de l’ambition de ceux qui sont venus s’y échouer.

Deb D : Le nom « Drab Majesty » n’est rien d’autre qu’un patronyme poétique pour L.A. (« Drab » signifie « glauque », ndla). Certaines villes en Europe sont superbes, authentiques, elles se montrent comme elles sont. Pour voir L.A., il faut être au bon endroit, au bon moment, la regarder sous le bon angle et sous la bonne lumière ; alors, elle devient superbe. Mais la plupart du temps c’est une ville sombre et glauque.

Mona D : Tous ceux qui viennent à L.A. y viennent avec l’ambition d’accomplir de grandes choses. Ce n’est pas qu’un lieu de débauche et de richesse, il y a une grande créativité qui se dégage de tout ça et cela en fait un lieu vraiment cool où vivre en tant qu’artiste. C’est une ville magique, c’est juste une ville… Compliquée.

Et votre ambition à vous ? Ou va-t’elle vous mener ?

Deb D : Au point où nous sommes, je crois que nous ne nous sentons pas trop concernés par ce que L.A. peut nous apporter… Mais je crois qu’on est plus intéressé par l’idée de pouvoir jouer en Europe, en Asie, en Australie, en Russie. L.A. est complètement saturée aujourd’hui, on n’a plus rien de bizarre là-bas. Mais on est bizarre à Moscou !

Nous avons déjà atteint les objectifs dont nous rêvions : voyager, rencontrer des gens et partager notre vision, notre petite idée de ce qu’on fait tous sur cette putain de planète.

Mona D : Pour moi, l’important est surtout de rencontrer des gens ouverts d’esprits, avec qui on a en commun le language de la musique. Cela restaure notre foi en l’humanité de voir qu’on peut communiquer et qu’on est sur la même longueur d’onde. Dépasser les différences culturelles, les langues maternelles, se trouver en communion avec un public, quelles que soient ses origines, ses couleurs ou son âge… Si le groupe continue d’avoir du succès et rentre plus d’argent c’est super, mais pour ma part nous avons déjà atteint les objectifs dont nous rêvions : voyager, rencontrer des gens et partager notre vision, notre petite idée de ce qu’on fait tous sur cette putain de planète.

Remerciements : Andrew et Alex pour leur disponibilité, Bérénice et Those Daze Tonight pour l’organisation et l’accueil.

One comment
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.