Lorsqu’en 1977 sur le plateau des Rendez-vous du Dimanche, émission présentée par un Michel Drucker au brushing impeccable, un grand garçon blond apparaît en sautillant dans ses chaussures pointues et arborant un blouson de cuir rose fluorescent aux manches zippées, chacun se fige devant le petit écran allumé à l’heure des petits pois carottes… Que se passe t-il? Finis Aimable et son accordéon, Michel Sardou et ses chemises à jabots, Ringo et Sheila en duo ou encore, last but not the least, Dave chevrotant ses bleuettes inspirées du côté de chez Swann ( tu parles!) … Tous finis…. Un hymne punk-pop ( mais c’était quoi le punk?) bien déjanté à mode belge, nous frappait alors de plein fouet. Enfin quand je dis tous, je me dois de préciser que ce furent surtout les adolescents comme moi, collégiens et lycéens, qui reçurent la claque salutaire …
« Ça plane pour moi » chantait donc un certain Plastic Bertrand, surgi de nulle part apparemment, mais ça on s’en fichait. Le gars était surtout bien plus marrant que tout ce qu’on avait entendu jusqu’alors sur les ondes françaises ou vu dans les émissions dédiées à la jeunesse… On trouvait le disque chez Prisunic, Monoprix ou dans les supermarchés pour quelques francs, et le 45t s’est vendu comme des petits pains – sans doute plus! – puisqu’il est devenu instantanément un tube international. La chanson lançait ses trois accords rock saturés, mis à une nouvelle mode que nous identifierions bientôt. Disons un an plus tard en moyenne, le temps que les choses débarquent plus nettement sur nos côtes, de ce côté ci de la Manche. Plastic Bertrand (alias Roger Jouret) avait l’air ingénu et naïf, -mais sans doute pas tant que ça! -, juvénile et tonique sans se prendre la tête, loin de tout discours pesant comme ceux auxquels nous avaient habitué les chanteurs ou rockers français qui, dans ces années là, se voulaient souvent engagés, gauchisant caricaturalement, sinon pontifiants… On ne donnera pas de nom ici, bien sûr.

Mais derrière ce magnifique coup de maître dans le paysage audiovisuel hexagonal , se cachait une petite histoire dont on ignora tout longtemps. En réalité le truc était bien moins spontané qu’il en avait l’air. Pas si rebelle que ça… Derrière « Plastic » il y avait le producteur Lou Deprijck, bien moins jeune que le trublion bondissant ( jusqu’alors batteur dans des formations sans réel succès), bien moins looké ou photogénique que la créature Plastic Bertrand si vous voulez. Le compositeur de la chanson c’était Deprijck. Mais plus encore, il était celui qui l’avait chantée en studio… Oh mince! The great belgian rock and roll swindle? « Plastic » était-il alors une marionnette choisie pour son allure plus que pour son talent?
Quoiqu’il en ait été, « Ca plane pour moi » fut ( et reste) un incroyable délire sonore, un pastiche de riffs punk rock sous overdrive, une suite de paroles sans queue ni tête en verlan et onomatopées ( écrites par Yann Lacomblez , parolier et musicien belge lui aussi qui réussit là son seul mais grand exploit…) . C’est un pur chef d’œuvre de pop culture bon marché, dirais-je, qui rapporta gros! N’était-ce pas le but? De quoi pouvait donc se plaindre Deprijck? D’être dépassé par sa création… Le morceau d’à peine trois minutes et onze secondes, face b ( mais oui!) du tout aussi tonitruant « Pogo! Pogo! », est l’incarnation de l’esprit punk du moment, transposé dans le monde de la variété et du grand public de la fin des années 70. Un coup de maître et involontairement, pourquoi pas, un acte de santé publique?
Bien au delà de l’anecdote, le titre en son temps bousculera les charts anglo-saxons, puis est devenu culte repris par des groupes aussi sérieux ( à priori ) que Sonic youth ou The Damned, Vampire Week End et les français de Nouvelle Vague...Qui dit mieux?
Patrick Foulhoux, auteur du livre qui sort le 6 novembre aux éditions du Boulon, revient sur l’histoire de ce single francophone parmi les plus vendus au monde. A lire devant un téléviseur sans décodeur, en mangeant des portions de vache qui rit. Par exemple.

Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.