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D Day or not D Day? Rencontre avec les disquaires d’Aberdeen Records ( Biarritz ) et Fuzz ( Bayonne )

Le Disquaire Day a eu lieu il y a deux semaines et j’avoue que, jusqu’à présent, je ne m’étais jamais vraiment senti très concerné. Cependant, lors de mon séjour au Pays Basque où j’ai quelques habitudes, j’ai pu y observer l’évènement de plus près, comme tout le microcosme qui s’agitait autour. Connaissant Mathieu d’Aberdeen Records, récent disquaire installé à Biarritz et Vincent de Fuzz à Bayonne, deux personnes investies dans le milieu musical, aussi sympathiques que différentes, j’ai eu l’envie soudaine de confronter leurs réflexions sur l’évènement, ainsi que sur leurs propres visions du monde de la musique aujourd’hui. Ceci s’est fait au travers d’un échange spontané , dans le cadre de leur activité journalière et je les remercie de leur accueil. Magnéto Serge !

Le premier à passer sous le feu ( amical) de mes questions est Mathieu d’Aberdeen Records.

Mathieu Parisot, Aberdeen Records ( Biarritz )

Salut Mathieu, peux-tu te présenter à nos lecteurs de Dark Globe ?

Je suis Mathieu Parisot, j’ai 47 ans, je gère Aberdeen Records à Biarritz. Je suis un passionné de musique depuis tout gamin où, à l’âge de 9 ans, j’ai commencé une collection de vinyles sans jamais m’arrêter. Et d’ailleurs, quand je pense à tous ces gens qui disent avoir bazardé tous leurs vinyles parce que ce n’était plus au goût du jour, j’ai du mal à comprendre…bref. En fait, je rêvais d’être disquaire mais je n’avais pas franchi le pas. Après une expérience de vie un peu compliquée ici, sauf professionnellement, j’ai totalement repensé ma vie et mon rêve de disquaire s’est imposé comme une évidence. Après 7 ans dans le commerce dans la région, j’ai fait tapis en investissant tout ce que j’avais, et Aberdeen Records est né pour le Disquaire Day en 2023.

Pourquoi le nom d’Aberdeen Records ?

C’est la ville natale de Kurt Cobain, étant fan de Nirvana cela m’a semblé pertinent.

Et bien rentrons dans le vif du sujet. Quel retour as-tu de ce Disquaire Day 2025 ?

De mon expérience du commerce, je ne connais pas meilleure opération que le DD. Tu trouves des disques ce jour-là que tu ne trouve pas ailleurs ou sur internet, c’est parfait. On peut se poser plein de questions légitimes sur le côté rare ou les prix…-Nous y reviendrons (ndlr)-. En ce qui concerne la rareté, l’année dernière j’ai rencontré l’un des inventeurs aux Etats-Unis du concept DD, Michael Kurtz, qui disait que la limitation du nombre d’exemplaires était plutôt en rapport avec le type d’artiste. 50.000 n’est peut-être pas assez pour Taylor Swift, mais 15.000 est peut être trop pour les Doors, groupe que j’adore tout particulièrement et d’ailleurs les ayants droits qui font ça pour le fun ont même limité les sorties à 10.000… Les Doors enregistraient toutes leurs prestations live dans de bonnes conditions, et à chaque sortie j’en prends pour moi, redécouvrant un moment de leur vie, c’est magique !

La quantité est un point de vue. Peut-être y-a-t’il trop d’Etienne Daho version remix mais ça peut être bien à découvrir pour les fans. J’adore le Disquaire Day parce que cela crée aussi des ponts entre les artistes et leurs fans. Et oui, les majors ont bien compris et s’engouffrent dans le truc et se sont emparés des slots de production. Il y a quelques années il y a eu le Adèle Gate et par exemple un artiste comme Neil Young ,qui sortait facilement des vinyles à la volée, avait dû attendre plus de 6 mois. Ce qui l’avait mis en rage, comprenant que tout avait été verrouillé pour Adèle, à grand renforts de marketing pour que son disque sorte sur toutes les plateformes et les supports en même temps. Les petits labels qui avaient bien impacté à l’époque, me disent que maintenant, s’ils ont perdu en flexibilité, ils ont gagné en sécurité en planifiant mieux, pour sortir simultanément en magasin ou sur Spotify.

« De mon expérience du commerce, je ne connais pas meilleure opération que le DD. Tu trouves des disques ce jour-là que tu ne trouves pas ailleurs ou sur internet, c’est parfait. » (Mathieu)

Je vais encore enfoncer le clou mais le vinyle n’est-il pas devenu un luxe ?

Le prix…oui je sais…un vinyle à moins de 30€ ça devient rare en sortie… Mais tout augmente, le coût de la vie augmente…Et les fabricants d’usine ont eux aussi augmenté leurs coûts de production…

Oui, mais c’est tout de même fou de voir des vinyles avoisiner les 60€…

Tu sais, je vais prendre l’exemple du disque de Cindy Lee qui chez  Ballade Sonore, disquaire Parisien très bobo et qui cartonne, a été vendu à 100 exemplaires à 59€…

J’ai le sentiment que tu as une clientèle un peu bobo toi aussi…Non ?

Oui, bien sûr, c’est méga bobo à Biarritz, mais pas seulement. Et cela reste difficile de faire un profil type, ça va du novice au passionné très éclairé qui vient pour racheter tout ce qu’il avait jeté il y a longtemps. Et tous les âges, jusqu’à la jeune fille qui vient pour un disque de Britney Spears, c’est cool. Ce retour au vinyle traduit aussi une volonté de certains à soutenir les artistes qui ne s’en sortent pas avec les plateformes. Ce n’est plus une mode mais une tendance de fond.

N’as-tu pas l’impression, comme j’ai pu le voir, que certains adoptent une posture presque snob en se gargarisant du fait qu’écouter de la musique sur vinyle serait la seule façon qui vaille ?

Ahah oui il y en a ! Et c’est aussi mon rôle de disquaire de les désamorcer. Parfois des clients viennent me voir avec l’idée de se refaire une collection de classiques…euh pour moi cela ne veut rien dire, parce que la vraie question est savoir ce qu’on aime, pas quels sont les vinyles qu’il faut avoir, ça n’a pas de sens ! Il faut écouter un vinyle parce qu’on l’aime et non pas étant influencé par une quelconque tendance ou supposée comme telle. Certains m’ont même demandé de leur faire une sélection de 10 disques par mois, c’est ridicule, c’est à eux de le faire ou alors qu’ils viennent me voir pour en parler. Je ne suis pas là pour imposer quoi que ce soit, mais pour passer…Un jour, on m’a aussi demandé quel était le disque le plus cher dans ma collection perso ? Ça n’a pas d’intérêt, c’est juste de la musique et c’est aussi pourquoi je ne suis pas hystérique avec les originaux. Et si je ne vends que du neuf, je dois dire que de plus en plus les rééditions sont parfois meilleures en termes de son, de pochettes ou de photos…Bref c’est un débat sans fin.

Ne crois-tu pas que le marketing des majors ait un peu dévoyé le mot vintage, en l’associant au vinyle ? Et réussi leur coup de com?

Je haïs le mot vintage ! On peut lui faire dire n’importe quoi et on peut l’associer à tout. Tu vois, le live de David Bowie de 2003 qui n’était jamais sorti en vinyle, c’est pas une vieillerie. Moi je ne vis pas dans le passé mais j’évoque simplement et j’argumente pour humblement faire évoluer la culture musicale des gens qui viennent, c’est aussi mon ça mon métier…Voilà pourquoi j’adore le Disquaire Day et tu peux l’écrire en énorme!!! (rires)

Aberdeen records – sous – sol ( Biarritz )

Parlons de ton nouvel espace…

Je viens de l’ouvrir pour le Disquaire Day. J’ai trois niveaux à ma disposition avec 7000 vinyles. Au Rdc j’ai choisi de mettre le pop/rock, les nouveautés, le classic-rock et les artistes français parce que c’est aussi un lieu de passage touristique. A l’étage on trouve l’électro, le métal, le hip-hop. On va y développer un coin livres sur la musique et du merchandising, sweat, t-shirt en coton bio. Au sous-sol c’est la soul, funk, reggae, musiques de films et jazz. Et à terme je veux créer un auditorium, et proposer du matériel ou des solutions pour écouter du vinyle, enceintes amplifiées etc…Et aussi j’aimerais bien organiser des show-cases avec des artistes locaux ou de passage…Bref il y a beaucoup de projets en devenir.  

Finalement tu te verrais bien comme un John Cusack ou Jack Black dans le film High Fidelity, t’enthousiasmant sur des disques ?

(Rires) Ahah oui c’est amusant mais pas faux ! L’important c’est ce que l’on ressent à l‘écoute… Et comme l’a dit Nietzsche « Sans la musique la vie serait une erreur »…

Merci Mathieu! Je reprends mon chemin de reporter Dark Globe et, quelques kilomètres plus loin, me voici à Bayonne pour y rencontrer Vincent de Fuzz, second magasin et disquaire que je visiterai dans cette enquête…

Vincent Méryl, Fuzz ( Bayonne)

Salut Vincent, peux-tu te présenter aux lecteurs de Dark Globe ?

Salut Olivier, je m’appelle Vincent Mery, j’ai 41 ans et je suis le gérant de Fuzz Bayonne. Dans un passé proche, j’ai travaillé chez Guitar Shop une chaine de magasins de guitares où je gérais celui de Biarritz, puis quand la chaine a coulé, j’ai eu envie de rester dans la région parce que c’est très agréable et c’est difficile d’en partir. J’ai ouvert Fuzz en 2016 à Bayonne, la grosse ville du coin, plutôt jeune et dynamique et qui me semblait un choix évident me correspondant bien.

Et d’ailleurs je t’avais acheté à l’époque une Gibson Les Paul Jr d’occasion, que j’ai toujours…

Tu as raison c’est une très bonne guitare qui va à l’essentiel (rire)

Donc, comme je sais que tu es musicien, nul besoin de s’attarder sur le choix du nom Fuzz, mais comment définis-tu ton activité ?

(rires)…Oui, le nom est évident je crois…Fuzz est un magasin de musique au sens large puisqu’on vend des disques, des guitares, des pédales d’effets, des accessoires pour guitaristes et du merchandising. J’avais surtout envie de concilier les trois choses que j’aime, à savoir, les guitares, les disques et les t-shirts de groupes.

Fuzz, Bayonne

Puisque tu vends des vinyles, j’ai lu une citation de Philippe Manœuvre, sommité du Rock pour certains, déclarant que « le vinyle est un objet de culture devenu culte ». Qu’est-ce que cela t’inspire ?

(rires)Je pense avoir lu un certain nombre de chroniques de lui, disant que Blade Runner était nul, Freddie Mercury un chanteur de merde, que Brian Johnson ne savait pas chanter, AC/DC un groupe de gros dégueulasses…etc…bref…(rires)… Ok…dans le fond il n’a pas tort, mais peut-être pense t-il à sa génération. Quand vous étiez mômes, (– là c’est moi qui rigole ayant seulement 8 ans de différence avec le dénommé P.M, donc assez concerné finalement –ndla), le vinyle était le seul support de musique que vous aviez, avec la K7. Oui, là c’est culte pour ta génération…Mais objectivement, en regardant bien, aujourd’hui on n’a pas besoin de ça pour écouter de la musique… Il y a un rapport à cet objet qui est bien différent d’avant.

Et ce Disquaire Day ?

C’est un truc auquel je ne veux pas participer, car c’est le summum de la mercantilisation de l’objet disque et ce n’est pas ma culture. J’ai parfaitement conscience que c’est un moyen pour gagner beaucoup d’argent sur une journée, et je vois bien ce concept qui est de sortir des disques en éditions limitées pour les vendre le plus cher possible. Et il y a un truc qui m’énerve franchement, c’est lorsque tu sors une nouveauté qui marche, 6 mois après arrive la version dite Deluxe, augmentée de 4 lives et 3 inédits. Au bout du compte on prend le fan de base qui a acheté la 1ère version pour un con, et après ce fan de base se sent presque obligé de racheter la nouvelle version et c’est fait exprès. Le music business dans toute son horreur. Je me souviens aussi lorsqu’en 2010 tous les Led Zeppelin étaient ressortis avec un nouveau mastering, avec en plus des outtakes sélectionnées par Jimmy Page himself.  J’avais tout racheté comme un…humm…et franchement ces versions n’avaient aucun intérêt. T’as pas envie d’entendre une énième prise de « Black Dog » sans la voix, ça ne veut rien dire !

« J’ai parfaitement conscience que c’est un moyen pour gagner beaucoup d’argent sur une journée, et je vois bien ce concept qui est de sortir des disques en éditions limitées pour les vendre le plus cher possible » (Vincent)

Vu comme ça, je crois avoir une petite idée de ton avis sur les prix…

Beaucoup trop élevés ! C’est même devenu un luxe et assez récemment d’ailleurs. A partir du covid, j’ai commencé à comprendre qu’une certaine entente entre Sony, Warner Music et Universal c’était mise en place pour traire les gens au max et ça me gène carrément pour ne pas dire autre chose. Je prends l’exemple de l’Unplugged de Nirvana qui était rarement au dessus de 12€, et bien… hop, comme par magie il est passé à 30€. Du coup j’ai arrêté d’en commander comme d’autres références dont les prix avaient été multipliés par 2 ou 3, pendant quelques mois. Mais le plus hallucinant était le nombre de gens qui me les demandaient, même au prix fort et à qui de devais expliquer que cela me paraissait indigne de le proposer à ce tarif.

Mais sur un terrain strictement musical, j’écoute beaucoup et je trouve que la qualité du songwriting a baissé. Prenons l’exemple d’un disque de 8 chansons, la maison de disques propose 6 clips et à chaque fois tu t’attends à ce que la qualité de chaque morceau soit crescendo, mais ce n’est plus vraiment le cas. T’as envie d’entendre une mélodie, un refrain qui t’accroche sans que ce soit de la soupe. Donc, vu les prix ça fait parfois cher pour pas grand chose. Nous sommes à l’inverse du « Le prix s’oublie, la qualité reste » (Audiard)…C’est juste de la com ! Il y a de moins en moins de grands compositeurs de chansons et j’en viens même à me demander s’ils ne manquent pas un peu de culture musicale, ce qui est étonnant avec le nombre de bons trucs qu’il y a eu avant.

Penses-tu qu’on ait tout eu en termes de courants musicaux ?

(Rires)…Ah je te renvoie la question mon cher Olivier…A-t’on tout eu ou y-a-t’il des choses à venir ?

Hummm…je ne veux pas me défiler mais comme ma réponse prendrait trop de temps…je te dirais simplement de regarder les 25 dernières années, voire les 40, puis de regarder aujourd’hui et tu auras une idée de ma réponse…(rires)

Enfin, quel type de personnes vient te voir ?

Ici je n’ai pas une clientèle très jeune, mais plutôt des quadras et des musiciens qui savent ce qu’ils veulent et quoi trouver ici, rarement des néophytes. On vient pour y trouver des disques, du blues au rock, toutes tendances, du métal, de l’alternatif 90’s mais pas du hip hop ou du Jazz, ni Madonna, Taylor Swift ou Billie Eilish. D’autres font ça mieux que moi. Quand j’ai ouvert en 2016, je pensais que les gens seraient les mêmes à acheter des guitares et des vinyles, c’est rare en fait. Je ne propose que des vinyles neufs, j’ai environ 1300 disques, qui ne sont heureusement pas tous à 40€, tout dépend du distributeur, Warner étant les pires . Et puis j’ai 200 guitares à coté de ça. Je rencontre des passionnés qui ont un rapport à l’objet assez sain. Ils ne s’en servent pas pour flatter un ego, se gargarisant avec des « moi j’écoute du vinyle » pompeusement. Par ailleurs, j’entends beaucoup cracher sur le streaming alors que j’aurais adoré avoir ça ado. Si tu es passionné de musique et que c’est ta pratique d’écoute, ce n’est pas un problème, il faut arrêter de culpabiliser les gens. Ce qui compte est d’écouter de la musique !

CQFD ? Je vous laisse à votre idée…

Fuzz , Bayonne

Un grand merci à Vincent Mery (Fuzz) et Mathieu Parisot (Aberdeen Records) pour leur accueil, leur disponibilité et leur temps…

Image mise en avant : Aberdeen Records ( Biarritz) . Photos Dark Globe.fr

Liens vers les sites des deux disquaires:

Aberdeen Records 3 rue du Helder 64200 Biarritz

Fuzz Bayonne 12 rue Albert 1er 64100 Bayonne

3 comments
  1. paldacci

    Tres bon article, les 2 faces d’1 meme sujet, entierement d’accord avec les 2 disquaires.

  2. Hervé Zwingelstein

    Très bien causé Mr Vincent! :-)
    Je peux comprendre que la nostalgie nous pousse à acheter des vinyles ou des K7, c’est un bel objet, pas de problème avec ça. Mais ça n’a rien avoir avec la musique.
    La musique , c’est pas le support.
    Et pour ce qui est de la qualité sonore, je me souviens très bien de la claque qu’on a tous pris quand on a écouté nos premiers CD. Le son était fabuleux.
    Et c’est toujours le cas, même si l’objet est moins sexy :-)

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