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Interview – Jules Henriel (Parade)

Jules Henriel est le chanteur du groupe Parade, qui a sorti à ce jour deux EPs chez Lollipop Records, le label marseillais bien connu des amateurs de rock et notamment de tous ceux qui fréquentent le Lollipop Music Store, disquaire chez qui vous pouvez, chaque semaine, voir des groupes, débutants ou confirmés, se produisant en showcase. Il est également un personnage assez incontournable de cette scène rock marseillaise très active : organise des concerts, invite des artistes croisés sur la route, participe à des projets parallèles, se produit souvent en solo… D’ailleurs nous le retrouvons aujourd’hui, de retour d’une petite tournée solitaire d’une dizaine de dates à travers la France. On aurait pu faire cette interview dans le canapé du Lollipop, comme une évidence, mais finalement nous nous donnons rendez-vous chez moi, quelque part dans Marseille. Et d’une certaine façon, c’est presque pareil pour ce qui est du décor: disques, livres, instruments, canapé et… café. Il est quatorze heures !

Jules Henriel, photo par Annie Bossut (2024) sur scène avec Parade

Le vu-mètre audio bouge, ça doit être bon.

Jules Henriel : Tu veux que je mette aussi mon téléphone ? (il le fait).

Pourquoi pas ?

Comme ça, s’il y a un problème technique, ça fait une sécurité.

Oui, et en plus tu pourras vérifier que je n’invente pas des trucs (rires).

Et je demanderai un droit de réponse encadré, suite à condamnation et tout ça…

C’est ça ouais. Bon, donc, déjà, on ne va pas faire comme si on ne se connaissait pas puisque j’ai assisté à ce qui était probablement ton premier « concert » officiel, au Lollipop. Je me souviens avoir vu une vidéo tournée devant la boutique de bières de la rue des Trois Frères Barthélémy, dans l’annonce d’un showcase à Lollipop et avoir aussitôt fait un post pour dire qu’il fallait venir.

Oui, c’était pour la fête de la musique, avec Nico (Nicolas Fossoy – guitariste du groupe Parade). On jouait à deux nos premiers morceaux . C’était en 2018, déjà 7 ans. Je ne sais plus qui avait filmé… Ah si, c’était Diane (NDLR : la compagne de Jules). Et ensuite, je crois que le showcase devait être en août, juste une semaine après celui de Sovox (autre groupe local) qui débutait. C’était le premier concert officiel de Parade.

Donc là, vous commencez à deux, toi et Nicolas.

Oui, quand on s’est rencontrés, moi je venais de me faire virer de mon boulot ; j’étais en dépression. Lui était en train de rompre ce qui n’était pas beaucoup mieux. Il était ostéopathe et faisait à peu près cinq rendez-vous par semaine, donc il avait suffisamment de temps libre. Je lui ai envoyé des morceaux guitare/voix que j’avais fait un peu à l’arrache. Il a perçu des trucs que je savais peut-être quelque part au fond de moi, mais je n’avais personne pour me les dire. Et donc, un jour il est venu à la maison et j’avais acheté plein de bières parce que je n’étais pas forcément à l’aise.

Parce que vous ne vous connaissiez pas avant, genre amis d’enfance, de lycée ?

Non, j’avais mis une annonce en ligne, j’avais rencontré quelques personnes et un jour Nico est arrivé. Grand, très élégant, ça a été plus qu’une rencontre musicale, une rencontre amicale hyper forte. Une vraie amitié un peu comme si on s’était connus tout le temps. Et on a passé beaucoup de temps ensemble.

Jules Henriel et Nico ( 2018 – La Machine à Coudre, Marseille ) photo aimablement communiquée par J.H

Et le déclenchement, finalement, ce n’est pas une décision de faire de la musique, ce sont plutôt les circonstances avec la perte d’emploi ?

Le déclenchement c’est plutôt que j’étais en dépression et à ce moment-là je lisais beaucoup d’auteurs comme François Bégaudeau qui parlait de la conception bourgeoise du mérite. Et moi j’étais banquier, mon père était assureur et ma grand-mère (la mère de mon père) qui me racontait les rêves de mon père à 20ans contribuait au fait que je ne me sentais pas à ma place. J’ai compris à ce moment-là qu’il y avait quelque chose qui se passait. J’ai commencé à me faire suivre par un psy et puis à un moment ça m’a rattrapé , après avoir posé un arrêt maladie, je me suis fait licencier. Avec le soutien de Diane, je me suis dit que j’allais prendre six mois pour faire de la musique.

Mais sans idée précise…

Non, je ne savais ni quoi, ni comment, mais je savais qu’il fallait que j’essaie de faire de la musique. Je ne connaissais pas le milieu musical. Le point d’ancrage que j’avais, c’était Lollipop. Et c’était d’abord Steph (Stéphane Signoret – boss de Lollipop et guitariste de Pleasures), puis Polo (Paul Milhaud – boss de Lollipop aussi et guitariste de No Jazz Quartet). Au début je m’étais demandé comment je pouvais rentrer dans ce magasin avec mon costume …

Il suffisait de rentrer, non ?

Il suffisait de rentrer, mais c’est vrai que quand j’ai enlevé le costume, j’avais encore plus de plaisir. Et l’avantage de m’être fait virer c’est que j’avais le chômage et deux ans devant moi pour ne pas forcément réfléchir aux besoins matériels ; un peu d’argent pour acheter pas mal, voire beaucoup trop, de disques. Peut-être que le Coltrane je n’avais pas besoin de l’acheter, je l’ai donné par la suite.

On peut dire que tu as fait ton éducation musicale dans Lollipop ou bien Lollipop c’est la résultante ?

Il y a les deux. D’abord mon père. Il écoutait beaucoup Neil Young, Bob Dylan, Springsteen, Tom Petty, Traveling Wilburys, les Beatles, tout ça c’est lui ; et même les français, Goldman, Souchon, Polnareff, ce sont des choses que j’ai partagées avec lui. Puis plus tard la country, Steve Earle, Willy Nelson… Ma mère, ça va plutôt être Brassens, Renaud, des chansons à textes, engagées, Léo Ferré, Serge Reggiani, Georges Moustaki

C’est la conscience sociale…

Exactement (rires). Ensuite mon grand frère qui écoutait un peu de punk, Green Day, Bad Religion, Blink 182, Sum 41… J’ai pioché partout après une année d’errance où j’ai écouté du rap, c’était en 6ème. Et puis en 5ème c’est American Idiot ! J’avais pris des cours de guitare acoustique au lycée et quand American Idiot sort je tanne mes parents pour avoir à Noël le pack Squier (guitare) plus un Micro-Cube (amplificateur). Il n’y avait pas les tablatures en ligne, donc je cherchais…

A l’oreille…

A l’oreille de tout le monde… Voilà, et cet album de Green Day représentait la somme des trois : américain – mon père, punk – mon frère et engagé – ma mère. Puis ça a été Razorlight, Libertines… Pendant des années, à la banque, j’avais un peu lâché, j’étais un peu dans le trou noir. C’est grâce à Lollipop, à Steph qui semblait plus accessible, et ensuite à Polo que j’ai gagné une vraie culture musicale. Je n’ai pas racheté des groupes que je connaissais déjà, je suis allé vers la découverte, comme avec The Sound qui est aujourd’hui, peut-être, mon groupe préféré. Joy Division puis le Velvet Underground, des groupes comme Spacemen 3, les Stone Roses

Et donc, quand tu commences la musique, les influences ne sont pas encore fixées complètement ?

J’étais en construction. Je pense que j’avais déjà passé un an ou deux à faire des allers-retours à Lollipop pour des après-midis à discuter ; parce qu’au-delà d’acheter des disques, si je les prends chez moi et que je les sors pour les mettre sur la platine, je sais à peu près quand je les ai achetés, ce qu’il s’est passé cet après-midi là… Oui, en construction ; une fois on nous a dit qu’on ressemblait à Pulp et je n’avais jamais écouté Pulp.

« J’étais en construction. Je pense que j’avais déjà passé un an ou deux à faire des allers-retours à Lollipop pour des après-midis à discuter. »

C’est moi qui t’ai dit ça…

Oui, et maintenant j’en suis convaincu. Nico, je pense, avait des influences beaucoup plus marquées et il en a moins changé que moi depuis le début de Parade. J’ai vraiment passé énormément de temps à écouter 6 ou 7 disques par jour… Intensément… (rires) Pas de détail pour le sens d’intensément… The Sound je l’ai découvert comme ça …

Après le Parade à deux, est devenu le Parade à quatre. Est-ce que c’était un besoin d’étoffer la musique ? De ressembler plus à un groupe ou d’aller chercher des influences autres, d’autres personnes ? Ou est-ce que ça s’est fait naturellement, comme ça ?

Nous, on ne réfléchissait à rien. Le but c’était de faire un premier concert. Passé ce premier concert, si on ne nous avait pas proposé d’en faire un deuxième, on aurait cherché à faire ce deuxième concert. Et puis les choses sont venues à nous. Notre batteur (ancien batteur) qui s’est proposé et qui était un musicien beaucoup plus expérimenté que nous, qui avait plus de connaissances ; et puis Marine (bassiste de Parade) est arrivée. Il n’y a jamais eu de calcul. Peut-être après, mais pas à ce moment-là.

En fait vous jouez et des gens viennent et vous disent : « vous n’avez pas besoin d’un batteur ? Vous n’avez pas besoin… ? »

Mais, encore maintenant ; mais on s’en foutait. Il y a toujours des gens qui viennent te proposer des choses, te dire que tu pourrais chanter en français… Je n’ai jamais trop compris ça, mais après, tant mieux, ça veut dire que les gens s’intéressent, il faut le prendre positivement. Je n’avais aucune connaissance de ce qu’était la scène marseillaise, de ce qu’étaient les styles. On était dans notre histoire avec Nico, on passait du temps, on jouait, ça sonnait bien, on était contents. On ne réfléchissait pas et ça se voit même dans les titres du premier EP : « Mountains », « Love », « Hope », plus banal, plus basique, tu ne peux pas faire.

Parade ( formation actuelle) FB Parade-Band

Donc, il y a Parade, mais tu ne fais pas que ça. Assez vite, tu te retrouves à faire des sets en solo. Est-ce que c’est un besoin ou peut-être qu’en groupe tu ne peux pas tout faire, que tu as besoin de jouer plus souvent, ou bien tu penses que tu exprimes des choses différentes dans les deux formules ?

Il y a un peu de tout ça, mais je me rends compte, en le faisant, que l’un sert l’autre. Quand je suis en tournée solo, généralement, je vais jouer dans un endroit où je pourrai repasser avec Parade. Il y avait la volonté de jouer plus souvent, d’aller aussi dans des endroits différents et d’exprimer des choses plus personnelles dans les textes. Et puis, c’est quelque chose que je fais : j’ai toujours joué guitare/voix à la maison – je n’aime pas trop la guitare électrique – je préfère jouer de la guitare folk. Il y a un côté plus immédiat. Oui, c’était un besoin de faire plus et aussi de pouvoir dire « Oui » sans avoir à demander à trois autres personnes…

C’est plus facile…

J’adore être entouré mais je suis très bien seul aussi et je pense que ça n’entrave pas le groupe. Ça permet au groupe de vivre à travers moi et l’inverse, moi à travers le groupe.

Alors, c’est une constatation que je fais, me semble-t-il, d’une évolution actuelle. J’ai l’impression qu’auparavant, les musiciens faisaient un groupe et ce groupe devenait, en quelque sorte, leur maison. Et que maintenant, les personnes qui font de la musique ont peut-être un besoin plus grand de s’exprimer individuellement et jouent dans plusieurs groupes ou ont différents projets.

Il y a un peu de ça . Je pense aussi que les gens ont beaucoup plus le projet d’en vivre qu’auparavant et que tu ne peux pas avec un seul groupe. Bon, moi ce n’est pas ça, parce 90% de mes concerts en solo je les ai faits gratuitement : pour être présent à un concert de soutien, pour passer des soirées… Ma copine habitait Montpellier à ce moment-là, j’étais hyper disponible, c’était faire partie d’une scène, appartenir à quelque chose, rendre des gens fiers et être fier des autres. Je m’en foutais d’en vivre et je m’en fous encore.

Et tu ne feras jamais de concessions autres que celles que tu choisis de faire pour en vivre.

C’est ça. Mais tous les choix sont bons, je ne critique rien. Mais je n’ai pas envie de remplir des dossiers (NDLR : pour obtenir des subventions). J’aurais envie que ça tourne un peu plus normalement. Mais oui, je suis content du résultat actuel malgré tout ce qu’on a dû traverser sur ces 6 dernières années.

Donc, naturellement, vous vous retrouvez chez Lollipop Records, qui était déjà un peu ta maison. Vous avez fait 2 EPs. Quelle évolution entre les deux ?

Le premier EP était vraiment un instantané du moment. Certains des morceaux ont été écrits par Nico et moi à l’époque où on jouait avec la boîte à rythmes. Marine est arrivée un ou deux mois avant l’enregistrement, donc c’était vraiment Nico, moi et Matthieu (ex-batteur de Parade) qui a apporté pas mal aussi. Le deuxième a été plus réfléchi, on a eu plus de temps. Entre-temps, avec Nico nous avions eu ce projet éphémère, Half Parade, qui a quand même donné la chanson « It all went bad somehow » , deuxième titre de ce EP. Déjà, cet EP a un titre, contrairement au précédent. Les chansons sont plus concrètes. Entre-temps j’ai découvert que j’avais un trouble bipolaire, donc ça ne parle pas forcément que de ça, le but n’étant pas d’être dans la surenchère. Mais ça parle plus d’événements, de choses qui se sont passées . Le premier était plus métaphorique. Et si j’explique ce que je dis dans les morceaux, c’est à la fois très clair et très dur. En même temps c’est très beau parce que quand tu as écrit un morceau, qu’il est sorti, que tu l’as joué en live, le problème est derrière toi. Enfin je le ressens comme ça.

« Le premier EP était vraiment un instantané du moment. Certains des morceaux ont été écrits par Nico et moi à l’époque où on jouait avec la boîte à rythmes. »

Oui, parce qu’en fait la problématique existait, tu en as fait une chanson et donc, ce n’est pas résolu, mais ce n’est plus la même histoire.

C’est-à-dire que j’ai pris de la distance, que je suis capable d’en parler, en public, d’exprimer ce que je ressens, de le graver ; et quand le disque est sorti, surtout le deuxième, j’ai ressenti un vrai soulagement. Je pense que ça sera pareil quand je sortirai mon premier album solo, parce que c’est toute ma vie, la musique. Si on part trois jours, que je n’ai pas ma guitare, je suis mal en point. Je pense que tu vois ce que je veux dire. Et donc, quand je rentre, j’écoute mes trois disques d’affilée en buvant mon café. Ce sont des émotions que je ne ressens nulle part ailleurs. Marcher dans la rue avec dans les écouteurs Sparklehorse « Sick of goodbyes », j’ai l’impression d’être dans l’hyper-espace… Je crois qu’on y est tous, sinon on ne serait pas là. C’est tellement compliqué à côté. Et en même temps, quand tu vois le monde et les situations de certains, ce n’est pas si dur ce que nous vivons. C’est même bien.

Mais c’est quand même mieux avec le casque sur les oreilles…

… avec antibruit, si possible.

Alors, au niveau des compos dans Parade est-ce que c’est vraiment une composition à quatre ou est-ce que c’est plus toi ou Nico, vous amenez une idée et c’est retravaillé par tout le monde ?

Parade ce sont des morceaux très axés sur la mélodie, c’est compliqué pour la basse ou la batterie d’apporter l’idée principale, mais très utile pour construire et structurer. Au tout début c’était vraiment partagé avec Nico, on écrivait tout le temps ensemble, on était tout le temps ensemble ; et puis après on arrivait en répet et on mettait tout ça en place. Après il y avait quand même une grosse partie du travail qui se faisait à quatre. Je considère que l’écriture du morceau ce n’est pas juste paroles et accords…

Le produit final concerne tout le monde, en fait…

Exact et tout le monde était impliqué. On partage tout à quatre, c’est une histoire d’équité, d’équilibre. Je considère que c’est aussi important d’aller chercher le matos, d’avoir une bagnole. Tout est fondamental dans un groupe. Je dirais que j’amène plus les idées de base, les accords et Nico aussi, mais Nico ça va être plutôt des riffs et…

Et du son… ?

Ouais, et après je reprends ces riffs pour trouver autre chose autour. Après, les textes, c’est moi ; Matthieu les corrigeait un peu, maintenant Oliver (Olly Jenkins – nouveau batteur ) les corrige ou donne son avis, mais au final, c’est moi. Ce n’est jamais arrivé qu’on me dise « non, j’ai pas envie que tu chantes ça. ». Et à l’inverse je ne pourrais pas chanter des textes qui ne sont pas les miens. Chanter le texte de quelqu’un d’autre, pour moi, c’est s’exprimer à sa place ; aujourd’hui, dans Parade, ce n’est pas le cas .

Et donc, tout à l’heure, tu as sous-entendu que ton prochain album serait solo et pas un album de Parade. Ou bien ce sont deux albums qui vont arriver ?

Qu’est-ce qui sortira en premier ? Je ne sais pas. Le plus probable c’est que j’ai un EP en solo, 5 à 7 morceaux. Un EP parce que je n’ai pas les thunes pour enregistrer tout l’album. Et puis j’ai besoin que certains morceaux sortent parce qu’ils sont un peu en réaction avec l’actualité récente, même si elle ne risque pas de changer. Et ça me fera aussi du bien. Je pense sortir ça début 2026, si tout se passe bien.

Showcase à Lollipop, 2022 ( photo par Pirlouiiittt)

Et Parade, après ?

Parade, ce sera rentrée 2026. Alors, je te dis ça… il y a 15 jours, je t’aurais dit, ça va être mars/avril. Au plus tard, octobre 2026 ; sachant que nous avons déjà 7 ou 8 morceaux, mais il y a de gros changements au niveau des personnes qui nous accompagnent. Et puis nous avons des situations de vie qui ont changées, certains ont des enfants, Oliver est à Montpellier, et c’est très bien comme ça, c’est l’évolution. Et on se rend compte aussi de la logique un peu barbare de ce milieu où, plus tu montes… Mais nous sommes des personnes sincères, depuis le début. Ca fait partie de ce qu’on apprécie chez nous. En même temps on n’a pas eu des propositions énormes, mais je pense que le niveau du dessus on ne l’a pas atteint à cause, notamment, du COVID et d’autres soucis…

Parce qu’effectivement le COVID a quand même fait un gros coup d’arrêt au moment où les choses partaient bien…

On a tout pris dans la gueule. Deux énormes tournées annulées, les premières, en fait, et des soucis au niveau du groupe qui ont freiné le développement jusqu’à ce qu’on change de batteur, qu’Oliver nous rejoigne et qu’on sorte enfin le 2ème EP, presque trois ans plus tard. On sort un disque tous les trois ans, en fait.

On n’est pas dans le rythme anglais des années 60/70 où les groupes sortaient un 45tours tous les deux mois…

J’adorerais. Emménager dans une maison, écrire le morceau dans la journée, l’enregistrer le soir, le sortir le lendemain, etc… Voilà, mais il y a une logique consumériste dans laquelle je n’ai pas envie de rentrer. C’est compliqué d’être contestataire, entre guillemets, et de rentrer dans tous les codes, payer les pubs, faire des sponsos, des collabs, de prendre les professionnels comme de la viande qu’on se passe, l’un à l’autre. Ce n’est pas notre éthique. L’idée c’est de créer des relations durables. On a un label marseillais que j’adore, avec à sa tête quelqu’un qu’on peut tous aller voir, et ça du sens pour moi. Dans 10 ans, je ne sais pas ce qui va se passer mais j’adore l’idée d’avoir une place, d’avoir pu aider d’autres gens, de faire partie d’une scène.

Oui, parce que tu as commencé à jouer et, assez vite, tu as cherché aussi à organiser, à fédérer des choses.

Mal, mais oui…

Parfois il faut essayer. Comme quand tu as fait les journées de solo à plusieurs, ou fait venir des gens faire des showcases à Lollipop, notamment ton batteur, Olly Jenkins. La première fois, on ne l’a pas vu derrière une batterie, mais avec une guitare et sa voix.

Ah, il m’en doit une bonne lui…

Et quelle expérience !

Il est incroyable, hein ? Je ne sais même pas pourquoi c’est encore mon batteur. Mais c’est parce qu’il a du mal à se vendre et que ce milieu est profondément injuste. Je n’arrive pas à expliquer, avec le talent qu’il a, pourquoi les choses se passent ainsi. Et donc, organiser pour moi c’était normal parce qu’on se rend vite compte, en étant musicien, que, pour qu’une date se fasse, il ne suffit pas que des mecs répètent…

Non, il faut que quelqu’un fasse la démarche…

Pour aider. Nous, on a été aidés au départ par Théo et Louise de Pogy et les Kéfars (autre groupe local) qui nous ont facilité la première date. C’est tout con, mais je me dis que les « solo à plusieurs » étaient peut-être la première date de certains. Et ça permet aussi de créer des liens , même si c’est vraiment à toute petite échelle, très artisanal, mais c’est ça que j’aime dans ce milieu-là. Tu peux faire un truc avec pas grand-chose , ce sont les gens qui rendent le moment sympathique. Et puis c’est essentiellement acoustique, le dimanche aprem en extérieur, ça permet à ma compagne, mais aussi à des familles, de venir au concert sans recevoir des tonnes de décibels dans les oreilles (qui font extrêmement de bien par ailleurs !).

« Tu peux faire un truc avec pas grand-chose , ce sont les gens qui rendent le moment sympathique. »

Alors ça, finalement, c’est une chose que l’on voit beaucoup à Marseille, d’abord parce qu’il y a une scène nombreuse et de qualité, enfin, moi je trouve…

Oui…

On se dit, si on était à Manchester (mais pas forcément actuellement) … mais bon, nous sommes à Marseille. Beaucoup de groupes font des musiques très intéressantes, c’est une scène très variée. Par exemple quand tu prends Avee Mana, Sovox, Parade, ce sont des univers différents ; tu prends Tessina ou les Lodi Gunz. Normalement, ce sont des groupes que tu ne ranges pas dans les mêmes bacs (à disques). Et à Marseille il y a tout ça, et tous ces gens-là sont ensemble. Ils se parlent, ils jouent ensemble…

Pour moi la plus grosse erreur du rock c’est de s’être divisé, créer des sous-catégories et encore plus récemment…

Avec quatre adjectifs pour définir ce que tu joues…

Psycho/Dark/New Wave… nous avons été catalogués dans 55 styles différents. J’ai toujours dit qu’on faisait du rock. Et je ne pense pas qu’à Marseille il y ait d’école, de communautarisme musical…

En tout cas, si ça existe, ça n’empêche pas.

Ça n’empêche pas, tout le monde fait la fête ensemble. Il y a un certain nombre d’endroits, accessibles et très rapprochés. Moi je me rappelle à ma grande époque je faisais le showcase à Lollipop, puis le deuxième concert du Leda (Leda Atomica Musique – salle de concerts), un troisième à l’Intermédiaire (salle de concerts) pour finir à l’Art Haché (after). Maintenant je vois ça avec un œil un peu différent parce que ça commence à faire quelques temps. Je suis déjà de la génération qui vient de passer le témoin à de nouveaux groupes comme Le Bien, La Flemme, Crache, comme Tessina que j’adore et que je trouve phénoménal. C’est assez fantastique pour un gamin de rencontrer ça.

Pochette EP, 2020

Alors, pour revenir sur ces organisations, sur le fait qu’il y a une vraie scène à Marseille, des salles, des labels, des gens qui se bougent et donc, que tout cela tu ne le retrouves pas dans d’autres grandes villes, tu ne l’as pas à Paris, et pourtant… ça ne fait pas décoller le truc. Je me dis ce sont peut-être les structures plus professionnelles qui ne sont pas ici, en fait.

Il y a de ça. Très peu d’attachés de presse, j’en connais deux, même s’il y en a quelques autres. Mais j’ai des copains à Lyon et c’est un tout autre monde. Tu as 10 groupes de Lyon pour un Marseillais…

Alors qu’ici on est dans le DIY à fond, sans doute parce qu’il y a une grosse scène punk et depuis longtemps. Donc il y a cette culture du « tu fais tout seul » mais au final ça reste toujours la taille en dessous, non ?

Nous, on a eu la chance à l’époque de rencontrer La Meson (salle de concerts et +) qui nous a permis de franchir un palier, de nous présenter à Bourges, etc… Actuellement, La Flemme, par exemple, travaille avec un label belge, alors peut-être qu’il faut aussi aller chercher des soutiens ailleurs… Mais je pense que les gens de ma génération et de celles d’avant avaient un peu dans la tête de se dire : « On est à Marseille, personne ne nous regarde, on est entre nous et on fait des choses. ». C’est aussi ce qui fait cette scène hyper florissante. Et qui fait que, quand tu fais Peter Von Poehl (ex-guitariste d’AS Dragon –écurie Bertrand Burgalat, cinq albums solos, des musiques de film, etc…) en showcase à Lollipop, tu as deux fois moins de monde que pour Flathead (autre groupe local qui vient de sortir son album).

C’est peut-être une scène qui s’est un peu refermée sur elle-même ?

Ouais, mais j’ai l’impression qu’elle s’ouvre en ce moment. Avenoir (autre groupe local), viennent de se séparer mais bon, ils ont travaillé avec une attachée de presse, ils ont eu des articles dans Rock & Folk ; ou Tessina, ça va s’exporter, ce n’est pas possible autrement ; un groupe comme Avee Mana aussi. J’ai le sentiment qu’on a un peu ouvert la voie avec Sovox, par exemple, en se disant que c’est pas parce qu’on vient de Marseille, c’est pas parce qu’on fait du rock que ça ne va pas le faire.

Effectivement, ça peut le faire et ça doit le faire, mais j’ai l’impression que tout ce qui a favorisé ce bouillonnement c’est en même temps ce qui le sclérose un peu. Ce côté, on est à Marseille il ne se passe rien, a fait qu’il se passe énormément de choses, plein de personnes s’investissent et en même temps, ça reste toujours à un niveau artisanal…

Oui, peut-être nous sommes un exemple de cela par le comportement qu’on a pu avoir vis-à-vis de professionnels. On n’était pas forcément ouverts à la discussion. Et puis, tu vois, si le groupe marche un peu en dehors de Marseille, ici on va dire « Ouais, mais c’est des vendus… ».

Oui, mais ça a toujours été. Tant que le groupe est underground, il est bien, et dès qu’il commence à vendre, c’est moins bien qu’avant… ce qui n’est pas vrai.

Non, évidemment. Pete Doherty, a dit « tu peux être punk jusqu’au moment où ça commence à marcher… » parce qu’il y a des choses que tu ne peux plus chanter. Un type comme Bono, qui va faire Live Aid, et qui gagne autant de thunes avec son portefeuille d’actions qu’avec sa musique… c’est compliqué. Moi ce que je note à Marseille qui est cool, c’est la transmission intergénérationnelle. En tout cas pour un gamin comme moi, c’était fantastique d’avoir accès à des gens comme toi (promis, je ne le lui ai pas soufflé – mais j’allais pas l’enlever, non plus… NDLA), comme Michel (Michel Basly – guitariste/chanteur des Cowboys from Outerspace), comme Steph et Polo (cf. Lollipop). Et d’avoir des gens comme Catherine (Catherine Biasetto – « imajoueuse », comme elle dit) ou Doog (Doog Mc’Hell – photographe) qui prennent des photos en étant non seulement passionnés de rock, mais passionnés des gens. Ces choses pour moi ont une valeur hyper forte. C’est beau de voir que les groupes jouent tous ensemble, que j’ai pu participer à ton disque, à celui de Polo, il y a un côté très facilitant et très bienveillant qu’on doit conserver.

Oui, et David (David Hoffman – Flathead) aussi est venu jouer avec moi, c’est la même génération que toi, et en fait il n’y a pas de problème de génération parce qu’on partage une idée de ce qu’est le rock…

On est tous marseillais avant de faire du rock. Je crois que c’est Olivier Norek qui disait dans un thinker view récent que Marseille n’est pas très communautariste, les gens sont marseillais avant tout. Il y a ce côté-là et pourtant, moi, je ne suis pas de Marseille, mais je suis (presque) complètement marseillais.

Parade sur scène ( 2024 ) FB Parade – Band

J’avais noté dans les questions à poser : « c’est quoi ton déclic musical ? ». Parce qu’on lit souvent des phrases du genre « J’ai entendu tel morceau et c’est là que j’ai su ce que je voulais faire » …

Henri Dès (rires)

Mais, pourquoi pas…

C’est le premier que j’ai vu en concert, je devais avoir 3 ans. Je n’en ai aucun souvenir mais je sais que j’avais des cassettes… Non, je ne sais pas, je vais très peu voir des gros concerts , c’est extrêmement cadré, cher… Dans les bars ça ne compte pas mais dans les grandes salles, depuis tout petit, je veux savoir ce qui se passe derrière, alors, comment on fait pour y aller.

Je te parlais de ça parce que je pensais à un bouquin sur Bowie que j’avais lu, et là, en fait, ce n’était pas devenir musicien mais devenir rock-critique, et, en tout cas, réaliser que la musique va être ta vie. Lui, son déclic c’était quand il avait vu la première apparition de Ziggy Stardust à la BBC… Le mien de déclic je crois que c’est quand j’ai acheté le 45tours de T. Rex « Children of the revolution ».

C’est pas mal… Mais il y avait Ziggy Stardust dans la voiture de mon père, et Shania Twain aussi, et Harvest.

Est-ce que ça t’arrive d’écouter un morceau et de te dire celui-là j’aurais voulu l’écrire ?

Tout le temps ! Il n’y en a pas un où ça ne me fait pas ça. (rires)

Et le dernier ?

Sparklehorse « Sick of goodbyes ».

Est-ce que tu arrives à écouter, voir un groupe sur scène, en faisant abstraction de ce que ça représente comme travail ?

Tout le temps.

Alors, j’ai mal formulé mon propos, c’est plutôt quand tu n’aimes pas, te dire oui mais bon, il y a du travail, etc…

Non, quand je n’aime pas, je n’aime pas. Et parfois j’aime, même si ce n’est pas carré et très foutraque. Ça peut ne pas être carré, si tu as vu les Lodi Gunz ou un mec comme Shep, la première fois…

… oui, la première fois je l’ai vu tout seul à Lollipop… et ce n’était sans doute pas vraiment carré mais je me suis dit « là, il se passe quelque chose, il y a quelqu’un » …

Ben ouais…

Et ça m’a fait ça la première fois où j’ai vu Sovox. J’ai vu Vicenzo et … tu ne te poses pas la question en fait de savoir si la musique te plait ; tu te dis « Je vois quelqu’un qui a quelque chose ».

C’est ça. Je n’ai jamais écouté un solo de guitare en me disant… le son… sans doute un peu plus maintenant, si le truc me plait, ça le fait. Ça peut être de la pop. Quand je vais voir des petits groupes, c’est la sincérité qui compte. Si le projet est sincère, même si la musique ne me plait pas, je vais avoir tendance à pousser. Si je sens à l’inverse que c’est trop réfléchi, fait pour ressembler à untel ou untel, je sors complètement de la musique. S’il y a une incohérence entre les gens sur scène et ce que je reçois. C’est totalement subjectif et pas forcément lié à la qualité. Et quand je programme, je n’écoute pas forcément avant ; je parle avec des gens…

Tu te dis, lui il a quelque chose à dire ou sa façon de parler, ça me va…

C’est ça. Après tout ce n’est pas forcément à moi de juger. Ce n’est pas parce que tu es en position de programmer que ça doit se faire uniquement sur tes goûts. C’est un équilibre. Parfois c’est pour faire plaisir, pour sortir un pote du marasme et parfois ce sont des coups de cœur. Tessina, c’est un coup de cœur absolu, dès que je peux parler d’elles à quelqu’un, je le fais, même si maintenant elles n’ ont plus trop besoin de moi, mais au début j’ai pu le faire à de nombreuses reprises.

« Ce n’est pas parce que tu es en position de programmer que ça doit se faire uniquement sur tes goûts. C’est un équilibre »

Ah oui, et Simon and Garfunkel pour la révélation !

(c’est là que je réalise que je ne suis pas le seul à garder un truc en tête pour reprendre la discussion dix minutes en arrière).

Alors, je crois que les questions intelligentes, je les ai déjà toutes posées (rires)… Ah oui, on t’a vu bassiste aussi ! Ça t’a apporté quoi ? De l’expérience…

Du plaisir, de tourner avec des gens que j’aime énormément.

Parce que là, tu étais impliqué moins personnellement dans la musique…

Je n’arrive pas à moins m’impliquer. Dans la création, oui, car ce n’était pas mes morceaux, mais dans l’organisation, trouver des dates, structurer le projet, notamment pour Abstract Puppet avec Alexis, à qui j’ai plus ou moins soumis l’idée de faire un groupe avec ses chansons. Et avec Pleasures, c’était aussi parce que j’avais du temps et que ça m’a permis d’apprendre un nouvel instrument ; et de me rendre compte que ça ne me convenait pas trop d’être à cette place (NDLR : de bassiste). Mais j’ai adoré tout le reste et déjà les concerts. Faire partie d’un groupe avec Stéphane c’était fort. Accompagner Simon (Simon Granier, batteur de Pleasures et The Elephant Green) qui serait peut-être parti si je n’étais pas arrivé. Il revenait de Belgique, il n’avait pas trop de plans… C’était humain, en fait, vraiment humain. Et puis j’aime bien Pleasures, je trouve que les morceaux sont cools, j’adore Pat (Patrick Atkinson, guitariste/chanteur de Pleasures). Il a une histoire intéressante et un passé de musicien costaud. Et puis, ce que je dis toujours, c’est que tous les groupes où j’ai fait de la basse sont meilleurs depuis que je n’en fais plus. (rires)… C’est excellent…

Tu leur as montré ce qu’il ne fallait pas faire ?

Ouais, non mais je n’étais pas bassiste. Mais peut-être que j’ai écrit des lignes de basse sympa, j’ai enregistré un album à la basse. Rudy (Rudy Romeur – Dynamite Studio) a passé trois jours à éditer mes pistes (NDLR : technologie numérique destinée à corriger des imprécisions rythmiques) … Mais voilà, ce sont des moments… Et puis des souvenirs. Parfois, tu ne te rends pas compte, c’est chiant, ramener le matos… Mais au final j’en suis très content, je me suis régalé à faire ça.

Tournée 2025

Quand on parle de musique et que l’on parle des influences, on évoque principalement les influences directement musicales, mais je pense que quand tu écris ou composes, ce ne sont pas simplement des musiques qui t’influencent. Il y a ce que tu lis, ce que tu vois…

C’est pour ça que parfois je booke des gens sans avoir écouté leur musique. Normalement, ta musique elle est censée être un peu le reflet de ce que tu es. Je suis moins branché bouquins, mais les journaux, j’en lis énormément : géopolitique, économie, sociologie. Je suis passionné de sociologie. Je pense que je faisais ça à la banque…

… tu faisais une revue de presse de sociologie ?

Non, mais rencontrer des gens différents. Avoir accès, à peu près, à toute leur vie. Le côté confidences, parce que les gens en disent peut-être plus chez le banquier que chez le médecin ; ils sont un peu obligés. Je pense que tout ça m’a influencé, l’éducation, le rapport que j’ai avec mes parents… Il y a peut-être des choses que je m’interdis de faire parce que je me dis que ça ne serait pas moi… et donc tout cela est dans une continuité de ce que je fais, ce que je suis. S’il ne s’était pas passé tel événement, il n’y aurait jamais eu ce morceau. L’influence d’un morceau c’est une émotion ; ça va être une rupture amoureuse, un décès, un moment de joie ou un énervement… Tout est ensuite catalysé dans une musique qu’on peut écouter, mais, avant tout, c’est la vie. Et le but, je pense d’un artiste – j’aime pas le mot, un musicien est censé transmettre des émotions. Sinon ça ne sert à rien.

Et pour les transmettre il faut déjà les avoir ressenties.

Oui… ou alors faut être doué (rires) ! Mais les sujets d’inspiration sont constants. C’est du vol, la musique. Pas le vol de suites d’accords, c’est plus le vol de moments, de personnes…

D’un instant qui appartient peut-être à quelqu’un d’autre et que toi tu as capturé pour en faire autre chose…

Lou Reed, là-dessus était assez énorme. Je crois que mes deux modèles d’écriture, même si je n’écris pas du tout comme eux, sont Lou Reed d’un côté et Bob Dylan de l’autre. Il y en a un qui est très métaphorique et limite je-m’en-foutiste et qui raconte une histoire insensée qui finit par sonner juste. Et des gens sont encore en train de se demander ce qu’il voulait dire et lui, je pense qu’il s’en fout.

Ce n’est pas obligé que les autres comprennent. Lui, il sait ce qu’il a écrit, il sait pourquoi…

C’est ça… Lou Reed est plus direct, très malaisant sans trop le dire… Mais une fois de plus, je reviens sur Brassens, alors, pas sur les mots, mais sur la diction, le phrasé que je trouve au final proche d’un mec comme Pete Doherty, qui est le héros absolu de ça, qui arrive à faire tomber un grand rond dans un petit carré.

Quand tu composes, est-ce que tu démarres avec une mélodie, une suite d’accords ou une envie d’écrire telle phrase ou avec un sujet, ou est-ce que ça peut être n’importe quoi ?

99% du temps, sauf quand j’écris en français mais comme tu as pu le voir, je n’ai jamais rien écrit en français, j’improvise des suites d’accords et je chante par-dessus. Juste une mélodie et j’essaie d’enregistrer ça sur le dictaphone. J’écris en me basant sur cette mélodie et il m’est arrivé, peut-être touché par la grâce (sourire), d’avoir un texte quasiment écrit qui vient comme ça. Donc, dans cet ordre-là. J’ai l’impression que ce sont les mots qui doivent s’adapter à la musique et l’inverse est plus difficile. En tous cas, j’ai beaucoup plus de mal. Je pense que j’écris mieux les textes que la musique donc je commence par ce que je maitrise le moins.

Parce que tu penses que ça va être plus compliqué pour toi d’écrire la musique que de trouver les mots ?

J’ai jamais réussi. J’écris plein de poèmes ou de textes comme ça et je n’ai jamais réussi à les mettre en musique ou plutôt à les assumer en public…

En fait, une fois que c’est écrit tu n’arrives plus à aller sur autre chose, il faut que tu partes de la musique, que les mots viennent sur la musique et pas avant.

Pour l’instant c’est comme ça. Je réfléchis à essayer autrement, mais c’est une histoire de mood. Souvent je suis à la maison j’ai des bouts de morceaux qui viennent et je demande à ma compagne ce qu’elle en pense. Si elle me dit « … », je me dis bon (dans le sens de laissons tomber) ; si elle me dit « c’est bien », je me dis « ah ? » ; et si elle me dit « ah, celle-là ! ». Et en fait, elle n’a jamais tort. Récemment, j’ai trouvé un super morceau et sur ma tournée solo, les gens l’ont pointé particulièrement. Donc c’est comme ça… Parfois je me dis que c’est un travail de branleur, mais en fait c’est un travail de fourmi. Parfois j’ai l’impression de trouver un morceau à l’instant T et j’écoute le dictaphone et je l’avais déjà 3 mois plus tôt ; il fallait simplement que l’idée mûrisse.

Ou quand tu penses que tu l’as fait en 3 minutes et qu’il y a tout le temps que tu vas passer derrière jusqu’à le sortir.

J’ai toujours dit qu’il fallait 5 minutes pour écrire parce qu’un bon morceau doit être immédiat, il doit rentrer immédiatement et plaire pour longtemps. Et tu ne t’expliques pourquoi Mi-La, pendant 5 ans, ça ne sonne pas ; et un matin, Mi-La, c’est énorme. Ou alors, je me trompe et c’est à force de le répéter…

C’est de l’auto-persuasion ? (rires)

Ouais, peut-être

Donc, on a évité le sempiternel « mais ça ressemble à quel groupe ? ». On a juste parlé de Pulp, et c’est toi qui l’as dit, alors que je l’avais suggéré à vos débuts…

C’est vrai ça. Je connaissais juste « Common People », mais à peine. Je ne connaissais rien de Pulp. Et là, j’y retombe à fond en ce moment. Le premier, le vert (NDLR : It) ou « Cocaïne Socialism », je crois qu’il est sur His ‘N’ Hers (NDLR : en fait, il est sur This is hardcore). Le truc c’est Razorlight, dont personne ne me parle jamais et qui est… (suspension soulignant l’importance…)

Chacun entend ce qu’il connait déjà…

C’est normal… Il y a une chose qui est particulièrement importante c’est que j’étais centré sur des personnalités, plus que sur des groupes. C’était Billie Joe Armstrong de Green Day, Johnny Borrell de Razorlight, Pete Doherty, Ian Curtis de Joy Division, Adrian Borland… Avant tout, mon obsession était sur l’individu et je m’intéressais beaucoup à leur vie. Pour moi, la musique que tu fais est liée à qui tu es, et doit être liée à ça, sinon tu commences à mentir.

Quelle est la question idiote que je ne t’ai pas posée et ça tombe bien parce que tu ne voulais pas que je la pose ?

Pourquoi tu chantes en anglais ? je crois que c’est celle-là. Celle-là, c’est vraiment la question la plus… Mais en réalité c’est bienveillant de la part de ceux qui la posent, parce qu’ils veulent que tu réussisses. Mais quand tu vas voir ton cousin qui travaille chez Suez est-ce que tu crois qu’il a l’ambition d’entrer au comité de direction, d’être PDG ?

Pas forcément…

Voilà. Je n’ai pas envie d’être PDG, pas les capacités, pas les moyens, pas l’entourage… J’ai envie de vivre de ma musique mais pas dans le sens financier ; de vivre autour de ma musique, savoir que ma compagne me suit… Aujourd’hui c’est bien plus important que…

… que d’enregistrer un album sur un gros label, de partir en tournée et jouer à l’Olympia…

Oui, parce que comment je vais finir ? Bien sûr que je rêve de faire l’Olympia, mais plus comme mon copain de Brother Junior (autre groupe local), en première partie des Stranglers, devant son fils adolescent et sa femme et voilà. Lui, c’est juste un putain de modèle ! et il y en a plein d’autres à Marseille. Il a d’ailleurs fait une apparition 3 semaines plus tard au « solo à plusieurs » sur la Plaine !

Photo par Olivier Scher ( Le Musicodrome )

Il y a des personnes que j’ai découvertes à cette occasion, par exemple Rémy (Rémy Bernard, guitariste/chanteur d’Avee Mana), le jour de la fête du vélo, j’ai vu jouer ce mec et c’était…

C’est super bien.

… et depuis on reste en contact…

C’est le but. Ce sont ces rencontres qui se font comme ça.… Et au début tu te dis que ça va être compliqué à organiser mais non. Tu prends ton ordi, tu crées un événement, tu envoies des invits ; là c’était avec le soutien de la Fête du Vélo, avant c’était Anaelle (boss de l’Intermédiaire – salle de concerts) et la générosité de certains qui n’ont pas voulu d’argent, je ne cite pas de noms (rires). Et essayer de donner un peu d’argent, pas pour payer un travail mais plutôt pour valoriser un effort, une présence ; malheureusement l’argent reste important pour qu’on continue tous à faire…

C’est un moyen qui, à un moment, pour certains, a une importance, donc, quand on peut le faire, c’est bien…

Voilà. Et la solidarité. Moi, ça m’est arrivé, en solo, par exemple Olivier (Olivier Boutry) et Ask the light, qui te laissent la caisse et tu repars d’un concert solo avec 200 €. Je l’ai fait aussi pour plein de groupes. Et parfois ce sont des petites sommes, mais l’intention compte énormément. Ça va être 40€, mais c’est aussi ça, faire partie d’un monde qui est en galère et qui ne vit que par l’implication de tout le monde. S’appliquer les principes de vie qu’on voudrait pour tout le monde. C’est pour ça que parfois on devrait être plus ouverts avec les gens qui ne nous connaissent pas, qui sont là pour la première fois, les aider à mieux appréhender ce qu’est la scène locale, leur parler du Vortex (l’info des petites salles). Expliquer que ce n’est pas juste un concert. C’est un engagement. Phocea Rocks (association), Cookie (organisateur), la Salle Gueule (salle de concerts), chacun fait des choses avec ses compétences. C’est comme une équipe de sport collectif… Et puis, les photographes aussi, qui sont là. Tout le monde se demande si les musiciens sont un peu payés, mais les photographes, pas du tout, jamais !

Bon, je pense qu’on a fait à peu près le tour, il y a un sujet ou autre sur lequel tu voudrais terminer ?

Je crois qu’on a déjà beaucoup parlé, tu vas galérer pour faire le tri… juste je pense qu’il ne faut pas perdre le sens des priorités. C’est bien la scène, c’est bien le rock… il faut penser à tout le reste : les relations amicales, les relations amoureuses, préserver ces choses qui peuvent être abîmées par ce contexte « festif », avoir une éthique forte parce qu’il ne nous reste plus grand-chose sinon.

Et en étant toi-même…

Oui. Mais bon, ce n’est que de la musique. Je vois ma compagne, elle passe ses nuits à sauver des bébés qu’elle balade dans des machines qui font vingt fois leur taille…

Alors on va dire, il y a des milliers ou des millions de médecins, et pas des milliers de Neil Young, qui pourtant apporte aussi beaucoup.

Certains grands artistes ont peut-être sauvés plus de vies que le plus grand des médecins ; ceci dit, d’autres grands artistes en ont brisé un paquet.

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One comment
  1. Salvignol

    Un musicien dans l’âme avec une humanité à fleur de peau qui ne sortira pas de sa ligne de conduite artistique faite de partage et de sincérité ,à son bénéfice et celui de ceux qui l’entendent et savent l’écouter.
    Mérite le succès seul ou accompagné par ceux qui sont à l’unis.son

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