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Interview – Teen Daze

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Nous avons bien failli méchamment planter notre rendez-vous avec Jamison, le musicos canadien caché derrière le projet électro, disco, ambient, indie pop et tutti quanti Teen Daze. Et pour une fois, ce n’était carrément pas notre faute. Prévu au beau milieu de l’après-midi dans la salle de concerts Mains d’Oeuvres de Saint-Ouen où le musicien jouera quelques heures plus tard, nous nous apercevons, une fois arrivés là-bas pour une fois à l’heure, un peu dépités, que le bonhomme avait préféré décamper dix minutes plus tôt aux Puces toutes proches plutôt que d’encaisser nos délicates questions pendant quelques trente minutes. Quelques échanges contrariés de textos plus tard et le problème sera réglé: sans doute terrifié à l’idée de subir notre courroux aviné de piètres journaleux, Jamieson rebroussera chemin pour nous retrouver et avouera, ennuyé, avoir simplement oublié qu’une interview était prévue. Pas de quoi néanmoins remettre en question notre affection pour Teen Daze et sa musique au charme presque désuet dans sa désarmante honnêteté: trop directe, évidente, quelquefois chétive mais constamment parcourue d’une humanité doucement naïve et décomplexée.

J’ai lu que tu avais découvert la musique électronique en regardant les matchs de hockey sur glace avec ton père ?

(Rires) Oui. « No Limit » des 2 Unlimited passait à chaque fois qu’un but était inscrit. Et je me disais: « Cette musique est juste incroyable, qu’est-ce que c’est? ». J’étais très jeune, quelque chose entre 8 et 10 ans. J’habitais à l’époque en Colombie Britannique, dans une petite ville de 75000 habitants où existait encore un disquaire avec un rayon techno. Je me suis donc acheté une cassette sur laquelle se trouvaient aussi Teknotronic avec « Pump Up the Jam » et plein d’autres morceaux de cette techno de très mauvais goût de la fin des années 80 et du début des années 90; que des titres qui sont désormais devenus des classiques pour le meilleur et pour le pire. Pendant deux bonnes années, je n’ai écouté que cela et c’était effectivement grâce ou à cause des matchs de hockey.

Tu as pas mal bougé durant ton adolescence?

J’ai grandi en Colombie Britannique et ma famille a déménagé dans le Manitoba lorsque j’étais en quatrième. J’ai donc passé mes années de lycée là-bas. Lorsque j’ai fini, je suis allé à l’Université dans le Saskatchewan, la province à côté. Aux alentours de 20 ans, je suis retourné en Colombie Britannique où je vis toujours depuis. Le Manitoba est un endroit très reculé. Un bon point de référence est… Tu te souviens du film Fargo? Le Manitoba est aussi très froid mais avec de petites villes tandis que Fargo est une ville d’environ 100 000 personnes. Celle dans laquelle je vivais en regroupait environ 1500. C’était tout petit. C’est à cette époque que j’ai commencé à jouer de la guitare. J’avais aussi des logiciels de production musicale très basiques sur mon ordinateur. J’ai commencé à apprendre comment séquencer et à faire de la très mauvaise musique électronique. J’avais quelque chose comme 16 ans et je n’ai sincèrement même plus idée de à quoi cela pouvait ressembler. J’ai juste tout balancé. Mais cela a déclenché une étincelle lorsque j’ai commencé l’Université. J’y ai rencontré quelqu’un qui possédait un logiciel pour créer des rythmes. Je me suis dit que c’était cool et que moi aussi, je voulais faire le même genre de trucs. Et tout a démarré à partir de là, en 2003; je n’ai plus arrêté de produire depuis ce moment.

C’était quelque chose de spécial de faire de la musique électronique lorsque l’on vit au Manitoba?

Oui. Je ne crois pas que qui ce soit était au courant. Ado, je n’ai jamais osé partager ce que je composais et je ne me suis jamais produit en concert. Je restais juste à la maison, à m’amuser avec mes pétales de guitare, à vivre ma vie de nerd, simplement. En fait, je ne suis même pas allé à un concert avant d’avoir peut-être 19 ou 20 ans. Dans cette ville, il y avait peut-être deux autres types à l’école qui jouaient de la guitare mais même pas un bar avec de la musique live. Il n’y avait juste rien.

Ado, je n’ai jamais osé partager ce que je composais et je ne me suis jamais produit en concert. Je restais juste à la maison, à m’amuser avec mes pétales de guitare, à vivre ma vie de nerd, simplement.

Tu as passé du temps en Suisse pour étudier la philosophie post-moderne. Cela t’a aidé à composer?

J’imagine que d’un point de vue créatif, l’une des idées majeures que j’ai apprise de la philosophie post-moderne, c’est que rien n’est vraiment trop précieux. Il y a un gigantesque pluralisme qui découle de ce postulat. Cela m’inspire dans la mesure où je n’ai pas l’impression d’avoir besoin de me compartimenter dans un certain style artistique. C’est à dire que je n’ai pas besoin ou envie d’être un type d’artiste. Je peux faire un disque d’indie pop, un disque d’électro sous le même pseudo et me sentir tout à fait à l’aise avec cela. C’est ce que j’aime de la philosophie post moderne: cette ouverture et ce sentiment que tout est relatif au niveau de la pensée en général. Qui plus est, lorsque j’étudiais en Suisse, j’évoluais dans un environnement extrêmement créatif ; j’étais entouré par un grand nombre d’artistes et tout s’est fait de manière naturelle. Je n’ai pas pour autant choisi ces études avec l’objectif d’un développement artistique personnel; j’ai juste eu la chance que cela se déroule de cette manière.

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Au travers de ta déjà énorme discographie, on s’aperçoit que ta gamme de musique va de l’indie pop jusqu’à la dance en passant par l’ambient. Ce sont des genres que tu appréciais déjà avant de commencer à jouer?

Tout à fait. Je ne dirais pas que j’ai grandi avec une palette musicale très large mais j’ai toujours eu une affection égale pour à la fois la musique électronique et le rock. J’ai découvert les Beatles au même moment que Daftpunk. Je n’ai jamais fait de grande distinction entre les deux et cela a été le cas depuis le début de ma carrière artistique. Tout en écrivant de la musique électronique, j’avais aussi en parallèle un projet folk appelé Two Bicycles. Des amis m’ont d’ailleurs dit que c’était sans doute cette musique qui me ressemblait le plus. C’est une esthétique dont j’aime parfois me rapprocher et que tu retrouves dans Morning World. Sur ce disque, je me suis efforcé de travailler spécifiquement sur des sons électroniques, des synthétiseurs, des boîtes à rythmes tout en conservant des structures de chansons.

Je n’ai pas peur de faire des erreurs en public. J’aime l’idée de pouvoir observer un artiste progresser.

Tu sors tes disques à un rythme très soutenu. Tu n’as pas parfois peur d’être trop prolifique?

Les cinq dernières années ont en effet été très productives. Mon premier disque est sorti en 2010. Je comprends facilement qu’une telle abondance peut être trop pour certaines personnes; cela me dépasse d’ailleurs souvent moi-même. Si un artiste que j’apprécie tenait ce rythme, ce serait beaucoup à digérer. Mais… Et c’est un concept auquel j’ai été récemment introduit… Je n’ai pas peur de faire des erreurs en public. J’aime l’idée de pouvoir observer un artiste progresser. Prends Bob Dylan, Bowie ou les Beatles par exemple; tous ces artistes avec lesquels j’ai grandi ont constamment essayé de changer leur son. Ils sont une source d’inspiration et d’admiration permanente pour moi. Avoir l’opportunité de changer de style est aussi quelque dont je ne veux pas me priver. J’apprends peu à peu la patience avec la musique. L’idée pour le prochain disque est pourtant vraiment de ralentir, de produire d’abord des singles pendant un petit moment. Mais dans le même temps, je dois t’avouer qu’il me reste un énorme tas de musique prêt à sortir.

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Même si l’on reconnaît toujours ton style, tes albums ont tous une identité bien distincte. Avant de commencer un disque, tu t’imposes les directions sonores vers lesquelles tu veux tendre?

Oui, un petit peu. Comme je te l’expliquais, sur Morning World, c’était une décision consciente de me concentrer et d’expérimenter pendant un temps donné sur le songwriting et l’enregistrement de chansons plutôt que de recréer des sonorités électroniques ambiant ou dance. La plupart du temps, j’ai une idée générale de ce à quoi je veux que l’album ressemble car j’apprécie la cohérence sur un disque. J’aime les concepts albums ou lorsque les sons décident de l’ambiance du disque. C’est en fait ma politique pour la plupart de mon travail. Après, j’essaie de diversifier ma production autant que cela m’est possible. Néanmoins, même si je ne sais pas vraiment à quoi le prochain disque va ressembler, d’après ce sur quoi j’ai commencé à travailler, il présentera probablement une gamme plus large de musique électronique. Cela pourrait être un morceau psychédélique suivi par quelque chose de plus rock puis de la dance, on verra.

Quand je regarde les titres de tes disques et chansons, tu me donnes l’impression de focalisé par le rapport de l’instant et du lieu?

Tout à fait. Au sujet de Morning World, j’avais depuis longtemps cette idée dans ma tête d’un temps et d’un lieu imaginaire pour lesquels je créerais une bande son. Silent Planet est basé sur un roman, une trilogie de science-fiction par CS Lewis. Les descriptions de ces paysages et de ce monde venues uniquement de son esprit m’ont vraiment marqué tant elles me semblaient réelles et vivantes. J’ai toujours été fasciné par cette capacité qu’ont certains artistes de pouvoir imaginer ces endroits et créer de tels détails. Lorsque j’étais à l’université, j’ai suivi un cours de littérature religieuse classique et l’un des livres était la Divine Comédie de Dante. Cette lecture a sans doute déclenché ce travail artistique sur la création de lieux totalement fictifs. Et puis, ces deux dernières années, j’ai aussi commencé à lire du Brian Eno. Il est fasciné par l’idée de création de paysages imaginaires et sonores dans lesquels plonger l’auditeur. C’est un concept qui a toujours été présent dans mon esprit et dans lequel je puise mon inspiration.

Les paroles sont souvent très naïves sur Morning World.

Je recherchais ce sentiment d’innocence. C’était quelque chose qui faisait partie du concept de l’album; créer un lieu tout à la fois hors du commun et plein d’optimiste, existant en dehors de toute la dépression actuelle qui englobe le monde réel. C’était aussi une manière pour moi de me forcer à retrouver un peu d’insouciance et d’apaisement car je me rendais compte que je devenais de plus en plus cynique en vieillissant.

Morning World était une manière pour moi de me forcer à retrouver un peu d’insouciance et d’apaisement car je me rendais compte que je devenais de plus en plus cynique en vieillissant.

J’ai écouté la version home recording de Morning World après le disque et je me suis dit que ce n’était pas du tout le même album.

(Rires) C’était une décision consciente. Tout ce que tu entends sur le home recording correspond à des samples. Beaucoup des bruits de synthétiseurs viennent de l’ordinateur tandis que tout ce qui est sur le disque a été enregistré en studio, par moi-même ou mon ami Simon pour la batterie. Pendant que je composais et enregistrais Morning World dans mon home studio, j’ai compris très vite que je devrais aller en studio. Je suis donc parti sur San Francisco pendant un mois pour l’enregistrer là-bas. Les studios sont chers et je ne voulais pas perdre mon temps donc je devais être sûr de ce que je ferai une fois arrivé là-bas. Je voulais absolument éviter de recréer ce que j’avais fait dans mon home studio. D’ailleurs, le producteur de l’album nous a demandé de connaître les chansons, de nous sentir confortables avec elles mais de ne surtout pas mémoriser les démos, de ne pas nous arrêter sur des détails. En conséquence, l’expérience que nous en avons retiré était vraiment instructive et tellement fluide. Nous avons travaillé extrêmement rapidement et bien. Si nous avions passé notre temps à recréer le son des démos, cela n’aurait pas été aussi sympa. Et j’aime le fait qu’il y ait deux versions totalement différentes de l’album.

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Lorsque je regarde tes visuels que ce soit sur tes disques ou ta page Facebook ou lorsque j’écoute ton travail, même dans les morceaux les plus électroniques, il y a souvent quelque chose d’étrangement organique en eux. Est-ce que tu te considères comme quelqu’un de spirituellement en lien avec la nature?

Je ne fais absolument pas partie d’un mouvement New Age ou d’une spiritualité qui suggérerait qu’il y ait quelque chose de l’ordre d’une déité qui existerait à l’intérieur de la nature, à l’image de la culture aborigène. Sans donc aller aussi loin, j’ai un grand respect pour la nature et d’autant plus étant donné l’endroit où j’ai grandi en Colombie Britannique. Je n’ai jamais vécu dans une ville mais toujours près des lacs ou des montagnes. Cela a toujours été autant une source de respect que d’inspiration pour moi. L’un de mes objectifs est aussi de prendre ces sonorités synthétiques, de les passer au travers de synthétiseurs ou d’ordinateurs et de les transformer en sons plus naturels. Il y a déjà des artistes comme Four Tet ou Bibio dont j’adore la musique et qui ont réalisé un travail extraordinaire sur ce sujet.

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Est-ce vraiment sympa de tourner seul? Étais-tu accompagné pour la tournée américaine?

Normalement, je tourne avec un ou deux autres membres qui sont là soit pour jouer avec moi soit me tenir compagnie. Mais en automne, j’ai tourné avec quatre autres musiciens. Nous étions cinq dans le groupe et de temps à autre quelqu’un d’autre se joignait à nous: ma femme ou la copine du batteur… Voyager à cinq a été une expérience très stressante et anxiogène; des sentiments que j’avais rarement ressenti auparavant. Et je ne dis pas cela pour tailler les gens avec qui j’ai tourné parce que j’ai passé d’extraordinaires moments avec eux, nous sommes toujours des potes et j’adorerais le refaire. Ce sont surtout les circonstances qui ont fait que les choses ne se sont pas passées comme elles auraient dues. Donc il est plutôt rafraîchissant de se retrouver à voyager tout seul. D’autant plus que je ne l’avais jamais fait auparavant. J’avais pas mal d’appréhensions parce que je ne savais pas comment j’allais réagir, si j’allais être triste tout le temps car, à priori, cette expérience solitaire semblait déprimante mais tout se passe finalement de manière extraordinaire. Ma femme est d’ailleurs à la fois très surprise de me voir passer un bon moment mais aussi soulagée. Elle m’a vu revenir tellement stressé et anxieux qu’elle voulait absolument que je retrouve du plaisir lors des tournées. Donc, à chaque fois que je lui envoie un texto après le concert pour lui expliquer que cela s’est super bien passé, cela la rassure beaucoup. Elle voulait m’accompagner pour cette tournée mais elle vient tout juste de débuter un nouveau business donc cela n’avait pas grand sens.

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Mais tourner tout seul influe certainement sur le type de morceaux que tu peux jouer durant tes concerts?

Oui. J’ai donc pris quelques chansons de Morning World, je les réarrangés pour les rendre plus électroniques ainsi que des titres des disques précédents. Durant la première moitié du set, je chante pas mal: il y a plus une sensation de live tandis que la seconde est plus orientée dance music, DJ set. Je joue certaines nouvelles chansons ainsi que des morceaux dance plus anciens.

Ton dernier single a un titre français: « Célébrer ».

Quand je suis revenu de la tournée d’automne, j’étais épuisé. J’avais quelques DJ sets réservés et je voulais retrouver une énergie positive. Je me suis demandé quelle était la musique pour me mettre à l’aise pendant que je faisais le DJ? La réponse a été des morceaux de French House, de French Touch: du Daftpunk, bien sûr mais aussi du Fred Falke, Alan Braxe, Breakbot chez Ed Bangers… En parcourant mon iTunes, je me suis rendu compte que c’étaient les morceaux que je voulais entendre et lorsque je les jouais, le caractère à la fois fun et positif de cette musique me revenait dans le visage. Et je me suis dit que j’adorerais partir en tournée pour jouer de la musique comme celle-ci. J’ai donc expérimenté, essayé de nouveaux trucs et je me retrouve maintenant avec quelque chose comme 18 nouvelles chansons de dance music qui sont toutes dans ce vibe, qui empruntent ces sonorités très françaises, très influencées par la disco. Et évidemment, la plupart de ces nouveaux morceaux ont des titres français. (sourire)

Photos: orimyo

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