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Disques

We See Hawks / Leaving The Forest Behind

Premier album de We See Hawks, Leaving The Forest Behind est un long et lent voyage dans des paysages aussi bien mentaux que réels, dans lesquels se mélange la fascination romantique d’une americana idéalisée et l’amour d’une nature indomptée encore préservée des affres de l’espèce humaine. Pour autant, sommes-nous ici totalement immergés dans cette sauvagerie première, telle que filmée par Sean Penn, dont le jeune héros de Into The Wild, promis à un bel avenir, délaissera toute civilisation et finira par se perdre? N’est pas Jack London qui veut et les We See Hawks semblent trop expérimentés, aujourd’hui, pour tomber dans les pièges de l’illusion ou de la naïveté.

Dominique Tomasi et Hervé Vincenti que nous avions rencontrés il y a un an, sont les deux musiciens au cœur du quartet ajaccien We See Hawks. Bassiste, chanteur et auteur-compositeur, Tomasi est la voix du groupe et celui qui ramène sans doute les compositions vers un format chanson, quand Vincenti, guitariste – compositeur, en est clairement l’ingénieur – metteur en son. Les douze compositions que propose Leaving The Forest Behind, sorti ce mois de janvier, sont le fruit d’une collaboration qui aura duré plus d’une année. Confinement oblige, c’est à deux que l’album a été enregistré, ce qui en rend probablement la couleur différente de ce que le groupe peut offrir en live. Tomasi et Vincenti restent néanmoins dans les formes d’un rock alternatif sophistiqué, à l’instar de Tortoise, Wilco ou des démarches des Tindersticks et Lambchop, origines nineties en relation directe avec la décennie qui accueillit les premières expériences musicales du duo.

We See Hawks, qui fait des clins d’œil à Sam Shepard, évoque les ambiances des BO de David Lynch et s’amuse à calquer la couverture de ce premier disque sur celle de Another Side of Bob Dylan, joue ainsi une étrange country post moderne, aux limites difficilement définissables, glissant parfois dans les voisinages de l’ambient par sa capacité d’évocation visuelle et les atmosphères créées. Pour autant les chansons n’y disparaissent pas, quand bien même ne retrouve t-on pas systématiquement la classique construction en couplets et refrains. Sur des tempos lents ou médiums la voix de Tomasi, grave et narrative, est portée par des orchestrations d’un registre esthétique en recherche du beau – écouter les guitares et arrangements de « Your Thunder » permet de s’en convaincre. La basse qui se fait souvent ronde, appuie les notes fondamentales – « The Hillside Drifters » -, pour se conjuguer avec le chant et ses nuances. Dans ce même titre, on note l’originalité d’une intro parlée et les effets radio appliqués sur la voix, qui situent bien les intentions comme les ambitions de l’album. Les Fender Jazz Master et les Gretsch de Vincenti apportent, elles, des ornements qui se détachent toujours clairement sans emporter les morceaux ailleurs. Le guitariste, qui a beaucoup écouté Tom Verlaine de Television, évite toute gratuité, son jeu précis devenant une caractéristique du groupe. Au fil de l’écoute on retient aisément « Silently Bold », ballade acoustique passée sous reverb, et « Leaving The Forest Behind » qui donne son nom à l’album. Avec un motif de guitare qui annonce son refrain, « Leaving The Forest behind » accélère le tempo général et se transforme en chanson la plus aboutie d’un ensemble très homogène. J’y relève l’habileté d’un break passionnant, franchement rock prog, que n’aurait pas rejeté un certain Steve Howe au temps du chef d’œuvre Close to The Edge de Yes. Richesse et subtilité d’une musique savante…

Entre intériorité et envie d’être à l’extérieur de soi, We See Hawks réalise un album riche d’atmosphères qui projette l’être intime dans l’âpreté comme dans la majesté des quatre éléments. Orage et tonnerre, lumière, soleil aveuglant et flots profonds s’y rassemblent sans se heurter et on en demeure presque étonné. Il n’est cependant pas certain que le promeneur imprudent ne s’y perde pas tôt ou tard, à la recherche d’une nouvelle couleur verte – « A New Kind of Green ».

(En bonus les très belles photos par Hervé Vincenti qui illustrent un livret réussi).

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