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The William Loveday Intention / The Dept. Of Discontinued Lines.

À l’ouverture du coffret 4 cd de The William Loveday Intention, l’impression de découvrir un tout indivisible vient à l’esprit. Ce premier sentiment se confirme à l’écoute des quarante six titres regroupés par Damaged Goods. Que chaque LP soit disponible en format vinyle, indépendamment des autres, ne change rien: l’inter-action est évidente. On entend les mêmes musiciens, un son et un ton identiques, qui développent une intention et lui donnent du sens. Lequel? Ceci reste à définir.

The William Loveday Intention est l’un des noms utilisés par William Charlie Hamper pour désigner ses projets musicaux. Wild Billy Chyldish étant le pseudonyme le plus connu de l’artiste anglais, je me suis questionné sur le pourquoi de cette autre identité? Le jeu des hétéronymies égare. Autant le savoir si l’on veut se repérer dans une discographie foisonnante. Selon les affirmations de Hamper, Loveday serait le nom de famille de sa grand-mère, sous lequel on l’inscrivit dans les registres au jour de sa naissance. Je veux bien croire à ce déjà rocambolesque départ dans la vie du sexagénaire installé à Chatham, discrète ville du Kent qui fût celle de Charles Dickens. Quoiqu’il en soit Loveday / Hamper / Chyldish est né en 1959, actif dans le monde de l’art depuis 1977. S’il est connu comme musicien, il l’est aussi comme peintre et poète; artiste total, mû par une énergie créatrice qui paraît intarissable.

Les quatre séries d’enregistrements ont été captées par Jim Riley (musicien entendu avec The Herb), aux Ranscombe studios de Rochester à quelques miles du domicile de l’excentrique Hamper / Loveday. Tout cela réalisé il y a un an, en plein confinement bien entendu. Ce qui amène à une question centrale: Hamper / Chyldish / Loveday est-il « The Last Punk Standing »? Possible. Très possible.

Tout britannique qu’il soit, Hamper, dans son projet William Loveday Intention, montre plus d’intérêt pour le folk-rock sixties de la côte Est des USA, que pour la sophistication de la pop music anglaise. Ce qu’on entend n’est ni significatif de la scène indépendante actuelle, ni de son futur (encore moins)… À contrario, on se tourne vers l’écho de Dylan & The Band en 1966 ou celui des sessions de Highway 61. On lorgne vers Desire (1975) – avec la reprise de « Oh Sister ». Loveday en oublie-t-il le punk rock de Chyldish? Oui, mais sans se métamorphoser entièrement. La façon dont il utilise le chant – sur des textes souvent longs et denses – le situe dans une zone (pas neutre) entre Dylan (c’est acquis) et Joe Strummer. Cette influence du leader de The Clash nous la retrouvons d’ailleurs, tout comme la rugosité punk, sur le dernier album en date enregistré sous le pseudonyme de Wild Billy Chyldish, Where The Wild Iris Grows (Juillet 2021). Mais Chyldish n’est pas Loveday.

« Le Département des lignes discontinues », est- il une parenthèse, un exercice de style dans une œuvre oscillant depuis ses débuts entre Rhythm and blues énervé et Punk Rock teigneux? Car tout ici est millésimé: orgue Hammond, guitares Fender et harmonica (Jim Riley), caisse claire qui claque et roule. Avec leurs textes aux phrasés typiques, les chansons semblent provenir d’une origine commune, laquelle serait le tournant décisif de The Times They Are A Changing de Dylan. Le coffret William Loveday est- il alors l’imitation fleuve de ce qui constitue un des sommets de l’écriture du prix Nobel nord américain? Certainement pas. J’y vois plutôt une réappropriation, certes inattendue, d’un souffle folk-rock, genre à la fois vindicatif, métaphorique et poétique qui sied au tempérament de Hamper. On songe aux prestations live de la période Blood on The Tracks, début seventies; à des réminiscences de la Rolling Thunder Review de 1976. Le style est utilisé pour dire à nouveau. Il ne cite pas. Ici et là des pistes instrumentales placent l’ensemble à un niveau supérieur encore, qui flirte avec des ambiances Morricone jouées en version LoFi. Dans le Thames Delta, Loveday réunit New York et la beat génération avec Sergio Leone / Morricone, tout en chroniquant l’Angleterre au quotidien, plus quelque chose d’autre encore de moins palpable …

La quantité de propositions fait qu’on peut se sentir submergé par le flux musical. Si certains titres sont moins passionnants que d’autres, ce qui ne gâte pas l’ensemble, certains volent très haut. Ainsi « My Love For You », « I Wasn’t Made For This World » – fédérateur et misanthrope -, « People Think They Know Me, But They Don’t Know Me » – tortueux – ou l’enthousiasmant  » I’ll Tell You Who I Am Not, So You ‘ll Know Who I Am » qui sont les compositions les plus repérables. Tout reste toujours agréable à écouter. Dans cet ensemble où les phrases chantées sont souvent des inversions de données, nous avançons dans un jeu de pistes brouillé à l’instar de l’écriture dylanienne. Ce qui me fait douter de Hamper lorsqu’il déclare: « Je voudrais dire que je ne suis pas un fan de Dylan, mais que j’en suis juste curieux… » Puis précise: « Je suis étonné combien il a pu être mauvais, mais combien il est très bon aussi dans ces grands moments« . Ajoutant enfin, pour sa présentation de l’album: « Mais j’ai découvert avec plaisir que nous avons été influencés par les mêmes artistes à nos origines: Little Richard et Buddy Holly« … Nous touchons presque au but de ce décryptage.

Les quatre albums de The William Loveday Intention sont des OVNI. Je ne saurais où les situer parmi les sorties des derniers mois. Ce sont des suites un peu tordues , faites pour des auditeurs ne manquant pas de curiosité. Mais en même temps, ce sont des chansons qui ont des racines plantées chez Buddy Holly! Nous venons de le lire…Et Buddy Holly fit des disques révolutionnaires qui faisaient danser. Un miracle. William Hamper qui expose ses toiles figuratives, colorées et expressives de part le monde, ne pourrait-il s’adresser à tout le monde avec sa musique? Je sais un peu mieux, de quoi et de qui le rapprocher: de Dean Tracy et les TV Personalities, de The Fall, d’Allen Ginsberg. Pas des artistes faciles, il est vrai, mais nullement des artistes contre le monde. Le monde fût-il avec eux? Voilà la vraie question. Il y a du Daniel Johnston chez Chyldish tout comme chez Loveday. Mais un Johnston qui aurait été en excellente santé. Ce qui est le cas de William Charlie Hamper.

The William Loveday Intention, in fine, n’est peut-être pas un projet si américanisé que celà. J’écoute attentivement Hamper et nous voici sur les quais de la Medway, où Chatham s’enorgueillissait autrefois d’arsenaux vides aujourd’hui. L’artiste est un humaniste quand il chante « Chatham Town Welcomes Desperate Men » ( mon titre presque favori du volume 3, Will There Ever Be A Day That You’re Hung Like a Thief?). Chatham c’est l’Angleterre, pas l’Amérique de Robert Zimmerman, les textes de Loveday l’évoquent plusieurs fois très directement – « Thatcher Children »….Par ailleurs Hamper qui a une culture européenne, trouve naturellement sa place sur le siège de Jacques Brel dont il parle dans le clair obscur de « À La Mort Subite ». Sauvé par l’art, ainsi qu’il nous le raconte, au cœur de Bruxelles, déceptions ravalées pour un temps, avec toute l’énergie qu’il lui faut pour une acceptation des lignes discontinues…

The William Loveday Intention joue des contrastes. Sans doute le peintre influence-t-il le musicien? Et ce département des lignes discontinues ne peut-il être une allusion aux traces du pinceaux, au dessin ou à sa disparition? Pour William Hamper rien ne semble acquis, et il y a tant d’étrangeté en ce monde qu’il est impossible – selon lui – d’être convaincu de sa cohérence. Hamper fait avec, et se joue des déboires en multipliant formes d’expression et personnages qu’il incarne, à la manière d’un Fernando Pessoa qui aurait découvert le rock. Une subtile sucrerie en oxymore pour conclure? The bearded lady also sells the candy floss

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